Le garçon et la sorcière
Un apprenti chasseur essaye de sauver sa famille.
Sa vie est sur le point de prendre un virage drastique.
Qui a besoin de qui, déjà ?
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Le soleil, déjà bas sur l'horizon, projetait des ombres longues et sinueuses à travers la forêt. L’ambiance aurait pu être reposante, sans les cris frustrés de Liaran. Le jeune garçon, au visage rougi par l’effort, pendait la tête en bas et les pieds battant désespérément l'air. Il s'était pris au propre piège, une corde nouée autour de la cheville qu’il avait solidement attachée à une branche basse d'un chêne. Chaque expiration était une lutte, chaque inspiration, une promesse de soulagement qui ne venait pas.
À la fatigue commençait à s’ajouter la douleur de la corde s'enfonçant de plus en plus dans sa chair. Son esprit imaginait de terribles fins à ce qui avait commencé comme une amusante déconvenue. Il commençait à avoir peur, lorsque le craquement d’une branche lui fit cesser ses efforts. Son sang se glaça, il savait ce coin de la forêt arpenté par des loups argentés.
Baissant les yeux, il vit apparaître une jeune femme, vêtue d'une longue robe noire qui semblait fondre avec les ombres de la forêt. Ses cheveux de jais, aussi épais que de l'ébène, étaient nattés jusqu'à sa taille. Ses yeux, d'un vert profond, semblaient percer les ténèbres. Elle s'arrêta devant lui, l'observant sans un mot.
« Fiche le camp, sorcière ! Je ne suis pas comestible, va trouver ton repas ailleurs ! »
Liaran tenta de rester brave, mais sa voix grinçait sous la contraction de sa mâchoire. Du sang commençait à couler le long de sa jambe. L’inconnue, ignorant la futile menace, s’approcha, la tête légèrement penchée sur le côté en signe de curiosité. Liaran se perdit dans son regard émeraude, quand alors elle frôla la corde d’un doigt gracile pour y graver de minuscules symboles. De petites fourmis d’apparence lugubre apparurent et se mirent à grignoter voracement le chanvre. Le garçon eut juste le temps de protéger sa tête de ses bras avant de chuter lourdement au sol.
Satisfaite, la sorcière reprit son chemin sans autre cérémonie. Liaran, alors en train de se redresser, la vit s’approcher d’une espèce particulièrement toxique. Il nota son regard, peu assuré, ses gestes, hésitants.
« Attends ! »
La rejoignant, il arrêta son geste juste à temps. Examinant ses doigts, il s’assura qu’elle n’avait pas touché la plante violette tachetée de points rouges, avant de constater avec effarement que le panier tressé en osier qu’elle tenait à son autre bras était rempli d’orties, d’autres espèces vénéneuses et de quelques fleurs.
La sorcière le regardait avec lassitude. Sa main qu’il serrait découvrit un peu de son poignet sur lequel dépassait les prémices de violentes brûlures sur la peau. Liaran hésita, prêt à l’abandonner. Les sorcières n'avaient pas bonne réputation dans le coin, nulle part en fait. Pourtant, celle-ci lui paraissait inoffensive. Et il avait une dette à payer.
« Comme chasseur, je ne vaux pas grand chose. Mais j’ai souvent été de corvée chez le soigneur de la vallée. Suis-moi, sorcière. »
Elle le regardait de ses grands yeux qui le mettait mal à l’aise. Décidé, il prit son panier, jeta les mauvaises herbes et commença une saine collecte après avoir couvert le fond du panier d’un chiffon propre. La sorcière se laissa guider en silence, surprise de recevoir de l’aide.
* w * i * t * c * h *
Se guidant aux lueurs de la lune, ils finirent par arriver en vue de la maison de Liaran. De nature b(r)avarde, le garçon avait animé la dernière heure de blabla, plus pour se rassurer lui-même et faire son jeune coq que pour lancer une véritable conversation. Celle qui le suivait ne parlait pas, taciturne dans l’âme. Pourtant, Liaran était sûr qu’elle le comprenait.
Une fois devant la chaumière de laquelle s’élevait de la fumée, Noireaude - comme l’avait surnommée Liaran - amorça un geste de recul.
« Ne t’inquiète pas. Je vis seul avec ma sœur. C’est une harpie, mais elle ne mord pas… ou juste un peu. »
Sans attendre son accord, Liaran entra avec son panier et la récolte d’herbes médicinales. La sorcière hésita, puis finalement le rejoignit après avoir lancé un sort d’illusion sur la demeure.
