Chapitre 9 : Entorse.
Jouer au pigeon voyageur ne déplut pas à Louis, il était ce genre d’ami qui ferait n’importe quoi pour que les siens soient heureux. C’est la raison pour laquelle nous nous entendions si bien.
Dès le lendemain de sa discussion avec Elliot, il entreprit de faire passer le message à Katerina. Il décida de ne pas le faire en cours : on ne sait jamais qu’un professeur l’entendrai. Mais il n’en eut pas l’occasion, alors ce serait sur le temps de midi qu’il trouverait un prétexte pour lui parler. De nouveau, il ne put le faire, car elle s’avéra être introuvable.
Lui qui n’avait pas prévu d’en informer Alicia fut bien obligé de lui expliquer la situation afin que le message passe pour le soir-même.
- Tu voulais garder ça secret ? murmura-t-elle d’un air outré.
- Elliot me l’a demandé personnellement, je ne voulais pas trahir sa confiance.
- Tu as bien fait, fit-elle en déposant une main sur sa joue, lui lançant un regard si tendre qu’il ne put résister de l’embrasser. Tu sais qu’elle adore danser, non ? gloussa-t-elle alors qu’elle lui tapotait sur la cuisse.
- Danser…
Il sut exactement où se rendre et s’aventura jusqu’aux locaux de danses au-dessus de l’auditorium. C’est effectivement là qu’il la trouva, dans la dernière salle. Katerina grognait contre son reflet dans le miroir, incapable d’enchaîner les pas qu’elle avait appris le soir précédent. Elle déposa son index sur la réflexion de son visage, comme pour le mettre en garde et s’installa à nouveau au milieu de la salle. En boule, assise au sol et les genoux recroquevillés contre sa poitrine. Elle fit alors onduler sa main vers le plafond et y déposa son regard pour la suivre dans ses vagues. Celle-ci vint se replacer le long de sa jambe tendue dont la force lui permis de se glisser contre le parquet et revint sur ses pattes. Elle enchaînait des petits pas, comme si elle ne les maitrisait pas encore correctement. Soudain, elle fut plus vive, plus sûr d’elle, tournoyant avec vigueur.
Louis qui l’observait en silence depuis les baies vitrées la trouvait charmante jusqu’à ce qu’il lui découvre un visage plein de colère. Chaque mouvement se voulait abrupt et travaillé. Elle s’avança à nouveau vers son double, en la pointant du doigt et entreprit une série de mouvements ardus pour s’arrêter en plein milieu, trépignant sur place. Elle n’y arrivait pas, agrippant sa tête pour tirer sa crinière noire en arrière. Elle tapa du pied au sol, puis encore une fois, en échouant à nouveau. La rage se dessinait bientôt, s’acharnant sur les mouvements et forçant un peu plus sur son corps à chaque fois qu’elle retentait sa chance. Perdant patience, elle plaqua sa main contre le miroir et pestiféra contre elle-même. Katerina utilisa la paroi pour se relancer, la pression des doigts sur la vitre la poussant à nouveau vers le centre. Plus sérieuse que jamais, elle attacha ses cheveux en queue de cheval. À ce moment-là, elle découvrit le reflet d’une grande silhouette qui l’observait. Elle se retourna vivement et s’accabla d’un air déçu. Sans doute, avait-elle pensé qu’il s’agissait d’Elliot. Mais ce ne fut que Louis qui ne voyait plus de la haine, mais de la honte dans ses yeux. Il s’invita dans la salle pour réduire le malaise.
- Ne baisse pas le son, fit-il en coupant son élan d’un geste. J’ai juste un message pour toi, ajouta-t-il.
Sous les cris de la radio, Louis lui fit parvenir la requête d’Elliot. Même si personne n’aurait pu les entendre, il préféra rester vague. Il n’eut qu’à lui dire qu”’il” la rejoindrait dans sa chambre à vingt et une heures, sans même préciser son nom pour qu’elle comprenne. Elle acquiesça d’un air préoccupé, se ventilant d’une main, essoufflée. Lorsque Louis rebroussa chemin, elle serra les poings, prête à reprendre l’enchaînement. Cette fois, elle crut y arriver, mais elle tomba à la place, attrapant sa cheville dès le moment où elle atterrit sur ses fesses. La serrant entre ses deux mains, elle n'arriva pas à se contenir, ses larmes s'écrasant lourdement sur ses joues. Au fond ce n'était pas vraiment l'entorse au pied qu'il lui faisait mal, mais plutôt celle au coeur.
