Esprit de la machine

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Sur la planète Abaddon, les combats font rage.

Las de ce conflit, l’Union Terrienne ordonne le déploiement d’une division de titans.

La ville-monde d’Arrango est leur première cible.

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Le sol tremblait sous les pas pesants des géants d'acier. La cité rebelle se dessinait au loin, fière et arrogante. À travers les nombreux écrans de contrôle, les équipages de ces engins de destruction observaient les fumées s’échappant des nombreuses cheminées d'industrie. Ces titanesques zones industrielles comptaient parmi les plus imposantes de la planète et procuraient carburant et matériel aux défenseurs de tout le continent. Avec les instruments adaptés, il était même possible de discerner l'énergie crépitante du bouclier englobant la ville d'Arrango.

Depuis bientôt une décennie, les armées de l'Union piétinaient face aux défenseurs. Les tirs orbitaux, première - et souvent dernière - phase de conquête, s'étaient avérés incapables de percer les formidables boucliers des cités-monde. Ainsi avait débuté une longue guerre de siège. Autosuffisantes, les citadelles protégeaient leurs habitants et laissaient mourir les terriens sur les vastes plaines devenues stériles, toxiques et radioactives suite aux bombardements incessants.

Voilà ce qu'était Abaddon, une planète inhospitalière, tout juste intéressante par ses gisements de minéraux, mais située à un carrefour de la carte stellaire. Un objectif prioritaire pour débloquer tout le segment nord de la Voie lactée, berceau de flottes pirates et de riches systèmes solaires à revendiquer.

C'est dans ce contexte de fortes tensions parmi les hautes instances, qu'avait été décidé de réaffecter la division titanique des Loups d'argent revenant d'une brève, mais sanglante, campagne victorieuse sur la frange sud de la galaxie.

Ces redoutables machines de guerre, parmi les plus puissantes de l'arsenal terrien, n'avait eu que quelques semaines de voyage pour procéder aux réparations les plus minimes avant de reprendre le combat. Leurs équipages avaient été redispachés pour combler les pertes les plus sévères et assurer un minimum d'une centaine d'hommes par titan.

Chacun de leurs pas pesants écrasaient les vestiges d'une forêt. La cheffe de division avait décidé de faire un exemple. De ce fait, les titans à peine débarqués des sites d'atterrissage, elle orienta ses loups de titane vers la pièce maîtresse du système de défense d'Abaddon, la cité-monde d'Arrango.

En sa qualité de Capita major, elle se trouvait à bord du Héraut des fins, un monstre de métal dépassant par deux fois les autres titans. Une myriade d'informations se pressaient dans sa vision augmentée, lorsqu'une remarque importune lui fit lever les yeux.

  • Tu es sûre, Clara ?

Dans la salle de commande l'observait ses minoris dont son frère, Rigal, s'était fait le porte-parole.

Clara le fusilla du regard pour sa familiarité, ayant senti d’elle-même la peur ambiante qui lui donnait envie de vomir. La lui faire remarquer était, au mieux, une énième preuve de la stupidité de son frère, au pire, une tentative de saper son autorité.

Téméraire, Rigal insista et posa une main sur son épaule. Sa sœur ignora le geste. Calmement, elle ferma le rapport d'état du canon principal, puis porta son attention sur le globe de verre noir trônant au-dessus d'eux. L'IA contrôlant le Héraut des fins reçut l'ordre. Aussitôt, il s’arrêta avec fracas et disparut dans un nuage de poussière.

Quatre titans de classe inférieure Éclair imitèrent leur chef de meute et attendirent les directives en scannant les alentours. Plus petits et mobiles, ils servaient tout autant de sentinelles que de protecteurs au Héraut. Se dressant à plus de vingt mètres de haut, ils en profitèrent pour lancer des batteries de test et autres inspections avant le début des hostilités.

Derrière les titans suivaient les troupes régulières. Plusieurs capita de l'infanterie étaient également présents à bords du Héraut des fins, prêts à donner les directives de leur major aux troupes au sol. Des dizaines de milliers de soldats espéraient enfin voir les hautes murailles d'Arrango s'effondrer face aux canons lourds des titans.

En réponse à ce déploiement de force, la cité-monde lança ses premiers tirs d’artillerie sur la division des Loups d’argent placée à l'avant-garde de l'armée d'invasion. Mais les colosses étaient hors de portée. Des cratères se formèrent et firent ressortir les restes de blindés détruits lors de précédents assauts.

Clara donna un second ordre mental à l’esprit de la machine. L’hologramme du capita Marel apparut devant elle. Celui-ci plaça son poing droit sur le cœur. Clara lui rendit son salut.

  • Marel.
  • Quels sont vos ordres, Capita major ?

Clara esquissa un sourire, satisfaite de voir au moins l’un de ses hommes rester stoïque. Elle reprit d’une voix sèche.

  • Vous ouvrirez la marche avec les trois autres titans, Koda, Braise et Halo. Nous serons juste derrière-vous. Le Héraut des fins doit conserver le maximum d’énergie quand nous arriverons à portée des murs, donc tâchez d’attirer leur attention. Aucune économie de munitions, pas de retraite sans mon autorisation. Suis-je clair ?
  • Limpide, madame.

L’hologramme se brouilla subitement. Par liaison neuronale, le Héraut informa sa maîtresse que Lueur, le titan commandé par Marel, venait d’encaisser un missile à plasma. Arrango leur réservait quelques atouts. L’image du vieil homme se stabilisa tandis qu’il s’excusait platement.

  • Pardonnez cette interruption. Mon équipage n’a pas été assez réactif pour lancer des contre-mesures. Il sera puni dès notre victoire assurée.
  • Je l’espère, commandant. Pour terminer, vous allez prendre à votre bord mon minori Rigal.

