LA RECRUTEUSE : D'après tout ce que vous m'expliquez, il me semble effectivement que le stage que je vous ai décrit en début d'entretien corresponde bien à ce que vous recherchez. Maintenant, il nous reste à voir si votre profil correspond à ce que nous recherchons nous.

FLAVIE : ....

LA RECRUTEUSE : Allo ? Vous êtes toujours là ? Ça a coupé ?

FLAVIE : Oh, je suis désolée. J'attendais une question. C'était une question ? Que voulez-vous savoir exactement ?

LA RECRUTEUSE : Et bien, dites m'en un peu plus sur vous, votre personnalité, vos atouts. Pourquoi devrions-nous vous choisir vous plutôt que n'importe quel autre étudiant de votre école ?

FLAVIE : Je ne peux pas vraiment vous répondre par rapport aux autres. Ce n'est pas à moi de me prononcer sur est-ce qu'ils possèdent ou non les mêmes atouts que moi. Je ne peux parler que pour moi. Premièrement, comme je vous l'ai expliqué plus tôt, ma formation colle exactement à ce que vous faites, et je pense avoir ce semestre acquis de nombreuses connaissances que je pourrais ainsi mettre en application. Deuxièmement, j'apprends très vite et je pense être à-même de capter tout ce qui me sera expliqué et tout ce que j'observerais pour développer rapidement des compétences. Ensuite, j'ai en général une bonne capacité à générer des idées nouvelles, je suis force de propositions et j'espère avoir l'occasion de faire des suggestions.

LA RECRUTEUSE : Mhhh... Pensez-vous que les idées nouvelles sont toujours une bonne chose ? Ne pensez-vous pas plutôt que les méthodes actuellement utilisées dans une entreprise le sont parce qu'elles ont fait leurs preuves ? Que diriez-vous de votre capacité à vous adapter ?

FLAVIE : Je dirais que votre deuxième et votre troisième question donnent une indication assez forte sur la réponse que vous attendez à la première. Cependant, c'est mon premier entretien et j'ai envie de faire preuve de franchise avec vous. Je crois qu'il y aura toujours place partout pour l'innovation, et que les regards différents seront partout un avantage. Je suis très loin de croire que les méthodes employées sont forcément les meilleures et que la possibilité d'amélioration n'existe plus. Je crois qu'il n'y a pas un seul endroit où cette affirmation serait valable. Cependant, je suis évidemment capable de m'adapter. Je sais formuler des suggestions, mais je sais aussi accepter qu'elles ne soient pas prises en compte. Il n'en reste pas moins que je pense qu'il est profitable à tous que les différentes idées puissent être écoutées, argumentées et débattues. C'est dans la discussion que l'on peut acter si l'idée nouvelle est bonne ou si effectivement il est préférable de conserver les anciennes méthodes.

LA RECRUTEUSE : Oui... mhh... très bien... Il est effectivement important pour un employé de savoir s'affirmer et pouvoir défendre avec ténacité ses opinions. Cependant, il ne faudrait pas oublier que c'est pour un stage que vous postulez, et que vous avez peu de connaissances du secteur et du métier. Une opinion, pour mériter d'être défendue, doit reposer sur des bases solides.

FLAVIE : Oui. Mais je pense qu'il est malgré tout important d'exprimer ses idées et ses questionnements dans tous les cas, car c'est comme ça que l'on pourra apprendre. C'est ainsi que l'on sort de ses erreurs. Et dans la discussion et la confrontation des points de vues on pourra également peut-être aboutir à une autre idée, qui soit une création partagée.

LA RECRUTEUSE : Bien, je pense avoir compris votre position sur la question. Cependant, je dois vous rappeler qu'il s'agit d'un entretien et pas d'un débat. Que diriez-vous de votre sens de la ponctualité ?

FLAVIE : Je suis ponctuelle. Je ne considère pas qu'il s'agit d'une qualité ou d'un point particulier qui mérite d'être mentionné. Arriver à l'heure, c'est une base. Mais oui, je suis ponctuelle. Je suis aussi appliquée dans ce que je fais, je ne bâcle pas le travail, j'ai envie de bien faire. Je ne viens pas travailler en jogging, je salue les gens avec politesse, je rédige des phrases sans faute d'orthographe, ...

LA RECRUTEUSE : Je sens une pointe de sarcasme dans votre voix, Mademoiselle. Que diriez-vous de votre capacité à gérer vos émotions ?