***
Après sa douche du soir, Katerina enfila son pyjama et débuta un long périple en faisant attention de ne s’appuyer que sur une jambe. Elle brossait sa chevelure à grands coups de brosse, pressée par le temps. Elliot arriverait dans quelques minutes. Elle avait fini ses devoirs avec difficulté, ne pensant qu’au moment où il passerait le pas de la porte. L’infirmière de l’école lui avait mis une bande autour de sa cheville. Elle la changeait lorsqu’elle entendit frapper à sa chambre. Là, elle se dépêcha de remettre ses cheveux et son short en place. Clopinant jusque-là, elle sentit son cœur s’accélérer en saisissant la poignée. Elle déposa une main sur sa poitrine, tentant de récupérer sa respiration saccadée. Mais lorsqu’elle lui ouvrit, Elliot ne lui laissa pas le temps de reprendre une autre bouffée. Il s’engouffra dans la chambre, claquant la porte d’un geste qui continua son chemin jusque dans son cou.
- Enfin, soupira-t-il avant de l’embrasser.
Katerina succomba à ses baisers fougueux, se laissant porter par son rythme et ses désirs. Il la guida jusqu’au lit, glissant ses mains à la fois sous son t-shirt et à l’intérieur de son short. Dans les draps, il agrippait ses fesses et les remonta dans le bas de son dos pour caresser ensuite ses côtes. Au-dessus d’elle, leurs regards se croisèrent et il déposa son front brûlant contre le sien. À nouveau, il sauta sur ses lèvres et sa main entreprit le chemin jusqu’à son entrecuisse. La caresse la fit sursauter, douloureuse, comme une piqure de rappel.
- Elliot, attends, souffla-t-elle en poussant sur son épaule.
- Je t’ai fait mal ? s’inquiéta-t-il directement en lui caressant la joue.
- Non mais… Non arrête, fit-il en refusant le baiser qu’il s’apprêtait à lui donner.
Il se redressa d’un coup, déposant ses mains sur ses épaules tout en la toisant du regard. Katerina se replia contre le dossier du lit, refusant à nouveau le contact avec lui. Soudainement, elle n’osait plus le regarder dans les yeux alors qu’il cherchait son attention.
- Je suis désolée, s’excusa-t-elle en s’enlaçant de ses propres bras.
- De quoi es-tu désolée ? Je ne te forcerais jamais à…
- Ce n’est pas ça ! Ce n’est pas le problème…
Elliot déglutit, sachant exactement quelle était la nature du “problème”. En baissant les yeux, il découvrit son bandage à la cheville. Il vint entourer sa main autour de son mollet, caressant le dessus de sa cheville du bout des doigts. Quel meilleur moyen avait-il pour détourner la discussion ?
- Tu t’es fait mal en dansant ?
- Oui… Mes parents vont être enchantés de l’apprendre, comme tout le reste d’ailleurs, dit-elle péniblement en baissant les yeux.
- Kat, souffla-t-il en s’approchant à nouveau de son visage.
Encore une fois, elle détourna la tête, refusant catégoriquement de l’embrasser. Il osait espérer que ça ne se passe pas de cette manière, même s’il l’avait prédit. Selon lui, Katerina avait la réaction appropriée, fidèle à elle-même. Il ne pensait quand même pas qu’elle le rejetterait si fort.
- Tu veux que je rentre ? lui demanda-t-il en se levant.
- Non ! Je veux dire… non… Il faut qu’on…
- Je retourne dans ma chambre…
- Il faut qu’on parle ! s’écria-t-elle en sortant du lit à son tour.
- Je ne veux pas ! Pour me dire quoi, hein ? Non, je ne veux pas entendre ce que tu as à dire, affirma-t-il en se dirigeant vers la porte.
- Mais on ne peut pas se quitter comme ça ! fit-elle en le rattrapant par le bras.
