Appartement 8 : Des confidences chez les demoiselles ONDI

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GRACE : Encore des courgettes ?

MME. ONDI : Depuis quand tu n'aimes pas les courgettes ?

GRACE : J'adore les éclairs au chocolat, mais je n'en mangerais pas tous les jours.

MME. ONDI : Bonne nouvelle pour ta ligne ! Mais je t'ai demandé si tu aimais les courgettes, pas si tu aimais les éclairs.

GRACE : J'aime bien les courgettes, mais trois fois de suite ça commence à faire beaucoup.

MME. ONDI : Si tu en avais plus mangé hier, il n'y aurait pas eu de restes pour aujourd'hui.

GRACE : Si, il y en aurait quand même eu. Mais seulement pour une personne.

MME. ONDI : J'ai une question à te poser, Grace.

GRACE : Bah pose-la.

MME. ONDI : Tu aimes bien les courgettes. Et tu adores les éclairs au chocolat. Mais, à ce que j'ai cru comprendre, il y aussi autre chose que tu aimes beaucoup.

GRACE : Tu es encore tombée sur un emballage de tablette de chocolat c'est ça ? Je t'ai dit mille fois d'arrêter de fouiller dans ma chambre !

MME. ONDI : Je ne fouille pas, je range. Ce que je n'aurais pas à faire si tu le faisais toi-même. Mais je n'ai trouvé aucun emballage de tablette de chocolat. Encore ravie d'apprendre que tu continues d'en acheter dans mon dos. Mais c'est ton problème après-tout. Le jour où tu le regretteras, ne viens pas me dire que j'aurais dû te prévenir.

GRACE : Tu as trouvé quoi alors ?

MME. ONDI : Je n'ai rien trouvé. Je n'ai même pas rangé ta chambre aujourd'hui. Par contre, j'ai entendu dire qu'il y a quelqu'un que tu aimes bien. Un garçon...

GRACE : Je t'ai dit aussi de ne pas écouter aux portes quand je téléphone à mes amis. C'est une violation de mon intimité. Je me demande si on n'a pas le droit de prévenir les services sociaux de ce genre de crime.

MME. ONDI : Un crime ? Je n'écoute pas aux portes. Et même si je le faisais, je ne pense pas que ce serait un crime. Je ne te gronde pas, Grace. Je suis vexée, c'est tout. Triste, et confuse. Je pensais qu'on était proches toutes les deux. Je suis contente pour toi. Très contente. C'est la première chose. Mais la deuxième, c'est que je suis désolée de découvrir que ma fille ne me fait pas confiance. Je pensais vraiment que, quand ce genre de chose arriverait, tu m'en parlerais, tu te confierais à moi. Mais non, je suis une pauvre idiote qui apprend par la voisine que sa fille a un petit-copain. Bonjour, Madame Ondi, Bienvenue dans la famille. Qu'est-ce que vous me chantez-là Madame Lager ? Et bien, votre Grace et mon petit Antonin semblent vivre le parfait amour depuis trois jours ; vous n'êtes pas au courant ? Ah, si, bien sûr, ma fille m'en a parlé. Obligée de mentir pour ne pas passer pour une mère si terrible que sa fille ne lui dit pas qu'elle a un copain. Pour qui je passe moi, tu veux bien me le dire ?

GRACE : Donc en fait tu n'es pas vexée que je ne me confie pas à toi, mais vexée que des gens risquent de penser que tu n'es pas le genre de mère à qui l'on se confie. C'est pour ton image que tu es triste.

MME. ONDI : Ne dis pas n'importe quoi. Je ne veux pas que l'on se dispute. J'ai juste besoin de comprendre pourquoi tu ne m'as rien dit.

GRACE : Ça fait seulement trois jours, Maman. Je ne sais pas. Je voulais un peu garder ça pour moi toute seule. Je n'ai pas trouvé la bonne occasion ou la bonne façon de te le dire. C'est encore trop récent et j'ai peur de me ridiculiser devant toi si jamais ça ne marche pas. J'ai peur de tes questions, que tu casses mon enthousiasme, de ce que tu vas penser de lui. Je ne sais pas. Je n'ai pas eu envie ou besoin de te le dire pour l'instant, c'est tout. Mais ça fait seulement trois jours.

