Chapitre 23 : Mort.

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L’impression de mourir de l’intérieur, Dossan se tenait dos au matelas, fixant le plafond d’une paire de yeux vides. La main sur son front glacial, il écoutait le réveil-radio dégueuler une chanson d’amour qu’il n’arrivait à éteindre. Il déposa lentement ses prunelles sombre sur l’appareil, tendit entièrement le bras pour le frôler du doigt et se résout à l’inévitable. Son corps refusait d’obéir à sa tête : “bouge”, hurlait-il à l’intérieur. La douleur qui le clouait au lit, quand disparaitrait-elle ? Il n’était même pas certain de vouloir s’en débarrasser. Chacune de ses respirations rapetissait, fermant les yeux pour laisser place à des paupières violettes de s’être trop retenu de pleurer. Viendraient-ils aussi ce matin ? Quelle importance. Tandis qu’il se posait cette question, des coups timides à sa porte lui firent rouvrir les yeux sur le monde. D’un souffle, il fit l’effort de se pencher un peu plus vers son réveil pour en augmenter le volume. De l’autre côté de la porte, ses visiteurs prirent la musique criarde comme un refus.

- Est-ce que vous aurez un pieu ? soupira Elliot en fixant la porte avec détermination.

- Laissons-le tranquille pour aujourd’hui, abandonna Michael.

- Je vais essayer de l’avoir par le balcon, insista Louis qui tenait les clés de sa chambre entre les doigts.

- Non, il finira bien par sortir, l’arrêta Chuck d’un geste. Michael à raison, laissons-lui le temps de s’en remettre. Je le couvre encore jusqu’à la semaine prochaine, après il sera temps d’agir. S’il continue à sécher les cours, son père finira par l’apprendre et c’est hors de question.

Fredonnant l’air qui le répugnait tant, Dossan se roulait dans son lit pour s’installer sur le côté. Il attrapa dans le tiroir de sa table de nuit le paquet de cookie dont il se nourrissait depuis quelques jours. Croquant dans la moitié du biscuit, il laissa l’autre moitié tomber dans les draps, pris d’une envie de vomir. Il envoya valser son seul repas de la journée et se leva, fébrile, pour prendre une douche froide. L’eau qui coulait le long de son corps réveillait davantage sa douleur. Prit de tétanie, il tremblait compulsivement au point de ne plus savoir tenir debout. Il se laissa tomber dans le bac, une main sur le mitigeur, n’arrivant pas à le fermer, il vint placer ses deux mains sur son visage fantomatique pour empêcher ses larmes brûlantes de couler.

Dossan n’avait jamais autant regretter que les derniers mots qu’il avait prononcés à Blear. Ce fut la décision la plus difficile de sa vie : lui ordonner de partir. Il revoyait la confusion sur son visage blessé et pouvait encore ressentir le bout de ses doigts s’accrochant violemment à ses bras. Il avait pleuré toutes les larmes de son corps dans les bras d’une autre, passant la nuit avec Alicia. Bien qu’il n’en fut pas jaloux, il eut du mal à regarder Louis dans les yeux le lendemain matin. Et depuis ce jour, il ne sortit plus de sa propre chambre. Il avait même trouver une excuse valable pour ne pas rentrer chez lui ce weekend-là. Tous était venus le chercher pour revenir à l’école, mais comment pouvait-il s’afficher ? Il n’osait la confronter, car à l’inverse de lui, il ne doutait pas une seconde que Blear s’était rendue tous les jours à l’école depuis.

***

L’impression de mourir de l’intérieur, Blear glissa doucement ses pieds dans les sandales roses pastel au pied de son lit et serra la lanière de son peignoir qu’elle venait d’enfiler. Un doigt sur la tempe, puis la main dégageant ses cheveux en arrière, elle se leva difficilement, comme si elle venait de prendre dix ans de plus. En se regardant dans le miroir, elle ne vit que du vide. La sensation de ne pas exister la traversa à cause au manque d’émotions, de sensations. Elle tenta de guérir cette maladie avec une bonne douche chaude, mais même ce bonheur quotidien ne lui apporta pas réconfort.

