Chapitre 29 : Coup de poignard.

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Je m’arrêtai sur la première page du journal qui trônait sur la table d’appoint, suscitant mon attention de par son titre : “un oiseau tombé du ciel, le groupe Raven gravit les échelons depuis l’arrivée de leur dernier chanteur en date…”. La photo en noir et blanc le rendait encore plus sombre, tel un corbeau dans ses vêtements noirs, sa gibson entre les mains, il est vrai que Dossan portait bien la mélancolie.

J’élevais alors mon regard vers le lit d’hôpital où s’était installé Chuck, sa minuscule petite fille tout juste née dans les bras. Il jouait avec son doigt entre les mains du nourrisson, lui chuchotant des mots doux avec une toute petite voix. Il rougit presque lorsqu’il m’entendit glousser.


  • Ne me regarde pas comme ça, Louis, dit-il alors d’un ton plus sérieux.
  • Elle est magnifique, rêva Michael en se penchant sur sa fille.
  • Ma petite Laure, tu deviendras la plus jolie femme de toute la terre, plus belle encore que ta mère et même que Marry Stein, lui chuchota-t-il en caressant son ventre.
  • Je suis désolé qu’Elliot n’est pas voulu venir…
  • Oh je sais qu’il ne fait que bouder, il s’en remettra, lâcha-t-il sans y prêter vraiment attention.
  • Mais à ce propos, tu as laissé passer ça ? m’étonnais-je en lui montrant le journal d’un geste. Si l’information tourne et arrive jusqu’aux oreilles de son père…
  • Comment ça ? Qu’est-ce que c’est que cet article ? se redressa-t-il pour déposer doucement sa fille dans son berceau.
  • Je pensais que tu l’avais lu…

Chuck m’arracha le journal des mains, lisant les premières lignes de l’article avec beaucoup plus d’assiduité que je ne l’avais fait. Son air devint soudainement plus lugubre et il se retint de jurer devant sa fille.

  • Il est insouciant ou quoi ?! s’énerva-t-il en jetant le journal sur la table.
  • Chuck ! Ne crie pas devant notre fille, le disputa Pris qui revenait d’un appel téléphonique. Si elle se met à pleurer à cause de toi, tu t’en occupes, persiffla-t-elle en dévisageant Laure du haut de son berceau qui commençait à chouiner.
  • Non ma chérie, ne pleure pas, s’empressa alors Chuck de la bercer comme s’il avait toujours eu l’habitude de le faire.

Je rejoins Michael dans le fait d’attraper vite mes affaires pour laisser les nouveaux parents seuls avec leur fille. Pris rôdait autour du berceau tel un requin, alors que Chuck faisait de son mieux pour calmer sa petite sirène. J’admirais sa force de caractère et la façon dont il n’abandonnait ni sa fille, ni son ami dans une telle situation.


***

Le temps me semblait passer de plus en plus vite après cette dernière naissance. Les jours passaient à une vitesse folle, les feuilles des arbres reprenant quelques couleurs malgré les grands froids du mois de mars. En apparence, même implosé, nous allions tous bien dans notre groupe. Les premières naissances avant rendus heureux la moitié de mes amis. Les projets d’adultes et les futurs mariages se préparaient. Derrière toutes ces fausses bonnes nouvelles, il y avait beaucoup de tristesse et la crainte que l’année s’achève sans que nous ayons pu nous dire au revoir. Sans que nous ayons trouvé une solution pour lui parler à nouveau. Dossan ne venait toujours pas en cours, passant son temps dans l’appartement des membres de son groupe ou dans les bars après les concerts. Je ne le voyais plus qu’en coups de vent ou de temps à autre sur son balcon ou il se consumait comme les cendres de sa cigarette. Mais il n’y restait que le temps de fumer, sans même accorder un regard à la fenêtre d’en face. Incapable de regarder Blear dans les yeux, en colère à chaque fois qu’il voyait John-Eric, il souffrait tellement qu’il avait choisi la facilité : celle de sombrer, au lieu de tenter de se relever. Nous savions pertinemment qu’il nous appelait à l’aide par son comportement, qu’il cherchait de l’attention en jouant au dur à cuire. Si Chuck tentait par tous les moyens de le protéger et Alicia de le repêcher, je me sentais impuissant en tant que juste “Louis”. À chaque fois que je lui tendais la main, à lui qui m’avait sauvé la vie, il la rejetait. Et entre les rendez-vous médicaux, l’école et la grossesse d’Alicia, j’avoue avoir trouvé moins de temps à lui accorder. Soutenir ma petite-amie du mieux que je le pouvais faisait partie de mes priorités. J’avais ressenti tellement de joie durant ces sept derniers mois que j’avais parfois honte de lui faire face. Le voir si malheureux et seul, malgré ses fans et ses nouveaux amis, me rendait coupable. Égoïstement, je voulais récupérer mon ami et qu’il aille mieux en un claquement de doigt. Tout aurait été plus simple si nous avions pu lui rendre son bonheur aussi facilement. Bien qu’il me manquât, je ne lui en voulais pas d’avoir fait le choix de s’éloigner, à quoi pouvait-il encore bien se rattacher ? Entre un père qui le battait et la perte de son grand amour, plus rien ne semblait avoir d’importance. Il fermait les yeux sur nos efforts pour le ramener, sans doute parce qu’il ne savait plus comment remonter du trou dans lequel il s’était jeté et ce avec l’échelle.