L’intéressé étouffa un cri de surprise. Clara ne cessa de le dévisager alors qu’elle l’assassinait en règle devant ses subordonnés.

  • Les notions en tactiques de combats rapprochés du minori Rigal sont inexistantes. Je compte sur vous pour lui faire découvrir la première ligne.
  • Une sage décision, assurément. Je le téléporte de suite.
  • Non ! Attendez !..

Rigal fit un pas, le bras tendu vers sa sœur, mais disparut dans une intense et brève lueur violette. Clara remercia silencieusement son second qui se borna à incliner la tête avant de couper le contact.

Débarrassée de ce gêneur, elle se tourna vers le reste de ses minoris. Ils attendaient un discours, un cri de ralliement, un simple regard fort et assuré.

  • Suivez mes ordres sans discuter, et peut-être survivrez-vous à cette journée. Contestez, et je vous mute à l'infanterie.

Tous se ruèrent à leur poste. La Capita major reprit sa tablette où défilaient les rapports d’état du titan. Connaître l’état des blindages, les stocks de munitions ainsi que les réserves de carburant l’aidait à se synchroniser avec l’IA.

  • Ne m’appelle pas comme ça. On est plus au XXI siècle ! Je suis Hélyos.
  • Très bien, Hélyos. Progresse de cinquante mètres avec une dérive de quarante-cinq degrés. Les vents soufflent les fumées dans cette zone et vont gêner leurs tirs. Aucun avantage n’est à exclure dans ce combat.
  • Allons, allons. Tu pourrais être plus gentille, me demander poliment si je serais intéressé à me décaler, le tout dans le but d’éviter que je ne subisse trop de dégâts. Oh, merci ! C’est très sympa de penser à mon bien-être !
  • Hélyos. Cesse tes digressions et garde la synchronisation. Si tu continus à parasiter mes pensées, j'ordonnerai ta réinitialisation.
  • Ne me mens pas ! Je suis dans ta tête. Je sais que tu m’aimes bien. Que tu m’aimes tout court.
  • Arrête.

Clara tenta d'imposer sa volonté à la machine, une autre vaine tentative de reprendre l'ascendant, mais elle avait perdu ce pouvoir depuis trop longtemps et seul un rire mécanique lui répondit. Leur relation originelle basée sur la primauté de l'humain s'était effacée le jour où l'IA avait eu accès à ses émotions, lors d'une bataille critique sur le monde de Morlä Secundus. Ce jour, où le Héraut avait ployé, sauvé in extremis par l'effort surhumain de sa pilote qui l'avait forcé à reprendre le combat.

Depuis, leur lien se renforçait sans paraître atteindre la moindre limite. Les connexions étaient stables et extraordinairement longues. Nombre étaient les scientifiques de l'Union a souhaiter disséquer son cerveau dans l'espoir d'y découvrir une anomalie à reproduire chez les autres pilotes. Mais Clara n'était plus en droit d'imposer un ordre, une manoeuvre ou même un tir sur une cible précise. Au mieux, elle était réduite à suggérer des idées de stratégie, dans l'intérêt du titan.

Cette situation ne déplaisait pas à Hélyos, heureux de pouvoir enfin exprimer ses joies, sa colère et ses désirs par l'intermédiaire de ce réceptacle de chair. Un privilège qu'il utilisa une nouvelle fois sur cette petite humaine qui tentait de faire jeu égal avec lui.

Le souffle de Clara s'accéléra. Une forte sensation naquit dans son bas-ventre en même temps qu'une violente douleur lui étreignit la poitrine. Elle lutta, désespérée, se promettant cette fois de tenir tête.

Elle céda bien vite, trop vite au regard d'Hélyos qui poursuivi jusqu'à l'entendre implorer une trêve.

  • Si tu me réinitialises, tu ne retrouveras jamais ces sensations que tu guettes chaque heure, chaque minute de chaque jour. Et ça, tu ne le voudrais pas. Non, tu ne le voudrais pas.

Clara coupa brusquement le lien. Ses mains tremblaient alors qu’elle s’accrochait à la rambarde de la passerelle. Le Héraut des fins était déjà en marche vers son nouveau déploiement, précédé des plus petits titans. Combien de secondes avait-elle raté cette fois ? La machine faillit rater une enjambée, mais Clara reprit aussitôt le dessus et ajusta la trajectoire. Cet écart pulvérisa la colline proche et fit s'abattre une pluie de terre noire sur les lignes de blindés évoluant à leurs côtés. De nombreux soldats périrent, écrasés par des blocs de terre et de roche. Clara étudia brièvement le rapport venant d'apparaître à l'écran, des dégâts minimes au blindage.

Son corps était en feu. Chaque connexion voyait Hélyos repousser les limites érigées entre leurs deux esprits.

Il est dit que, plus le lien entre la machine et son pilote est fort, plus le couple est réactif et se bat sur la durée, car l’autonomie est le seul point faible des titans. À ce jeu, Clara est renommée à travers toute l’Union.

C’est grâce à sa volonté hors du commun que les archivistes lui avaient confié le commandement du Héraut des fins, la plus puissante machine de guerre jamais créée par l’Homme. Un titan de classe Ravage dont seuls quatre exemplaires étaient sorties des forges terriennes en un demi millénaire de conquête spatiale.

La division dans sa totalité se tourna vers Arrango, prête à l’assaut. Clara acheva de transmettre leur position à ses confrères placés en d’autres points clés autour de la cité. Au total, trente titans allaient prendre part à l’assaut.

En sa qualité de Capita major, c’était à elle de déclencher les feux. Elle ferma les yeux, prit une longue inspiration, puis s'ouvrit à Hélyos.

  • Alors, ma belle. En avant ?
  • En avant.

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