- Je ne veux pas te quitter ! lui cria-t-il en se retournant. Quoi ? Ça t’étonne tant que ça ?? ajouta-t-il devant sa surprise. Ça t’étonne que je veuille rester avec toi et continuer comme avant ?
- Nous ne pouvons pas continuer, répondit-elle sérieusement.
- Je… Ah, bordel, jura-t-il en serrant son poing.
- Tu sais qu’on ne peut pas.
- Bien sûr que je le sais !! Mais je pensais que tu serais triste !
- Parce que tu crois que je ne le suis pas ?! rétorqua-t-elle d’une voix tremblante.
- Si tu l’es, alors tu caches bien ton jeu ! Alors que moi, déglutit-il comme pour essayer de ravaler ses larmes.
- Comment tu peux dire ça ? dit-elle dans un murmure, alors que je m’efforce de… Ce n’est vraiment pas jute, sanglota-t-elle. Ne me regarde pas, grogna-t-elle en se détournant de lui.
- Non, montre-moi, fit-il en lui prenant le visage. Je veux voir que tu tiens à moi, que tu m’aimes…
- Comment peux-tu croire que je ne t’aime pas ? couina-t-elle en laissant échapper un sanglot. Tu es l’amour de ma vie, avoua-t-elle alors en plongeant sa tête dans son torse, rouge jusqu’aux oreilles.
Il l’entoura de ses bras et la serra très fort, lui collant un bisou sur le dessus de la tête. L’étreinte l’étouffait, son nez voguant dans son cou qui sentait si bon. Il humait également son odeur et déposa sa main dans sa nuque. Une énième fois, il ramena son visage vers le sien.
- Non, supplia-t-elle.
- Juste un dernier, chuchota-t-il sur ses lèvres.
- Et… après ? Tu sais que… balbutia-t-elle en glissant sa main dans la sienne.
- Oui je sais, je m’en irais, dit-il difficilement. Et je promets que je ne t’oublierais pas…
- C’est ce que tu dis…
- Comment pourrais-je oublier Katerina Hodaïbi ? La plus belle femme que je pus rencontrer dans ma vie. Magnifique, intelligente, pleine de surprise et de tendresse derrière cette dose de charme, irrésistible…
- Tais-toi, rougit-elle.
- Kat, fit-il en lui emprisonnant le regard, je t’aime.
- Je t’aime, répondit-elle dans une plainte étouffée.
Elliot prit son temps pour déposer ses lèvres contre les siennes puisqu’il s’agissait du dernier baiser qu’il lui donnerait. Les frôlant, il se convint, qu’un jour, il les gagnerait à nouveau. Et quand il l’embrassa à pleine bouche, elle se laissa aller, répondant avec tendresse à sa chaleur. Elle serrait sa main, il la collait un peu plus et à bout de souffle, ils ne voulurent pas se détacher de l’autre. Cette cassure lorsqu’ils se virent à nouveau, elle était réelle. Katerina amena ses mains sur son nez, cachant la moitié de son visage en pleurs. D’un mouvement, accompagné d’un gémissement, elle lui fit signe de partir. Il soupira tout du long qu’il reculait, portant une main sur son torse. La voir pleurer lui fendait le cœur, il se sentait incapable de la quitter.
- Ferme la porte derrière toi…
Elle répondit par un sanglot et par plusieurs hochements de tête. Lorsqu’il tenait la clenche en main, elle se précipita à ses côtés, le suppliant soudainement de ses yeux larmoyants. Il lui fit une caresse sous le menton.
- Je ne t’oublie pas…
- Promis ? s’efforça-t-elle de demander.
- Promis.
Un dernier sourire avant de partir, alors qu’il parcourait son magnifique visage de sa main. Ensuite, la peine et la difficulté : sa main tremblait sur la poignée, osant à peine la fermer. Il recula pourtant d’un pas supplémentaire et disparut après un claquement de porte brutal. Katerina s’écroula au sol dès qu’elle eut fermé à clé. Et de l’autre côté, Elliot fit de même. De chaque côté du battant, ils pleuraient à ne pas entendre les plaintes de l’autre, alors qu’ils gardaient tout deux une paume sur leur côté de la porte, dans l’espoir de garder un dernier lien.
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