FLAVIE : Je suppose que je devrais répondre que je suis parfaitement capable de gérer mes émotions. En toute honnêteté, j'ai une assez mauvaise tolérance à l'injustice. Il m'est plutôt intolérable de devoir faire semblant que tout va bien quand ce n'est pas le cas, et de me laisser marcher dessus quand je ne l'ai pas mérité. Je tiens à m'excuser d'avoir eu la naïveté de croire qu'un entretien était un échange et que vous alliez chercher à savoir qui je suis et quelle est ma façon d'envisager le métier. Il s'agit de mon premier entretien et je n'avais pas compris qu'il s'agissait d'une checklist sans intérêt, d'une grille préparée avec de bonnes réponses et de mauvaises. J'ai cependant une question : comment faites-vous votre choix parmi tous les individus qui parviennent à deviner les réponses attendues à vos questions ? Il doit forcément y en avoir un certain nombre.

LA RECRUTEUSE : Il y a effectivement un certain nombre de candidats qui n'ont pas votre insolence, Mademoiselle. Je comprends bien que vous sortez tout juste du lycée et que vous n'avez pas idée des réalités du monde du travail. Je vais faire preuve de magnanimité et vous laisser poursuivre cet entretien malgré votre cruel manque de respect. Il faut bien que vous ayez l'occasion d'apprendre. Il est certain que vous ne garderez pas cette attitude longtemps, car personne ne vous acceptera avec un pareil tempérament.

FLAVIE : Moi je comprends bien que cet entretien est fichu. Mais j'aimerais saisir cette occasion pour obtenir des renseignements utiles. Comme vous le dites, il faut bien que j'apprenne pour la suite. Je ne veux pas faire preuve d'hostilité, mais je suis simplement sous le coup de l'incompréhension. J'ai d'une part l'impression que vous attendez de moi l'humilité d'une mendiante qui quémande un premier poste alors qu'elle n'est qu'une pauvre stagiaire sans expérience. Mais, d'autre part, vous semblez aussi attendre l'arrogance d'une étudiante se croyant meilleure que tous les autres candidats potentiels. J'ai du mal à saisir quel est le mélange exact de soumission et de confiance en soi que vous avez noté dans votre profil du candidat idéal.

LA RECRUTEUSE : Soixante-dix pour cent de soumission et trente pour cent de confiance en soi.

FLAVIE : Vous aimez donc le sarcasme vous aussi, voilà qui nous fait au moins un point commun.

LA RECRUTEUSE : Je n'ai pas de temps à perdre en explications sur notre façon de procéder. J'ai suffisamment d'expérience de mon métier pour ne pas devoir justifier mes pratiques auprès d'une pré-stagiaire. Acceptez-vous de répondre à mes questions ou dois-je interrompre cet entretien dès maintenant ?

FLAVIE : Excusez-moi. Poursuivons.

LA RECRUTEUSE : Quels sont d'après vous vos défauts ?

FLAVIE : C'est à celle-là que je dois répondre que je suis trop perfectionniste ? Le pire, c'est que c'est effectivement le cas. J'aime quand les choses soient bien faites, et je tolère assez mal de travailler avec des incompétents. Et puis, aussi, comme vous l'avez constaté, j'ai un tempérament épouvantable. Je suis trop indépendante, je n'aime pas me ranger à l'avis de la majorité quand il me semble évident qu'elle a tort. J'aime m'exprimer et je ne tolère pas de me rabaisser. Je crois que l'autorité devrait reposer sur le mérite et les compétences et pas sur une position arbitrairement donnée. J'aime l'efficacité, et je peux vous assurer que c'est un défaut assez important dans un monde où la médiocrité est une norme. J'aime que les choses aient du sens et je suis prête à tout pour trouver des explications. J'ai énormément de défauts, comme vous le constatez. Cependant, et j'ose gager que certains sauront le voir, mes défauts sont aussi le pendant de mes plus grandes qualités.

LA RECRUTEUSE : Peut-être que certains sauront le voir quand vous serez devenue capable de le montrer d'une façon adéquate.

FLAVIE : Quelle est la question suivante ?

LA RECRUTEUSE : Quelle est d'après-vous la première qualité à posséder pour pouvoir travailler en équipe ?

FLAVIE : La médiocrité.

LA RECRUTEUSE : Pouvez-vous détailler cette réponse ?

FLAVIE : Etre au même niveau que les autres est essentiel pour avancer à leur rythme et surtout pour ne pas les contrarier. L'excellence leur semblera toujours offensante. Enfin, j'exagère un peu : tout dépend de l'équipe en question. Mais si l'équipe est incompétente, comme il me semble que c'est le cas de la plupart des équipes...

LA RECRUTEUSE : Votre réponse est notée. Quels sont pour vous les caractéristiques d'un maître de stage idéal ?

FLAVIE : L'écoute, la compréhension, la disponibilité, la capacité à fournir des explications et du sens aux différentes tâches, la pertinence des feedbacks et la capacité à se remettre en question.

