Chapitre 10 : Mascarade.

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Mon majordome s’appelait Léo, c’est lui qui me conduisait la plupart du temps à mes matchs de baskets. Sous ses grands airs d’homme de maison en costume, c’était un ancien fan de Bob Marley. Rastafarisme à une époque, je me demandais souvent comment il avait atterris dans notre maison. Je crois que mon père avait des dettes envers lui. Je ne me suis jamais plaint de sa présence, au contraire. Sans lui, mon enfance aurait été doublement ennuyeuse. Mes parents étaient tellement absents qu’ils n’avaient même pas conscience de l’importance de cet homme dans ma vie. Il comptait, comme un frère. Les gens disaient qu”Elliot Fast” tenait sa sympathie de ses parents, mais je la puisais de cette personne. Un homme doux, bienveillant, positif et toujours souriant, voilà qui m’avait réellement élevé.

Alors quand il vint dans ma chambre, l’air abattu, je n’eus besoin de mots pour comprendre qu’il avait une mauvaise nouvelle à m’annoncer. Je vis dans son regard un léger sentiment de trahison : je ne lui avais jamais dit pour Katerina, pour des raisons évidentes. Plus qu’un manque de confiance, je ne voulais pas le forcer à garder des secrets à la famille qui l’employait. Il m’invita d’un geste à rejoindre le salon où mes parents m’attendaient. En descendant les escaliers, je me préparais mentalement à leur faire face. Mon père dont je tenais mon roux se tenait sur son éternel fauteuil en cuir et ma mère faisait les cents pas dans le salon. Elle s’obligea à prendre un air sévère lorsqu’elle je m’assois. C’était plus une mère poule qu’une mère stricte et le paternel se voulait têtu, mais pas réellement méchant. Je n’osais tout de même le défier lorsqu’il avait une idée en tête.

- Vous vouliez me parler ? demandais-je en prenant place.

- C’est exact, fit mon père. Maintenant que la fin de l’année est proche, il est temps que nous parlions de ton futur. Tu vas sur tes seize ans et tu sais ce que ça signifie ? Nous allons pouvoir te choisir une partenaire ! La liste de prétendantes est longue alors nous pensions commencer dès la semaine prochaine.

- La semaine prochaine ? Je pensais que ça se ferait à la rentrée…

- Il semblerait que nous soyons dans l’urgence, dit ma mère sur un ton pincé.

- C’est-à-dire ? osais-je demander.

- Nous savons, fit-elle en croisant les bras.

- La relation des enfants Akitorishi et Challen a été un scandale, ils n’ont pu la cacher qu’à moitié, ajouta mon père. Nous ne voulons pas que ça se passe de la même manière, alors entre toi et Katerina Hodaïbi….

- Katerina Hodaïbi ? répétais-je en laissant un rire m’échapper. Ah, excusez-moi, mais… c’est une plaisanterie ?

- Ce n’est pas la peine de faire semblant, nous avons vu les photos du bal, soupira ma mère.

- Il n’y a rien entre nous. Absolument rien, insistais-je.

- Et avec Michael Challen ? Eh oui, tout se sait, s’exclama-t-il.

- Il est vrai que j’ai de bons contact avec Challen, mais…

- Peu importe qu’il y ait quelque chose ou non, nous te l’avons dit, pas de scandale. Donc dès la semaine prochaine, nous t’organiserons des rendez-vous avec les filles de ton école que nous jugeons correctes ? Et si tu as un problème avec cette idée…

- Non, absolument pas. J’y suis préparé depuis longtemps, après tout, répondis-je en me relevant du siège.

- Elliot, cette conversation n’est pas finie !

- Et les examens commenceront bientôt, entre les études et les rendez-vous, autant profiter de chaque moment pour étudier, rétorquais-je avant de reprendre le chemin de ma chambre.

J’ai sauté à plat ventre dans mon lit, enfonçant ma tête dans les coussins. En me retournant sur le dos, j’empoignai la petite balle de basket en mousse sur ma table de nuit et l’envoya valser dans le panier au-dessus de ma porte. Elle retomba aux pieds de Léo qui s’invita dans ma chambre sans raison particulière : juste pour discuter de tout et de rien. Il savait que je ne lui parlerai pas de Katerina, ni de ma relation avec les Richess, mais il était là pour moi. Pendant qu’on se faisait des passes avec la balle à discuter de mes prochains matchs, je pensais aux photos du bal. Par chance, nous avions oublié d’en faire une tous ensemble. Blear et Dossan avait conclu durant la soirée, il n’y avait donc pas de preuve les concernant, à l’inverse de Chuck et Marry. Je n’avais aucune idée d’où ils en étaient dans leur relation. Est-ce que leurs parents savaient ? Est-ce qu’ils se voyaient encore en cachette ? Mes pensées se tournèrent de nouveau vers ma mustang. L’intrépide et indomptable, Katerina Hodaïbi me manquait à en mourir. C’est rêveur et le cœur brisé que je partis pour une nuit de sommeil agité, entre les cauchemars de zombie femelle voulant me manger et le faux espoir de la retrouver. Tout n’était que songe et mensonge, quoi que la rencontre avec mes prétendantes me rappela ce mauvais rêve.

