Appartement 4 : Un dîner en amoureux chez Ninon et Greg

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GREG : Joyeux anniversaire !

NINON : Ce n'est pas mon anniversaire.

GREG : Mais c'est le nôtre.

NINON : Je le sais. Je le sais mais j'ai du mal à y croire. Deux ans. Tu y crois toi ?

GREG : Ça aurait été plus réel si je t'avais fait un cadeau ?

NINON : Non. On avait dit pas de cadeau. Juste un bon dîner avec toi.

GREG : Oui, il vaut mieux. Parce que si c'est pour que je te fasse un autre cadeau dont tu te serves autant que la liseuse de ton anniversaire.

NINON : Tu avais dit que tu ne m'en voudrais pas.

GREG : Je ne t'en veux pas ; je rigole.

NINON : N'empêche, deux ans... Je n'arrive pas à y croire. Je ne suis toujours pas habituée à toi ; mais dans le bon sens. Je suis surprise, chaque fois que mon regard se porte sur toi, de la chance que j'ai de t'avoir.

GREG : Moi aussi j'ai de la chance de t'avoir.

NINON : Deux ans que tu es dans ma vie, et bientôt six mois qu'on vit ensemble. Pourtant, j'ai encore l'impression de te découvrir. Et que tu me découvres. Qu'on cherche nos marques, qu'on apprend à trouver un équilibre ensemble.

GREG : Et ça c'est le bon sens ?

NINON : C'est ne pas être habituée à toi dans le bon sens, oui. Pas dans le sens où on n'y arrive pas. Juste dans le sens où c'est un processus qu'on parcours tous les deux. Pas un truc magique qui nous tombe dessus et où du jour au lendemain on est parfaitement compatibles et tout va merveilleusement ; où rien n'est important parce que l'on s'aime et ça suffit. Le bon sens bon parce que je l'aime bien. Et le bon sens comme l'expression "bon sens" qu'on emploie pour parler de la raison. J'aime cet amour qui ressemble au bon sens. On apprend progressivement à se découvrir, se connaître, s'apprivoiser, vivre ensemble, construire des repères, s'aimer... Ce n'est pas immédiat et évident et facile. Mais c'est d'autant plus beau.

GREG : Je suis difficile à aimer. Bah super. C'est sensé être notre anniversaire ou l'évaluation annuelle ?

NINON : Mais écoute ce que je dis, un peu. Ce n'est ni une évaluation ni des reproches. C'est juste ce que je ressens et ce que je pense. Et je n'en pense que du bien. Tu crois que je veux d'une romance magique ? Je veux rien d'autre que ce qu'on a tous les deux ; rien de plus et rien de moins. Je veux juste ça. Être là avec toi et essayer de communiquer des choses qui sont profondes et vraies. Que tu ne comprennes pas du premier coût mais s'obstiner ; s'obstiner tous les deux encore et encore jusqu'à réussir à comprendre la façon de voir de l'autre. J'aime faire cet effort et j'aime que tu le fasses toi aussi. Je trouve ça beau, oui. Plus beau que si c'était facile. Je trouve ça beau qu'on soit différents et qu'on doive se chercher avant de se trouver.

GREG : Si tu le dis. Je ne comprends pas tout mais je t'aime. Je t'aime et j'aime notre relation moi aussi. Je préférerais juste te rendre heureuse complètement plutôt que te demander ces efforts et te faire subir toutes ces déceptions.

NINON : Mais de quelles déceptions tu parles ? Tu ne me déçois pas, Greg. Jamais.

GREG : C'est faux. Je te déçois chaque fois que tu parles comme tu le fais là et que je ne pige pas. Chaque fois que je ne comprends qu'un quart de ce que tu racontes.