Le tapis de la salle de bain finit trempé par son manque de précaution. Elle qui était si ordonnée, attachée au rangement et à la propreté, elle s’enficha complétement de laisser une longue trainée d’eau derrière elle. Le plaisir de choisir ses vêtements pendant que ses cheveux séchaient dans une serviette, disparu également. La robe à carreau rouge ou la chemise bleue royale en satin avec une jupe ? Il aimait particulièrement cette dernière couleur, mais la porter maintenant qu’il manquait à l’appel ? Pour le séduire malgré la distance ? Quelle genre de personne serait-elle de vouloir apparaître belle aux yeux du garçon qui avait déjà fait tant d’efforts pour la quitter ? Pour la première fois depuis longtemps, elle décida de porter un pantalon gris qui reflétait parfaitement son état d’esprit. Un petit chemisier, un gilet en cachemire et avec sa mallette à la main, elle ferait très adulte. C’est ce que l’on souhaitait d’elle de tout manière. À grands coups de brosses dans ses cheveux fraichement séchés, elle continua de s’observer dans le miroir. Elle avait peur de ce reflet sans couleur, quel sens donner à sa vie ? Elle marierait un Lord qui lui offrirait l’héritier tant attendu de la famille Makes. L’idée d’avoir un deuxième enfant lui fit retrousser son petit nez, pendant qu’elle passait ses mains sur son ventre. Une migraine s’empara de son esprit, penser si tôt le matin après autant de douleur était trop difficile. Mais elle irait à l’école, comme tous les autres jours de l’année, car tel était son devoir.

En sortant de la chambre, elle tomba nez à nez avec John-Eric qui l’attendait sûrement depuis peu. Il vit tout de suite que quelque chose n’allait pas à son air faussement neutre, au manque de rose sur ses joues et à ses yeux dont la lueur avait disparu.

- Il m’a quitté, dit-elle de sang-froid.

- Je vois, soupira-t-il.

- Tu ferais mieux de partir, s’ils nous voient ensemble, ils diront que je suis vite passé à autre chose…

- Non, fit-il en lui prenant la main, je ne t’abandonne pas Blear. Pas maintenant, lui assura-t-il en la défiant du regard.

- Très bien, fit-elle en se détachant de sa main.

Cette rupture annonça le grand retour de la reine de glace. Quiconque osait croisé son regard se voyait geler sur place par la froideur qui s’en dégageait. Découvrir que Dossan séchait les cours alors que son père l’en bâterait n’améliora pas l’humeur de la dite. Heureusement que la surprotection de Chuck s’avéra utile une fois de plus. Et la présence d’Alicia en classe, l’écoutait répondre aux questions de Katerina sur comment il allait, la mettait hors d’elle. Blear ne lui pardonnerait pas. Elle en avait décidé ainsi et derrière le mur qu’elle avait bâti, la cavalerie s’inquiétait. Prétextant, une pré-réunion entre futur président et future sous déléguée, Chuck appela Marry à la rescousse.

- Ne me regarde pas comme ça, pour des situations pareilles j’estime que nous pouvons faire une trêve, lança-t-il à Marry qui le dévisageait, perchée sur ses hauts talons, bras croisés.

- Très bien, fit-elle en abandonnant son attitude de mégère, est-ce que tu as des nouvelles de Dossan ? Blear ne veut rien entendre, je n’arrive même plus à l’approcher. Elle refuse tout contact, ça me fait vraiment de la peine.

- Il refuse de nous laisser entrer, à chaque fois qu’on toque à sa porte, il augmente le volume de la radio. Je ne sais même pas s’il mange correctement, dit-il en se pinçant l’arrête du nez. Je lui laisse encore un ou deux jours, puis je forcerais le passage. Je ne peux pas le laisser dans cet état…

- D’accord, j’aimerais trouver le moyen de laisser Blear s’exprimer, mais comment ?

- Trouves simplement le moyen de lui faire prendre une pause, la connaissant elle essayera de tout porter jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. Le souci c’est qu’elle est assez forte pour vivre avec ses émotions, même si elles sont mauvaises. Marry, est-ce que je peux compter sur toi ?

- C’est l’une de mes meilleures amies, pour qui me prends-tu ?

- Hum, pour la plus belle femme du monde, dit-il d’une voix chaude, s’appuyant au banc derrière lui.

- Chuck ! C’est… Bon, tu as raison, mais tout de même, fit-elle en feignant ne pas être touchée par ce compliment.

Tandis qu’elle reprenait sa posture fermée, bras croisés, le menton relevé pour cacher ses joues légèrement rougies, la porte de la classe coulissa pour laisser apparaître la future femme de Chuck. Visiblement très en colère, elle pestiféra instantanément.

