Je n'avais été invité par personne, mais la curiosité me poussa jusque dans ce bar. La trentaine, je ne passais pas inaperçu parmi l'amas de jeunes qui se poussait pour descendre au sous-sol. Je découvris un amas de fumée que je chassais de revers de main, en vain. L'odeur de cigarette me brûlait les poumons, l'air irrespirable. Comment faisaient-ils ? Avec cette chaleur en plus. Je décidais de rester au fond de la salle, derrière la foule qui se bousculait, disputant leurs places au-devant de la scène. J'épongeais mon front quand je vis quatre têtes que je connaissais bien se fendre de rire, une bière à la main. Ils n'eurent aucun mal à se frayer un chemin. Je les suivis pour m'approcher et là, je me rendis compte que je ne pouvais plus rebrousser chemin. Drogues, alcool, baisers à tout-va, voir même du sexe là où il ne devrait pas y en avoir. Je ne voyais plus que ça, et la scène où résidaient les instruments de musiques.

La lumière s'affaissa, créant une autre atmosphère dans la salle. Ils étaient soudainement plus sages, les yeux rivés sur les ombres qui montaient sur scène. Des chuchotements, des rires, des sifflements, dans un silence impatient. Je m'étonnais de cette forme de respect envers les musiciens parce qu'il s'agissait bien de cela. Tous ses jeunes n'étaient venus que pour une chose, admiré ces quatre garçons envoyer valser leur musique. Les cymbales retentissaient doucement, laissant apercevoir un mec avec un bonnet qui descendait presque sur ses yeux. Un autre à la basse, blondinet, les cheveux tirés en arrière, trop de bagues à ses doigts. Il m'avait parlé de lui. Le dernier se voulait plus simple, brun à l'air sympathique, des trous partout dans les oreilles. Il s'occupait de la contrebasse.

Le sol se mit à gronder au claquement des baguettes du batteur, entre les basses et leurs sauts sur le vacarme qui se jouait. Je reçus de la bière sur mon épaule et me distrait de la scène deux secondes. Des cris stridents vinrent violenter mes oreilles. Une silhouette supplémentaire apparut sur la scène. Un jeune garçon vêtu de noir, le jeans serré et un simple t-shirt trop large pour son ossature, rentrée à l'intérieur. Il était effectivement fort mince, grand, des mèches tout aussi noires que ses chaussures pointues, tombaient devant ses yeux. Il les releva d'une main où résidait une seule bague. Ce dernier geste fit hurler les filles, la sueur s'entremêlant dans sa chevelure déjà humide et le long de son cou. Il mit sa main sur le pied du micro, la guitare, tout aussi sombre, pendouillant à son épaule. Le temps se suspendit, l'arrachant de son support pour le porter à sa bouche. Le bourdonnement recommença, ajouté à ça, un cri de désespoir. Il animait la foule plus que tous les autres, de sa voix fluette, transcendante. Autant que son regard, lorsqu'il s'agenouillait au bord de la scène. Il voutait le dos, comme une bête, cherchant des yeux une proie dans la foule. Puis, un sourire espiègle se dessinait le long de ses lèvres. Un clin d'œil faisait tomber une fille et il se relevait, revenant sur ses pas sans tourner le dos à ses fans. Le micro à nouveau en place, doigts sur les cordes, sa voix explosait dans un solo. Et quand il murmurait ses paroles, je les entendais chuchoter avec lui : "I'm the Raven".         

*Je suis le corbeau*