NINON : Tu comprends ce que je raconte. Tu comprends. Sauf que tu le ressens différemment. Tu entends mes mots et tu comprends leur sens, mais tu vas juger ce sens négatif quand moi je le juge positif. Tu vas avoir peur. Tu ne vas voir que des reproches partout, alors qu'il n'y en a pas. Tu vas chercher ce que tu pourrais faire mieux. Tu vas fouiller mes propos pour y trouver ce que tu pourrais faire différemment pour me rendre plus heureuse que tu ne le fais déjà. Toujours. Oui, ça m'énerve parfois. Ça m'énerve parce que tu pars toujours là dessus quand moi j'essaye de communiquer autre chose. Et du coup tu n'écoutes pas ce que moi j'essaye de dire. Ça m'énerve oui. Mais ça ne me déçois pas. Ça ne me déçois pas, parce que je sais que ce comportement il vient juste du fait que tu cherches mon bonheur avant tout.

GREG : Sauf que, ironiquement, tu serais plus heureuse si je t'écoutais au lieu de chercher dans tes mots le moyen de te rendre plus heureuse encore.

NINON : Exactement. Tu vois que tu comprends. C'est vrai, mais ce n'est pas grave. C'est drôle. C'est beau. J'aime bien. C'est nous. C'est nous, juste. Toi et moi Greg. On est beaux. C'est tellement beau ce qu'on a. C'est drôle parfois. Ce n'est pas toujours optimal. Mais c'est d'autant plus touchant. Moi qui essaye de communiquer des choses trop complexes, qui sont un peu toujours des paradoxes, qui suis capable de voir la beauté dans toutes les imperfections de notre amour ; ces imperfections qui le rendent réel et unique. Et toi qui m'aimes si fort mais qui ne sais pas forcément le dire, qui veux me rendre heureuse au point que ça en devient agaçant, qui n'as pas assez confiance dans le fait que je le suis déjà. Tu ne veux juste pas croire que je suis satisfaite. Et moi, je parlerais toujours des petits bugs plutôt que de tout ce qui va, parce que j'aime la saveur des paradoxes et le goût des imperfections. J'aime les décortiquer et en parler comme si c'était une façon de dire que ça ne me dérange pas et que je nous aime comme on est. Sauf que toi, tu veux juste être parfait. Et c'est bête. On est un peu stupides sur les bords tous les deux ; mais ça nous rend nous et ça ne nous empêche pas de chercher un moyen d'être heureux ensemble en restant tous les deux comme on est.

GREG : Moi je n'ai pas envie de rester comme je suis. J'ai envie d'être à la hauteur.

NINON : Mais il n'y a pas de hauteur. Il y a juste toi et moi en train de chercher à coexister.

GREG : Coexister, carrément ? Coexister c'est pas le niveau juste au dessus de se faire la guerre ?

NINON : Ne fais pas l'idiot. Tu sais très bien ce que je veux dire.

GREG : Non, justement. Je ne le sais pas. Je n'en ai pas la moindre idée. On dirait que tu essayes de te convaincre que tu es satisfaite alors que ce n'est pas le cas.

NINON : On dirait surtout que toi tu essayes de te convaincre que je ne suis pas satisfaite alors que c'est le cas.

GREG : C'est le cas ? Donc tu admets que tu es insatisfaite.

NINON : Non. C'est le cas je suis satisfaite. Tu essayes de te convaincre que ça n'est pas le cas alors que ça l'est.

GREG : Moi j'aurais aimé que, pour être heureuse avec moi, tu n'aies pas à faire des discours sur la beauté des imperfections et de l'échec de toute tentative de communication.

NINON : L'échec n'est pas beau. Il est juste humain. Ce qui est beau c'est de continuer d'essayer. C'est de communiquer malgré la difficulté ; de s'y obstiner. De ne pas en vouloir à l'autre de cet échec justement. Et de ne pas s'en vouloir à soi-même non plus.

GREG : Tu finiras par m'en vouloir.

NINON : C'est toi qui t'en veux. Tu t'en veux tellement que tu finiras par m'en vouloir à moi, ou par faire que je m'en veuille à moi-même. Tout ce que tu dis, c'est que je donne l'impression de ne pas être heureuse avec toi. Je n'arrive pas à te donner confiance dans le fait que tu es exactement ce que je veux.

GREG : Peut-être parce qu'au lieu de nous souhaiter bon anniversaire, tu préfères parler du fait que tu n'es toujours pas habituée à moi.