- Tu ne peux vraiment pas t’empêcher d’essayer de déposer tes sales pattes sur mon homme, aboya-t-elle.

- Pris, ce n’est pas ce que tu penses…

- Waouf, waouf, s’en alla Marry, voilà le toutou de Chuck !

- Le toutou aura bientôt la bague autour du doigt, alors tu ferais mieux de prendre tes distances.

- Pris, c’est moi qui l’ai appelé, nous avons un souci avec un ami commun et…

- Tu as l’air bien heureux d’avoir un ami dans la détresse, alors, fit-elle en le dévisageant.

- Coup dur pour mademoiselle Dechâteau, la queue de son promis ne cessera jamais de remuer en me voyant…

- Marry, ça suffit ! lui cria-t-il alors qu’un léger sourire se dessinait au coin de ses lèvres. Allons manger un bout Pris, je t’assure qu’il n’y avait rien de sentimentale en cette rencontre, ajouta-t-il en prenant la main de sa fiancée.

- Je veux le meilleur des repas, marmonna-t-elle en rejetant sa main d’un coup sec.

Avant de partir, Chuck lança un dernier regard à Marry suivi d’un signe de tête qui lui montrait toute sa confiance. Elle lui tira la langue, louchant, pour se moquer de celle qui l’accompagnait. À cette grimace, il répondit par un froncement de sourcil, mais son air laissait comprendre qu’il n’était pas vraiment fâché. Et lorsqu’il disparut, Marry pris quelques secondes pour respirer. Le temps d’un instant, elle laissa sa peine la traverser, puis d’un soupir, claqua des mains pour se remettre d’aplomb.

***


L’impression de mourir de l’intérieur, Blear eut à peine le temps de déposer ses pieds hors du lit, qu’elle fut surprise d’entre frapper à sa porte. L’envie lui manquant, elle alla quand même l’ouvrir par pure politesse. L’étonnement gagna son visage malgré tout, quand elle découvrit Marry affichant un grand sourire, les mains pleines d’un paquet chaud de croissants. Celle-ci s’invita dans la chambre, suivit d’une Katerina fatiguée, baillant ouvertement et d’Eglantine qui brandissait un jus de pomme au-dessus de sa tête.


- Qu’est-ce que…

- Nous sommes venus prendre le petit-déjeuner de la rupture ! s’exclama Marry qui déballa les viennoiseries sur le bureau.

- Il faut qu’on se serre les coudes, lui sourit tendrement Eglantine accroché au bras de Katerina qui faisait de même.

- Et j’ai apporté des beignets au chocolat, comme tu les adores, s’éleva une voix qui l’irrita instantanément.


Alicia apparut dans l’ouverture de la porte, un paquet également à la main. Blear la regarda entrer comme si elle l’avait invité. Claquant la porte à son passage, les filles sursautèrent toutes.


- Je peux savoir ce que tu fais là ? éleva-t-elle la voix à son tour.

- Comment ça ? Qui ça ? s’inquiéta Eglantine.

- Toi, Alicia, fit-elle en la pointant du doigt.

- Moi ? Nous avons décidé de te tenir compagnie…

- C’est maintenant que tu te décides à me soutenir ? Quelle plaisanterie !


Un long blanc s’installa dans la chambre, les filles se regardant tour à tour, ne comprenant pas la situation. Alicia et Blear se regardèrent longuement, la blonde ne baissant la tête que légèrement.


- Qu’est-ce qu’il se passe ? les questionna Marry.

- Oh, tu n’as qu’à lui demander ! De comment elle m’a laissé, s’arrêta-t-elle prise d’émotion. Comment as-tu pu me nier ? reprit-elle en colère.

- Je n’ai pas…

- Si ! Tu m’as laissé tomber, pleurer toute seule, pourquoi ? Dis-moi pourquoi seulement ?

- Je… devais faire un choix et Dossan…

- Oh alors tu es aller réconforter Dossan, tu t’es dit qu’il en valait plus la peine ? Alors tu n’as même pas dénier t’arrêter pour me demander comment j’allais ?

- Parce que tu m’aurais laissé te réconforter ? Te parler ? Je suis certaine que tu m’aurais repoussé, comme tu le fais toujours !

