Patte de lapin et plume de corbeau

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Dans une lointaine cité peuplée de créatures peu communes,
vit une résidente obsédée par les vents et nuages.

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Une autre journée s’achève, identique aux précédentes. La jeune Namielle décroise les jambes avec un long soupir et tâche de se redresser sans trop s’appuyer sur sa patte folle.

Laissée seule dans le grand hall, elle lance un ultime coup d'œil à la statue d’Hélio - l’œuvre phare de l’exposition d’été - et quitte les lieux de quelques bonds rapides. Ses longues oreilles duveteuses manquent de toucher le plafond alors qu’elle sort du musée. Son trousseau de gardienne à la main, elle ferme doucement la porte d’entrée.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarque pas l’ombre qui se glisse dans son dos. Sa vue se retrouve soudain d’un voile noir alors qu’un cri victorieux résonne dans la cour.

  • Je t’ai eu, Nam’ !

La pauvre hurle de frayeur alors que ses poils se hérissent sur tout le corps. Ses longues jambes se détendent d’un coup, elle s'envole de plusieurs mètres de haut, entraînant son agresseur avec elle.

La lapine,, effrayée retombe seule sur les pattes, oreilles rabattues et griffes sorties. Un rire moqueur lui fait lever les yeux.

Là-haut, un fier et arrogant jeunot la dévisage en planant.

  • Fichu corbeau. Redescends, que je puisse t’arracher tes vilaines plumes une à une !
  • Drôle de manière de saluer son taxi.
  • Je peux très bien rentrer par mes propres moyens !

Namielle lui tourne le dos et croise les bras, boudeuse. Cette fois, elle est bien décidée à lui faire payer ses coups bas.

L’impertinent ne s’y trompe pas et entame un lent atterrissage. Prudent, il décrit plusieurs cercles autour de la belle en tâchant de deviner ses intentions, de quelle manière elle compte se venger. Il finit par se poser directement devant elle, ses serres faisant crisser le sol tandis que son bec claque doucement.

  • Nam’ ?
  • Allez, ce n’était qu’un jeu. Et puis, je t’attends depuis presque une heure, c’est de bonne guerre.
  • Tu sais que ça me fait encore mal, maugrée Namielle en massant sa cheville droite. Je préfère encore utiliser les tunnels que de subir tes mauvaises farces, Akini.

En guise de paix, le grand corbeau écarte ses bras ailés. Elle hésite, puis se décide à se coller à lui, le museau enfoncé dans son plumage. Il porte encore l’odeur des alizés. C’est l’une des choses pour lesquelles elle apprécie le garçon-corbeau. Akini réprime l’envie sauvage de l’étreindre et s’envole.

~ Trois battement d’ailes et deux plumes arrachées plus tard ~

  • On y est ! s’exclame Akini.

Soulagée qu’il l'ait (cette fois) amenée à bon port, Namielle saute agilement sur sa terrasse. Elle entrouvre la porte vitrée et pénètre dans son petit appartement. Pour sa part, Akini s’installe sur le perchoir que la lapine a pris soin de confectionner à son attention. Il hasarde un œil sur ce qui se trame à l’intérieur, satisfait de la voir reprendre un peu du poil de la bête.

Bien vite, de bonnes odeurs s’échappent de la petite cuisine. Namielle revient sur la terrasse, un plat dans chaque main. Allant s’asseoir en tailleur à ses côtés, elle lui tend une assiette remplie à la va-vite d’insectes directement récoltés dans le composteur et mange pour sa part un complexe plat mêlant des feuilles de carottes et d’endives sur un lit de salade, le tout assaisonné de céleri, persil, coriandre et décoré de trèfles.

Akini écrase son futur repas en cachant une moue déçue. Il se sait observé et ne veut pas commettre d’autres impairs aujourd’hui. Résolu à changer de régime pour plaire à la lapine, il attaque sa ration.

La soirée s’étire tout comme le soleil à l’horizon. Tous deux le regardent disparaître dans les flots de la mer-monde qui borde la cité où ils vivent depuis leur naissance. Akini s’essaye à quelques pitreries, Namielle se déride petit à petit.

  • J’aimerais avoir des ailes. Quel plaisir ce doit être de voler par soi-même… de ne plus dépendre d’un oiseau de malheur pour aller d’un endroit à l’autre.

Akini lui pince la queue en représailles. Namielle lui saute dessus et mime de le mordre. Le corbeau en profite pour la piéger entre ses grandes ailes, si bien que bientôt ne dépassent plus que deux blanches oreilles.

Le soleil s’est couché. La ville évolue, gronde et vêtit son habit de lumière. Loin au-dessus d’eux s’envolent des escouades de chauve-souris partant chasser dans les terres mornes. Blottie contre le buste d’Akini, le souffle lent, la jeune lapine observe ce ballet aérien. Le corbeau apprécie cet instant de calme, mais les mots de Namielle tournent et tournent encore dans sa tête. Il prend une longue inspiration en guise de courage, puis se lance.

  • Nam’, tu m’as promis que tu n'essaierais plus.
  • Ce n’était qu’une remarque lancée en l'air, rétorque la lapine.
  • Tu me le promets ?
  • Là, c’est toi qui fais une fixette.
  • Promets-le-moi, ou je ne te fais plus voler.
  • Oui oui, je le promets, dit-elle en levant les yeux au ciel.

Peu convaincu par son air buté, Akini roule sur le côté et brise ainsi ce bref interlude de calme. Namielle cherche à s’échapper d’un bond, mais le corbeau s’est emparé de sa patte droite. Elle grimace de douleur et le traite de tous les noms d’oiseaux en essayant de se libérer. Celui-ci ne bronche pas alors qu’il attrape un petit pot sur une armoire proche, jusqu’à ce que Namielle touche un point sensible.

  • Ne me compare pas à ces crétins pas malins d’arrogants de faucons !

Akini ronchonne de ne pas être apprécié à sa juste valeur tandis qu’il étale sur sa cheville un onguent à base d’herbes médicinales. Aussitôt, elle se calme, pire, se laisse faire de bon gré.

Akini est presque sûr de l’entendre ronronner.

  • Nam’, nous avons chacun notre place dans ce monde. Pourquoi vouloir être ce que tu ne peux être ?
  • Qu’est-ce que tu en sais ? C’est toi qui vis cloué au sol, condamné à voir les autres jouer librement avec les nuages et le vent ?
  • Non, mais le haut n’est pas forcément mieux que le bas, c’est juste différent. Tu n’as pas envie de voler, pas réellement. Au fond de ton cœur, tu veux juste échapper au quotidien. Si je pouvais te donner mes ailes, tu en profiterais, quoi ? Un jour ? Puis tu reviendrais me voir pour me dire que maintenant, tu voudrais vivre sous l’eau. Contente toi de ce que tu es… Moi, je t’apprécie telle quel, même toute cabossée après avoir sauté d’un toit avec tes inventions à deux sous.

La lapine l’écoute avec attention. Il faut dire qu’entendre Akini aborder un sujet (n’importe lequel) avec sérieux est chose rare. Peut-être plus que le passage d’une comète. Privée de répartie, elle le laisse achever ses soins. Akini aventure une plume le long de sa peau en faisant son regard de corbeau mouillé.

Vaincue, Namielle l’attire à elle en se disant qu’après tout, si elle ne se plaît pas, autant confier au corbeau la lourde tâche de le faire pour elle.

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