Je fus donc très étonné de le voir débarquer en classe ce jour-là, dans un jeans noir écorché et un t-shirt léger. Il n’avait qu’un gilet en laine, très modeux, pour se couvrir. Pâle, il cachait son visage derrière ses chiennes noires qui avait encore pris quelques centimètres de plus. Une espèce de silence se créa quand il entra, puis des chuchotements s’élevèrent, surtout de la part des filles. Elle dévisageait à la fois avec dégoût et envie l’âme brisée qu’il représentait. Blear et Alicia étaient installées au-devant de la classe aux places qui avait été créés spécialement pour leurs gros ventres. Il passa devant, faisant mine de ne pas les voir et ignora directement le geste que je m’apprêtais à lui lancer. Le choix de sa place fut simple : soit à côté de Chuck ou de Katerina. Il fit un léger signe de tête à cette dernière pour lui signaler qu’il prenait siège. J’aperçus alors le côté très rancunier de la brune qui se refusait de lui rendre la pareille. Chuck se retourna pour établir le contact, mais il n’eut aucune réaction de sa part. Je soupçonnais Dossan d’avoir trop honte de n’être jamais venu voir sa fille.

Malgré cette soudaine apparition, la journée se déroula dans la plus grande normalité, à l’exception prés qu’il refusait de répondre aux questions des professeurs. Il les envoyait balader d’un regard, soulignant son côté désinvolte qui le rendait si craquant.


En ce début d’après-midi, seuls le claquement des bics changeant de couleur résonnaient dans la classe et faisait écho dans ma tête. J’étais particulièrement sensible aux bruits à répétition. La foule et les lieux bondés me faisaient le même effet. Étouffant, je me sentais partir et des voix criardes au loin me donnèrent le tournis. La porte qui s’ouvrit violemment me plongea dans un stress. J’eus l’impression d’avoir quitté la pièce, de regarder la scène avec une autre paire d’yeux que la mienne, comme si mon corps ne me répondait plus. J’avais déjà vu cet homme, ces traits me rappelaient ceux de mon ami, même si Dossan n’aurait jamais manié un couteau de la sorte. Je m’arrêtais sur l’objet tranchant, sur les mains tremblantes et sanglantes qui le tenait fermement. Les cris qui explosèrent, la fuite des élèves vers le fond de la classe, tous ces événements, m’apparurent très lointain. Seul mon propre bruit restait, mon cœur tapant dans ma poitrine, dans mes tempes. Le monde vrillait, tremblait et des frissons parcourait mon cou jusque dans ma mâchoire qui se contractait. Les crocs, j’avais les crocs qui me démangeaient et la vue du sang m’apparut si belle. La peinture rouge dégoulinant sur le bras de notre professeur, qui gouttait depuis la lame de cet homme furieux, m’appelait. Je l’observais depuis ma place s’adonner à la folie, à la rage contaminatrice. Prit entre deux feux par deux professeurs courageux, il laissa tomber son arme au sol, hurlant d’un visage déformé qu’il l’avait tué. Il se pourvut d’un sourire, puis d’un rire, penchant la moitié de son corps dans le vide pour remonter ses yeux animés par la folie dans ceux qui regardaient le spectacle depuis le sol. Sur son postérieur, il le regardait terrasser à coups de poings les gêneurs. Incapable de faire un mouvement, Dossan regardait son père s’approcher, impuissant. Quand il s’accroupit à sa hauteur, plongeant son regard dans les yeux terrorisés de son fils, le silence gagna la salle de classe. Il glissa un doigt rouge sous son menton, laissant une marque sur le dessous de celui-ci et admira sa main pleine de sang.


  • Je ne serais dire si c’est celui de ton professeur ou celui de ta mère, ricana-t-il en le perforant de ses yeux injectés de sang.

L’image du visage de mon ami abattu, de ses yeux ronds sortant de leurs orbites, de ses mâchoires s’écrasant les uns contre les autres, m’éblouit. Son cri de rage, le tourment et le désespoir qui s’imprégnèrent de lui, m’apparurent si beaux quand il poussa son corps dans ses retranchements pour fracasser d’un coup de pied les côtes de celui qui l’avait battu jusqu’ici. Le corps qui vola au sol semblait si pitoyable en comparaison à l’adolescent vêtu de noir, qui relevé sur ses deux pattes faisait de l’ombre à la faucheuse en personne. La mort dans la tête, il fouetta de nouveau son géniteur agonisant sur le carrelage d’un coup supplémentaire, puis d’un autre et encore d’un autre. Cette frénésie qui le gagna remuait mes entrailles, un peu plus à chaque poing qui s’enfonçait dans son visage ensanglanté. Il n’eut plus que bouillie de ce tas de merde qui cherchait compulsivement de l’aide parmi les spectateurs horrifiés. Quand le sang sortit de tous ses trous, qu’il cracha deux dents, tentant de se relever, je vis une paire de bras entouré Dossan, l’arrachant à son déchaînement.