Elles n’avaient d’yeux que pour moi, ou presque. Certaines de ces filles étaient déjà passées par la case Michael avant de tenter leur chance avec les Fast. Le but de leurs familles s’avéraient simplement de caser ce qu’ils essayaient de faire passer pour de mignonnes petites princesses. Je ne voyais que des monstres surfait dont le cerveau avait été lobotomisé. C’est vrai qu’elles étaient jolies, intelligentes, bourrées de qualités et pleine aux as grâce à leurs parents fortunés avec qui il serait “intéressant de faire du business”, mais ça ne suffisait pas. 

Il fallait que ma future femme soit par-fai-te, c’est-à-dire belle, riche, doté de contrat à la clé, mais surtout qu’elle soit prête à se plier à nos lois. Le mariage n’aurait lieu que lors de nos vingt ans, nous laissant trois de cohabitations pour laisser le choix à ma famille de la jeter à tout moment. Nous offrir un héritier qui porterait uniquement notre nom et serait élevé en notre nom, pour notre nom et ce à dix-sept-ans. Un léger sacrifice pour une adolescente qui serait dans deux tiers des cas : vierge. Tant d’autres règles concernant l’héritage, les contrats et les entreprises de nos parents respectifs. Les adultes se voulaient horrible, vendant leurs filles pour survivre ou plutôt SURvivre, mais elles n’étaient pas mieux.


Les rendez-vous, ou entretiens selon les points de vue, furent nombreux la première semaine. J’étais tiraillé dans tous les sens après chaque journée de cours, alors que la période d’examen allait débarquer. Tout ça pour rencontrer des jeunettes qui rêvaient que je les engrosse pour le bien être de leur famille et personnel. Derrière ces parents perfides, il y avait des enfants endoctrinés, rêvant de mettre ne serait-ce qu’une main dans mon camp. Je refusais chacune d’entre elles, et à mon grand-bonheur mes parents aussi. La mauvaise nouvelle c’est que temps que nous n’avions pas trouvé un parfait match, les rencontres continueraient. Et si les prétendantes s’épuisaient, je serais obligé de choisir entre la peste et le choléra.


Alors que j’enchaînais les têtes la semaine qui suivit, j’essayais de garder le contrôle de cette situation. À la recherche de ma future femme, je devais préparer mes examens et vivre avec a vision de Katerina qui subissait la même chose que moi. Que ce soit Michael, Eglantine, ma dulcinée ou moi-même, nous vivions tous la même chose : combler le trou béant dans notre cœur avec de la boue. Je tentais de cacher ma douleur, pour que mes parents ne se doutent de rien, pour que les parents des familles ne voient pas le subterfuge, mais je n’en avais qu’une en tête. Plus le temps avançait et plus ma Katerina rencontraient des hommes. Il y avait ce jeu à l’école entre les élèves pariant sur qui serait l’élu pour tel ou tel Richess. Personne ne pouvait prédire les résultats et jamais quand ils serraient affichés, jusqu’à ce que ce jour arrive : celui où l’un des sept se montraient en nouvelle compagnie. Finalement, elle trouva son prince, son futur mari, celui qui partagerait ses baisers, ses nuits, tout ce dont je n’avais plus accès. Ce grand mec, bien bâti, des cheveux encre, la peau halée. Il fallait qu’il soit aussi beau, impressionnant et intimidant. Son choix en valait la peine et je savais que le jour viendrait, mais lorsque je les découvris ensemble, j’eus l’impression de perdre la tête. S’en était trop, je ne pouvais assister aux cours dans sa condition, alors je me rendis dans ce nouvel havre de paix.