NINON : J'ai envie de partager avec toi, Greg. J'ai besoin que tu saches comment je vis notre amour. Même si toi tu ne le vis pas de la même façon. J'ai juste besoin que tu saches comment c'est à mes yeux. Que tu saches que c'est beau. Que c'est beau parce que j'aime ce qui est, ce que tu es et ce que nous sommes. Et pas que c'est beau parce que je suis aveuglée par l'amour, ou que c'est beau uniquement tant que tu arrives à ne pas commettre d'erreur ou d'impair. Que c'est beau comme c'est et dans l'absolu.

GREG : On dirait toujours un discours rodé pour me rassurer.

NINON : Et ton discours à toi est rodé pour t'inquiéter. Je crois que je ne peux rien faire contre ça. J'aurais beau te dire que je t'aime, te l'expliquer, te l'analyser, te le décortiquer, te le justifier, tu ne le croiras jamais tout à fait.

GREG : Plus tu le décortiqueras et moins je le croirais. Plus tu te justifieras et plus ça semblera suspect. On ne se justifie que quand on sait qu'on est en tort.

NINON : Non mais quelle stupidité ! Banal, mais stupide au plus haut point. Les innocents ne cherchent pas à se justifier ? Les scientifiques ne cherchent pas à justifier leurs théories ? Non, c'est bien connu ; seuls les coupables cherchent à se justifier.

GREG : Peut-être que tu as raison. Et bien sûr que je sais que tu m'aimes. Je sais que tu m'aimes et que tu es sincère et que tu penses tout ce que tu me dis. Je sais que tu es heureuse d'être avec moi, ou en tout cas que tu crois l'être. Je sais que tu es plus heureuse avec moi que sans moi ; mais ça ne veut pas dire que tu es aussi heureuse que tu pourrais l'être.

NINON : Et moi je trouve ça terriblement offensant cette croyance que mon bonheur doit dépendre en premier lieu de toi.

GREG : Je ne dis pas que je suis le seul responsable de ton bonheur. Je dis juste que je veux faire mon maximum.

NINON : Et tu ne pourrais pas faire ton maximum pour arrêter de douter de mon amour ? Pour faire confiance à mon jugement et à mes sentiments ? Pour avoir confiance dans le fait que tu me rends aussi heureuse que tu peux me rendre heureuse. Bien sûr des fois tu me contraries, tu commets des impairs ou quoi. Mais ça change quoi ? Tu crois vraiment que ça a un impact sur mon bonheur ? Sur mon humeur du jour, peut-être, à la rigueur. Mais sur mon bonheur général, non. Mon bonheur général, il vient juste du fait que tu es toi et que tu m'aimes, que l'on vit ensemble et que ça me comble de joie chaque jour, qu'on va avancer ensemble, ... Toutes ces choses qui sont là, qui sont stables, qui sont vraies. Ce n'est pas parce que tu me proposes une banane en oubliant que je n'aime pas ça que mon bonheur va se trouver affecté.

GREG : Tu n'aimes pas les bananes ?

NINON : Si, j'aime bien les bananes. C'est juste la première chose qui m'est venue à l'esprit.

GREG : Et moi, ton bonheur est toujours la première chose qui me vient à l'esprit.

NINON : Il va falloir arrêter.

GREG : Hors de question.

NINON : Si, il va falloir arrêter. Parce que je me mets bien déjà assez toute seule la pression pour être heureuse. Ça devient quoi si toi tu ajoutes à cette pression en continu ? Comment je peux gérer la pression qui vient du fait que je sais que si je ne suis pas assez heureuse tu ne seras pas heureux non plus ?

GREG : De la même façon que je gère celle de savoir que mon malheur à moi nuit à ton bonheur à toi.

NINON : Et comment tu le gères ?

GREG : Mal.

NINON : Notre vie n'est qu'un amas de cercles vicieux.

GREG : Un joli pâté où les cercles vicieux s'emmêlent les uns aux autres, le tout saupoudré de paradoxes.

NINON : La vie en général en fait est ce mélange. Et toi, tu attends de moi que je parvienne à être complètement heureuse au milieu de ce bordel.

GREG : Alors que je ne le suis pas moi-même.

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