  • Ça suffit !! Dossan, stop ! s’écria Chuck.

Toute raison l’avait quitté, sourd aux cris de nos amis qui s’agglutinèrent sur lui pour l’arrêter. Elliot se fit repousser violemment et il échappa aux mains de Chuck qui le rattrapèrent à nouveau quand il se lança sur son père. Il n’était plus que monstre, d’une force pharamineuse, guidé par la folie, par la rage. La scène me semblait se dérouler au ralenti et je regardais doucement Alicia tenter désespérément de l’arrêter, s’accrochant à son bras, puis se tournant vers moi pour m’appeler à l’aide.

Je me réveillais soudainement, comme s’il n’y avait qu’eu un seul battement de paupière depuis qu’il était rentré dans la classe. Le sang décorant le sol, sur cet homme abîmé et la détresse, la peur, les cris des voyeurs, alors qu’il se débattait de toutes ses forces, j’eus l’impression de découvrir un cauchemar. L’angoisse monta, suffoquant, mes yeux vrillèrent sur le ventre d’Alicia, puis sur Dossan qui jetait des coups dans le vide et à la volée sur ses amis.


  • JE VAIS LE TUER !!

Blear apparut en hâte devant lui, empoignant son visage entre ses deux mains pour lui crier de s’arrêter. En découvrant son visage effrayé, son poing resta en suspens, puis vola en arrière quand il voulut se défaire de son emprise.

Je courus m’interposer comme ivre pour bloquer ce coude qui se rapprochait dangereusement de notre bébé. Je reçus le coup à sa place, dans mon dos, si violemment que je tombais avec ma femme dans mes bras, ma tête s’écrasant contre le sol. Ma vue se troubla instantanément, devint flou sur la silhouette de Dossan qui m’offrait enfin un regard, sur la chevelure blonde d’Alicia qui se dégagea de son visage. La dernière chose que je vis fut ses grands yeux noisette s’écarquiller à la vue du sang derrière ma tête.


  • Louis ? Louis !! s’écria-t-elle en me secouant, LOUIS !! cria-t-elle plus fort au point de réussir à attirer son attention.

Sa voix avait eu le pouvoir de le sortir de sa transe, pour le plonger dans une nouvelle. Les mains couvertes de sang, il se mit à trembler, à reculer, refusant la vue qu’il avait créée. Il chassa d’un geste, la main que Blear lui offrait, n’osant l’affronter. Chuck le prit à part de force, derrière nos professeurs qui gardait un œil sur nos deux corps inconscients. Il tentait de le raisonner, de calmer sa crise d’angoisse et ses pleurs qui montaient crescendo.


  • Calme-toi !!
  • Qu’est-ce que… j’ai fait, balbutia-t-il de ses lèvres sèches.

Ils appelaient la police, m’avaient tiré hors des bras d’Alicia, évacuer les élèves sous le choc tandis que les curieux des autres classes passaient une tête, comme Michael venu voir ce qu’était devenu Elliot. Dossan se laissait tomber au sol, se recroquevillait sur lui-même pendant que Chuck essayait de le garder parmi nous. Il essuyait ses larmes qui se stoppèrent quand un cri terrifiant résonna dans la classe. Alicia se tordit en deux, tenant son ventre entre les mains et se perdait dans des cris de douleurs. Les filles se regardèrent alors soudainement entre elles, reconnaissant entre mille ce qui arrivait un mois trop tôt.


  • Une ambulance ! cria Katerina, vite !
  • Nous devons nous occuper du père aussi, il faut…
  • ET SI ELLE LE PERD ?! hurla-t-elle, je veux une ambulance, TOUT DE SUITE !!
  • Mon chauffeur est en ville, je vais l’appeler, se précipita Marry hors de la classe.
  • C’est… ma faute ? s’en alla Dossan dont les mains se serraient sur sa tête, Louis et Alicia… je…
  • Non ! Dossan ce n’est pas ta faute, c’est la sienne, fit-il en montrant à moitié le corps de son père tenu par ses professeurs.

Le visage de Dossan s’assombrit à nouveau par-dessus l’épaule de Chuck qui le gardait dans ses bras de toutes ses forces. Les infirmiers de l’école arrivèrent au pas de course pour m’ausculter, tandis qu’Eglantine respirait doucement avec Alicia qui hurlait de douleur. Et chaque cri résonnait dans la tête de Dossan, agissant comme des coups de poignards dans son cœur. Il s'accrocha à Chuck, laissant tomber sa tête contre son torse et rejoint Alicia dans cette chanson déchirante, pleurant de tout son être la personne qu’il aimait le plus au monde : sa mère.

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