À l’intérieur, elle fut accueillie par de bonnes odeurs, ainsi que des cris. Liaran était en train de se faire passer à tabac par sa sœur Hortense, l’accusant de revenir bredouille, et en plus de leur ramener une bouche supplémentaire à nourrir. Cependant, dès qu’elle la vit, sa colère s’évapora pour laisser place à une attitude calme et un sourire de bienvenu.
« Salut, Noireaude. Viens t'asseoir près du feu, Liaran m’a expliqué pour ton aide, et ta blessure. »
Leur hôte fut déstabilisée par un si bon accueil, le premier qu’elle n’ait jamais reçu où qu’elle soit passée. Toujours muette, elle prit place, remerciant d’un geste Hortense pour la tisane qu’elle lui apporta. Buvant en silence, elle surveillait le travail de Liaran, sans toutefois ne rien comprendre à la mixture qu’il préparait. Certaines plantes étaient broyées en une fine poudre, d’autres lavées puis mises à bouillir. L’odeur âcre qui s’en dégageait la fit éternuer, là où Liaran sourit, visiblement fier du résultat.
Prudemment, Liaran se saisit alors de son poignet et releva la manche. Il retint une grimace devant la blessure. Une brûlure, causée par un tison peut-être. À sa place, il aurait hurlé de douleur.
Il commença par nettoyer la peau. Noireaude ne cessait de le fixer sans afficher le moindre signe de douleur, peut-être grâce à ce glyphe dessiné avec son sang sur le poignet. Ensuite, il appliqua généreusement la pommade en massant longtemps, s’assurant que tout pénètre en profondeur. Pour terminer, il noua un pansement à l’aide de bandelettes de lin.
Il s’attarda sur la fin sans oser la dévisager, un peu trop, pour faire durer l’instant, pour la garder auprès d’eux.
La sorcière n’était pas dupe. Un sursaut de méfiance la fit se redresser. Elle poussa un cri de douleur en se touchant le dos. Hortense qui observait de loin s’impose aussitôt. Elle la força à se rasseoir tout en frappant Liaran à l’aide d’une spatule en bois.
« Aller, ouste ! Il y a des choses qui ne regardent que les femmes ! »
Hortense se plaça devant la sorcière, la mine sévère, les bras croisés, et attendit.
Vaincue, la sorcière se tourna et entreprit d’ôter sa tunique. Elle dévoila alors son dos, bien plus affecté que son bras. Hortense se refusa à imaginer quels sévices elle avait dû endurer et reprit les soins. La blessée se retint à grand mal de gémir, pas de glyphes dans son dos, hors d’atteinte.
« Tiens bon, Noireaude. Je ne suis pas douce comme mon nigaud de frère, mais ça fera l’affaire. »
Les soins s’achevèrent sur l’évanouissement de la sorcière. Hortense la coucha et reprit la préparation du repas tout en la surveillant. Elle maugréa qu’un peu de viande aurait été de bon augure pour récupérer des forces.
* w * i * t * c * h *
Liaran les rejoignit un peu plus tard. Son expression livide inquiéta Hortense malgré ses bras chargés de victuailles.
« J’ai remonté la trace de Noireaude, jusqu’à la route menant à Val Tordu. J’y ai trouvé un charnier. »
Il pointa la dormeuse du doigt, le ton sentencieux.
« Elle est pourchassée par les asservisseurs royaux. Les victuailles sont à eux. Je me suis dit qu’ils n’en auraient plus d’utilité. »
Un silence passa. Le frère et la sœur prirent le temps de digérer la nouvelle. Hortense retrouva l’agressivité qui la caractérisait et l’aidait à affronter les écueils de la vie.
« Gros malin ! Ils vont pouvoir remonter jusqu’à nous ! On va être punis, pour l’exemple ! »
« De toute façon, on aurait pas tenu l’hiver sans papa et maman. Rien qu’aujourd’hui, j’aurais dû mourir, pendu à mon arbre. Et toi ? Tu n’avais qu’à la dégager hors de chez nous après l’avoir soignée. »
Nouveau regard agressif entre eux. Ce fut le moment que choisit la sorcière pour émettre un léger ronflement, apaisé, rassuré. Cela suffit à les calmer.
Soupir partagé.
D'un commun accord, ils se refusèrent à la livrer à ses poursuivants.
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