- Tu aurais au moins pu essayer ! Je pensais que nous étions amies ! Même si… même si nous avons toujours eu cette relation compliquée, je pensais réellement que nous étions amies.

- Mais nous le sommes…

- Non ! Une amie ne laisse pas son amie s’effondrer, elle ne choisit pas d’aller réconforter son petit-ami plutôt que sa copine ! Tu n’as pas hésité une seconde, est-ce que tu te rends compte de ce que j’ai ressentis ?!

- Dossan est mon meilleur ami ! Je ne pouvais pas le laisser dans ce…

- Et c’était L’AMOUR DE MA VIE !! Alors que… que je pleurais… tu n’as même pas… Je te déteste, Alicia, balbutia-t-elle la gorge nouée de pleurs.

- Les filles, s’il vous plaît, supplia Eglantine pendant que Katerina et Marry les regardaient avec peine.

- Je suis désolée, mais je ne pouvais pas le laisser seul, il est beaucoup plus fragile que toi…

- Parce que tu penses que je ne ressens rien ? Que je ne suis pas triste ?

- Je n’ai jamais dit ça, mais il ne s’en remettra pas ! Il ne s’en remettra pas Blear, tu ne t’en rends pas compte !

- Fais-lui un peu confiance !!

- Je te dis qu’il est brisé !

- Et je le suis tout autant !! hurla-t-elle au travers de la pièce, laissant échapper un sanglot.


Marry attrapa Blear par le bras, la voyant chanceler tandis que ses yeux se remplirent de larmes. Son corps tremblait comme une feuille qui se brise sous le froid de l’hiver. Elle foudroya Alicia du regard qui lui répondit avec rage.


- Tu n’as pas idée de ce qu’il ressent, toi… toi tu es la personne la plus obstinée et la plus forte que je connaisse ! Et je t’en veux tellement…

- Pourquoi ?! Qu’est-ce que je t’ai fait pour mériter ça ?!

- Parce que tu n’as rien fait justement ! Comment se fait-il qu’une personne aussi puissante que toi n’ai pu rien faire ?! Tu as tout ! L’argent, le pouvoir, l’intelligence, tu aurais dû trouver une solution !! Qu’est-ce que nous allons faire pour le récupérer maintenant ?! Bon sang, tu es BLEAR MAKES ! TU ES BLEAR MAKES ET TU N’AS RIEN FAIT !


La larme qui roula sur la joue de Blear lui sembla sortir au ralenti de ses yeux écarquillés d’horreur. Lorsqu’elle atteignit le sol, elle ravala ses sanglots et se dressa de toute sa grandeur pour se diriger vers la porte.


- Tu as raison, je ne suis que Blear Makes et je t’ordonne de sortir…

- Blear ne fais pas ça, intervint Katerina.

- Qu’est-ce que tu attends ? N’étais-tu pas celle qui m’a dit que j’étais simplement humaine ? N’est-ce pas toi qui m’à forcé à exprimer tout ce que je ressentais, pourquoi finalement ? Pour que tu me réduises à mon nom ? Sors, lui ordonna-t-elle d’une voix rauque.

- Tu es plus que ça, mais…

- Je ne veux plus t’entendre !! Dégage de ma chambre !! Sortez toutes, TOUTES !! lui hurla-t-elle.

- Les filles partez, je m’occupe de Blear, annonça Marry.

- NON !

- S’il vous plaît, les supplia-t-elle.


À cette demande les filles sortirent, Alicia avec plus de mal que les autres. Katerina l’arracha au pied de la porte, lançant un regard de soutien à Marry qui empêchait Blear de casser tout ce qui trouvait autour d’elle.


- Lâche-moi ! Lâche-moi Marry !

- Je ne te lâcherais pas ! Tu peux me frapper et me crier dessus, mais je ne te lâcherais jamais !! Cri et pleure seulement, mais pitié ne t’enferme plus !


À ces mots, Blear ne put s’empêcher de laisser échapper la douleur qu’elle avait refusé de laisser sortir jusqu’ici. Se débattant et s’accrochant en même temps à Marry, elle se laissa tomber dans ses bras, criant ses pleurs sans aucune relâche. C'est tout ce qu'elle avait souhaité, les bras d'une amie pour y loger sa peine et c'est exactement là qu'Alicia avait échouée. Perdre la personne à laquelle elle tenait le plus et de surcroît n'avoir le soutien de son amie, lui donnait l'impression de mourir de l'intérieur.

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