La bibliothèque me servit d’échappatoire, de bouffée d’air frais, quand je n’arrivais plus à gérer mes émotions. Je séchais les cours pour me rendre entre les livres, espérant trouver un peu de tranquillité entre les bouquins qui me vidaient la tête. J’y courus même, m’engouffrant dans la salle vide comme prévu et la traversa frénétiquement de mes mille pas. Quelle douleur, quelle souffrance, de la voir si proche d’un autre. La jalouse, la possessivité, mon égocentrisme, tout le mauvais ressortait de moi. Autant que mes larmes que je n’arrivai pas à bloquer. Je m’affalai sur une table, pleurant sur mon sort et laissait ma peine se déployait au gré de mes sanglots. J’hoquetais plus fort lorsque j’entendis la porte du local derrière la bibliothèque s’ouvrir et croisais le regard translucide d’une fille tenant une masse de bouquins entre les mains. Très vite, j’essuyais mes yeux avec ma manche et ne sut où regarder. Alors que j’étais venu me cacher en pleine heure de cours, quelqu’un m’avait vu pleurer.


Je suivis du coin de l’œil son dos recouvert de sa chevelure vénitienne me passer devant, comme si je n’existais pas. Rangeant les livres uns à uns dans les allées, je compris qu’il s’agissait sûrement d’une volontaire pendant son heure d’étude pour aider la bibliothécaire. Elle passa à nouveau, toujours sans me prêter aucune intention. Je me frottais le nez, humide et décidai de partir, mais avant même que je ne puisse me lever, elle déposa un mouchoir en tissu sur la table à son troisième passage.


- Fais comme si je n’étais pas là, dit-elle soudainement. Je me suis engagée à m’occuper du rangement, donc je dois rester, mais sois libre de pleurer en tranquillité, ajouta-t-elle toujours en s’occupant du rangement de ces livres.

- Et tu ne veux pas savoir pourquoi le grand Elliot Fast se cache à la bibliothèque pour pleurnicher dans la bibliothèque ? ris-je nerveusement en frottant encore mes yeux rouges. Ce serait un sacré scoop !


Elle m’ignora, s’attelant parfaitement à sa tache, de la manière a plus douce qui soit. Elle prenait soin des livres, caressant leurs couvertures avant de les remettre à leurs places. La passion se lisait dans ses yeux qui parcourait les titres avec beaucoup d’attention. Je me levais pour quitter la pièce, quand je me cachai par réflexe dans une des allées en entendant la porte s’ouvrir. Je reconnus la voix de la bibliothécaire qui s’avançait dangereusement dans ma direction, jusqu’à ce qu’elle élève la voix.


- J’aurais une question concernant l’emprunt des livres, demanda-t-elle en lui indiquant du doigt le comptoir, l’invitant à faire demi-tour.

- Tu as compris ? Est-ce que ça ira toute seule ici pour gérer ? fit la bibliothécaire après de longues explications.

- Je vais m’en sortir, merci.


Le grincement de la porte amena un silence qui se brisa au moment où elle s’invita dans ma cachette, glissant un livre juste à côté de ma tête. Je me retournais sur la rangée en découvrant un soupir et vit que j’avais malencontreusement détruit l’ordre qui y régnait.


- Excuse-moi, murmurais-je comme s’il y avait encore quelqu’un pour nous écouter.

- Ce n’est pas grave, ce sera l’occasion de les reparcourir, répondit-elle en adressant un doux sourire au livre dont elle se dota.

- Tu aimes la lecture, ça se ressent.

- C’est une passion qui me permets de m’évader, en effet.

- T’évader de quoi ? la dévisageais-je.

- Responsabilités, souffla-t-elle en grimaçant un semblant de sourire.

- Oh, je vois, répondis-je dans un hochement.


Il y eut un moment de blanc entre nous, ou l’on s’observait. Il n’y avait que mes yeux pour êtres rouges, mais les siens montraient une immense tristesse, mêlé à une gentillesse que je n’aurais pu expliquer.


- Est-ce que je peux savoir comment tu t’appelles ?

- Alice, répondit-elle du tac au tac.

- Et ton nom de famille ? demandais-je plus délicatement.

- Est-ce que c’est important ? fit-elle en serrant le livre sur sa poitrine.

- Plus que tu ne le penses, rétorquais-je d’un ton désespéré.



Dans l’allée, elle haussa simplement des épaules et rangea le reste de ses obligations. À la place de repartir à la recherche d’un endroit vide, je profitai de sa présence fantomatique pour me poser à une des tables. Les larmes avaient cessé depuis que cette Alice, dont le nom me paraissait faux, m’avait tendu ce mouchoir. Je le gardais dans une main, parcourant les feuilles d'un livre de l'autre, dans la plus grande quiétude que pouvait offrir cet endroit, maintenant animée des va et viens incessant ce cette jeune fille qui m'offrait un regard de temps à autres.

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