LA RECRUTEUSE : Que vous inspire le mot polyvalence ?

FLAVIE : Je pense qu'il est essentiel de pouvoir effectuer des tâches de nature très différente. Premièrement, c'est plus stimulant pour l'employé qu'un travail monotone. Deuxièmement, un projet ne peut être mené à bien que si les différents aspects sont gérés par la même personne, ou au moins si l'un des membres de l'équipe conserve un regard sur l'ensemble. Si tout est sectorisé sans connaissance de ce qui s'est fait exactement sur les autres parties du projet, ça ne fonctionnera pas. Car les différents aspects sont liés et fonctionnent ensemble. Cependant, la polyvalence n'inclut pas pour moi d'aller chercher des cafés et faire des photocopies. De plus, elle ne doit pas être synonymes d'interruption. Les différentes tâches doivent être organisées ; gérer à tout moment l'arrivée de nouvelles informations est une source de perte d'efficacité difficilement mesurable.

LA RECRUTEUSE : Croyez-vous que les informations vous attendront pour arriver ? Avez-vous déjà eu une boîte mail ? Pensez-vous qu'il est réaliste de concevoir un travail qui s'adapte à votre organisation et sans interruptions ni imprévus ?

FLAVIE : Je ne crois pas que ces questions fassent partie de votre script. Je sais que les interruptions sont une réalité et qu'il faut s'y adapter, ce que je me crois d'ailleurs capable de faire. Cependant, il est indéniable qu'elles constituent une source de perte d'efficacité, sans parler de surcharge mentale source d'erreurs, d'oublis et de stress. Vous m'avez demandé ce que m'inspirait le mot alors je vous ai listés les réflexions qu'il m'inspirait.

LA RECRUTEUSE : Question suivante. Comment gérez-vous l'échec ?

FLAVIE : Je l'ignore, n'en ayant jamais rencontré. En fait, je suppose que j'en ai rencontré, mais toujours des échecs à une étape intermédiaire que j'ai réussi à rattraper pour arriver à un succès final. Le transformer en réussite ou au moins en apprendre quelque chose, ça me semble la façon de gérer l'échec.

LA RECRUTEUSE : Que feriez-vous si le stage ne vous satisfaisait pas ?

FLAVIE : Voilà une question qui est loin de m'inspirer confiance en la qualité du stage que vous proposez. Mais, si j'étais engagé dans un stage insatisfaisant, je le poursuivrais malgré tout en faisant de mon mieux, car je n'aurais pas d'autre choix pour obtenir mon diplôme.

LA RECRUTEUSE : Vous diriez-vous pointilleuse ?

FLAVIE : La plupart des gens me diraient pointilleuse. Mais moi, pas vraiment. Je pense être capable de faire la part des choses entre ce qui est un détail et ce qui est important. Je ne serais pas dérangée par une page d'un rapport cornée mais je serais dérangée si un mot mal choisi peut conduire à un éventuel contresens. Je suis exigeante mais pas forcément pointilleuse.

LA RECRUTEUSE : Que diriez-vous de votre capacité à gérer vos émotions ?

FLAVIE : Que vous avez déjà posé cette question.

LA RECRUTEUSE : Mais vous n'y avez pas répondu.

FLAVIE : Indirectement, si. J'ai besoin d'exprimer mes émotions, qui sont très fortes quand je constate de l'injustice ou de l'incompétence. Je me dois d'exprimer mon point de vue et mes arguments, sinon j'ai l'impression de me laisser faire. Cependant, je sais m'exprimer sans crier et en restant calme, de façon réfléchie et pertinente. Même si certain trouvent que le simple fait d'exprimer ses opinions est toujours insolent, quelque soit la façon de le faire.

LA RECRUTEUSE : D'après ce que vous avez pu comprendre du stage, qu'est-ce qui vous semble le plus difficile ?

FLAVIE : De ne pas pouvoir suggérer d'idée et exprimer mes opinions.

LA RECRUTEUSE : Et qu'est-ce qui vous semble le plus enthousiasmant ?

FLAVIE : Les missions elles-mêmes. Et la possibilité qu'éventuellement certains des collaborateurs aient une attitude plus ouverte que vous.

LA RECRUTEUSE : Quel est le point sur lequel ce stage vous permettrait d'effectuer le plus de progrès ?

FLAVIE : La capacité à travailler avec des gens qui ne partagent pas ma vision de travail.

LA RECRUTEUSE : Et, pour finir, à l'issue de cet entretien, pensez-vous être la candidate la plus adéquate pour ce stage ?

FLAVIE : Non.

LA RECRUTEUSE : Très bien. Je vous remercie. Bonne soirée.