MME. ONDI : Je ne suis pas là pour casser ton enthousiasme ma chérie. Ça me fait de la peine que tu penses ça. Je ne suis pas là pour te juger. Quand je t'attendais, toute seule, et que j'ai appris que tu serais une fille, c'est une des premières choses que je me suis imaginées. Toi, adolescente, me demandant des conseils pour tes histoires de cœur. Moi, te consolant dans tes chagrins, me réjouissant de ton bonheur. Une complicité entre nous. Qu'est-ce que j'ai fait pour ne pas avoir le droit à ça ? Je fais si peur que ça ?

GRACE : Maman, arrête... Ce n'est pas contre toi. Ce n'est pas un droit que je t'aurai retiré pour te punir de quelque chose, ou que tu n'aurais pas mérité. C'est juste que ce n'est pas un droit à la base. Chaque personne à sa propre façon d'être et chaque relation mère-fille est unique. Je n'ai pas envie de dépendre de toi ou de mener ma vie selon tes conseils. Des fois, je n'ai pas besoin de conseils, j'ai juste besoin de mener ma barque toute seule comme une grande. Je veux être moi et pas une mini version de toi. Je veux vivre ma vie. Je ne veux pas revivre la tienne en évitant tes erreurs. Je veux vivre la mienne et faire mes propres erreurs. C'est tout.

MME. ONDI : Tu crois que ce garçon est une erreur ?

GRACE : Non, je ne crois pas. Mais même si c'était le cas, je voudrais m'en rendre compte toute seule. Je suis heureuse Maman. Il ne faut pas t'inquiéter pour moi.

MME. ONDI : Mais depuis quand ça couve cette histoire ?

GRACE : Depuis le début de l'année, je dirais.

MME. ONDI : Pas faute de t'avoir demandé si un garçon t'intéressait pourtant, et à de multiples reprises. Et toi, là, à me mentir, à faire celle qui n'est pas intéressée par les garçons, qui préfère s'amuser avec ses amis et faire ses propres projets, qui dit que l'amour ne fait pas le bonheur, ... Alors que tu étais amoureuse.

GRACE : Je ne t'ai jamais menti Maman. Je crois vraiment que l'amour ne fait pas le bonheur, et ce n'est pas parce que je dis que les garçons ne sont pas le centre de la vie d'une fille que ça veut dire que je ne suis pas intéressée par qui que ce soit. Je ne t'ai rien dit, mais je n'ai jamais menti.

MME. ONDI : Le pire, c'est que je le savais. Je le savais, mais je ne pouvais rien dire. Je ne pouvais pas t'en parler tant que toi tu ne me disais rien. Je savais que le petit Antonin s'intéressait à toi. Mais, bêtement, je pensais que tu n'en avais rien à faire. Je me disais : ce n'est pas grave qu'elle ne t'en parle pas, c'est juste parce que ça lui est indifférent. Mais non. J'aurais voulu être une mère à qui tu racontes tout : quand un garçon s'intéresse à toi et quand toi tu t'intéresses à un garçon.

GRACE : Ce n'est pas que tu n'es pas ce genre de mère. C'est juste que moi je ne suis pas ce genre de fille. Et comment ça tu savais qu'Antonin s'intéressait à moi ?

MME. ONDI : J'ai trouvé son mot dans ta poubelle. Pourquoi tu as jeté ce mot si toi aussi tu l'aimais bien ? Je ne comprends pas...

GRACE : Tu ne comprends pas ? Et moi je ne comprends pas pourquoi tu t'obstines à fouiller dans mes affaires. C'est justement pour ça que j'ai jeté ce mot : pour que tu ne tombes pas dessus.

MME. ONDI : C'est ridicule. Je ne fouille pas, je range. Combien de fois il va falloir te le dire ? Je vide tes poubelles, dénonce-moi donc à la DASS pour ça. Ton mot aurait eu moins de chances de tomber devant mes yeux si tu l'avais rangé dans tes papiers.

GRACE : Je ne pensais pas que tu allais jusqu'à fouiller dans les poubelles ; c'est répugnant.

MME. ONDI : C'est une corbeille à papier, Grace. La chose la plus sale qu'il y ait dedans ce sont des emballages de chocolat.

GRACE : Et tu lis aussi les emballages des tablettes de chocolat ?

MME. ONDI : Non, mais tu devrais peut-être le faire toi ; ça risquerait de te décourager de les manger que de voir leur composition.

GRACE : Encore à parler de chocolat. Franchement, je pense que si tu t'accordais le droit d'en manger de temps en temps, le sujet t'obséderait nettement moins.

MME. ONDI : Je préférerais largement parler d'Antonin.

GRACE : Vas y, dis-moi donc ce que tu penses de lui, puisque tu en crèves tant d'envie.

MME. ONDI : Mais je ne sais rien de lui, moi. Du peu que j'ai pu voir, ça me semble un garçon très bien. Je serais ravie de le rencontrer, ou que tu me parles de lui. Je ne suis pas là pour juger. C'est ton copain, Grace, pas le mien. S'il te plaît à toi, c'est tout ce qui compte. Par contre, il faut bien avouer que sa mère est une sacrée peste. Bienvenue dans la famille, qu'elle m'a dit avec son petit ton ironique. Comme si toi, mon petit ange adoré, allait être une tâche dans sa jolie famille. Ou comme si elle ne croyait pas deux secondes que votre relation allait durer plus de trois jours. De toute façon, je m'en fiche de l'avis de cette femme. C'est le genre de snob qui a peur que si jamais elle met une jolie robe et se coiffe un peu on ne la prenne pas pour l'intellectuelle qu'elle est. Elle nous prend probablement pour des ignares du seul fait qu'on prenne soin de nous.

GRACE : On ? Toi et moi ? Depuis quand tu considères que je prends soin de moi ?

MME. ONDI : C'est donc tout l'attrait de cet Antonin ? Tu veux rentrer dans cette famille et prendre exemple sur cette femme imbue de sa personne qui t'apprendre à justifier le fait de se négliger à coup de réparties.

GRACE : Mais qu'est-ce que je connais de la maman d'Antonin, moi ? Je ne l'ai jamais rencontrée.

MME. ONDI : Bien sûr que si, tu étais avec moi dans le hall ce jour où j'ai eu l'audace de gentiment lui indiquer que ses collants étaient filés et où elle m'a bien rembarrée en m'indiquant qu'elle n'en avait rien à faire.

GRACE : Elle n'a pas du tout été agressive. Elle a juste dit qu'elle le savait et que de toute façon quasiment tous ses collants étaient filés mais qu'elle s'en fichait.

MME. ONDI : Comme si, avec ce qu'elle gagne, elle ne pouvait pas se permettre de s'acheter des collants neufs.

GRACE : Il faut avouer que ça se file vite quand même, les collants. Rien que le mois dernier j'en ai jeté cinq paires à la poubelle.

MME. ONDI : C'est peut-être parce que tu ne fais pas attention à tes affaires.

GRACE : Moi, je dis que les collants devraient se vendre avec une garantie.

MME. ONDI : Et qu'en dit Antonin ?

GRACE : Lui et moi n'avons pas encore eu l'occasion de parler de collants.

MME. ONDI : Je m'en doutais un peu.

GRACE : Alors pourquoi tu poses la question ?

MME. ONDI : C'est juste une façon de ramener le sujet sur lui. Il est comment ?

GRACE : En général quand toi tu poses cette question, tu veux dire physiquement. Mais comme tu l'as déjà vu, c'est chouette, on peut directement passer à ce qui compte vraiment. Il est drôle ; très drôle. Et un peu timide aussi, même si je suppose que la plupart des gens ne le voient pas comme ça. Il dit qu'il aime le fait que j'ai toujours l'air heureuse, et que quand il me voit sourire la vie semble soudain avoir la possibilité de gagner en beauté et en joie. Je suppose que ça veut dire que tu avais raison, sur le fait que sourire c'est important et tout ça. Mais ce n'est pas que ça. C'est surtout le rire, je pense. Et ça, ce n'est pas toi qui me l'a appris ; c'est juste à moi. Il trouve que je suis drôle. Sauf pour les pigeons, ça il ne trouve pas ça drôle ; il ne comprend pas.

MME. ONDI : Mais c'est quoi cette histoire de pigeon, Grace ? Tu demandes aux garçons de tuer des pigeons pour te prouver leur amour ? C'est peut-être romantique, mais c'est mal. C'est n'importe quoi, même.

GRACE : Je n'ai demandé à personne de tuer des pigeons. C'est juste une bêtise. C'est moi. Quand je suis énervée. Parfois, j'ai juste l'impression que je suis obligée d'agir comme on attend de moi ou que le destin s'acharne sur moi, et juste que je n'ai pas de contrôle sur ma vie, et je me sens impuissante. Alors, j'ai envie de me sentir libre, de faire quelque chose de stupide mais qui vienne vraiment juste de moi. Alors, je lance des cailloux près des pigeons. Je ne les touche pas, mais je me dis que si je voulais le faire, je pourrais. C'est juste une façon de me prouver que je suis un être libre.

MME. ONDI : Ouais, tu t'entendras probablement bien avec ta future belle-mère.

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