Deux frères

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C'est une histoire à deux, qui se passe dans un lycée ressemblant à tant d'autres.

La vie n'est pas facile pour deux garçons qui cherchent leur place dans celle-ci.

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Le jour touche à sa fin lorsque nous quittons le bureau du proviseur, avec quatre heures de colle dans les poches et un mot dans le carnet de suivi. Encore un établissement, encore une bagarre, encore un discours moralisateur. C’est devenu notre routine, à nous les jumeaux Bayard, ou plutôt, les faux-jumeaux. On ne se ressemble pas physiquement, mais on partage le même anniversaire, le même sang chaud, la même tendance à discuter avec nos poings.

« T’aurais pu te retenir, hein ? » souffle Arthur, le plus impulsif des deux, en donnant un coup de coude à son frère.

Damien l’ignore et continue de traîner des pieds. « Et toi, tu aurais pu fermer ta grande gueule quand elle t’a provoquée. »

« Provoquée ? Mais elle m’a traité de… »

« D’emmerdeur de première. Je sais, j’étais là je te signale. » soupire Damien. « Pour une fois que ça ne tombait pas sur nous, à croire que tu kiffes ça. »

« J’y peux rien si c’est toujours pareil. On change de lycée, mais rien n’y fait. À croire que les problèmes nous collent à la peau. »

On se tait. L’amertume nous serre la gorge. Ce n’est pas la première fois qu’on se dispute pour savoir si on est en tort, si on doit apprendre à baisser la tête et passer à autre chose. On a l’impression d’être condamnés à répéter sans cesse les mêmes erreurs.

En arrivant dans la cour, nous nous attendons à être le centre de l’attention. Heureusement, les cours s’achèvent et chacun retourne plus ou moins gaiement chez soi, selon le résultat du dernier contrôle. On nous lance quelques œillades, tantôt apeurées ou mauvaises, mais personne ne vient nous chercher des noises.

Laissés à l’écart, ce qui nous convient parfaitement, nous prenons un moment pour partager la dernière barre de chocolat, discuter des cours ou encore se répartir les devoirs. Arthur aime le concret, il trouve son bonheur dans la SVT, les TP et les expériences de physique-chimie. Damien, le plus studieux des deux, se réserve les DM de maths ainsi que tout ce qui touche aux études de textes en philo, latin et histoire.

Et puis, une voix timide nous sort de notre torpeur. « Euh… Merci. »

On lève les yeux et voyons une fille, les joues rougies, qui nous regarde avec reconnaissance. C’est celle qu’on a défendue plus tôt dans la journée. Un groupe de pimbêches l’embêtait, alors on est intervenu.

« De rien. » répondit sobrement Damien qui l’avait déjà oublié.

« Ouais, pas de souci ! » ajoute Arthur avec un sourire plus chaleureux.

Un silence passe. Nous la regardons sans savoir quoi ajouter. Tous deux, nous savons que ce n’est que partie remise. Demain, elle devra à nouveau raser les murs. Pire, les garces d’aujourd’hui voudront se venger de nous par son intermédiaire.

Damien lance un regard usé à Arthur avant d'amorcer un mouvement pour partir, lorsque la fille reprend brusquement la parole.

« Vous… vous pourriez m’apprendre à me défendre ? » demande-t-elle, ses yeux brillants d’espoir.

Les jumeaux échangent un regard surpris. La question nous prend de court. Apprendre nos combines, nos bricolages mi-self defense, mi-film de karaté ? C’est une idée qui ne nous a jamais traversé l’esprit.

Boarf. Pourquoi pas.

***

L’appartement où vit la famille Bayard est un joyeux bordel, rempli d’affaires de voyages et de piles de livres à peine sorties de leurs cartons. De la place avait été faite à la va-vite au centre du salon transformé en dojo improvisé.

C’est là, sur un gros tapis molletonné, que nous nous entraînons avec la dénommée Prudence depuis bientôt deux heures. Elle part de pas grand-chose, voir que dalle, mais nous nous prenons au jeu, enhardis par l’acharnement dont elle fait preuve.

Elle s’améliore à vue d’œil.

Damien encadre la jeune fille avec une patience infinie. Ses explications sont claires et ses démonstrations précises. Arthur joue divers assaillants, modulant sa voix et son apparence pour la préparer à toute situation. Au fond, nous sommes heureux d’enfin croiser quelqu’un qui nous ressemble. C’est probablement une mauvaise chose que de nous conforter dans une résolution musclée de chaque problème, et alors ? Peut-être sommes-nous un mal nécessaire, un moyen de secouer les choses dans le bon sens.

Alors que Prudence répète quelques mouvements, nous l’observons, bras croisés et le commentaire moqueur au bord des lèvres. Sous ses airs fragiles, elle révèle une force insoupçonnée.

Des deux jumeaux, c’est Arthur qui est le plus captivé, incapable de détacher ses yeux de ses cheveux rassemblés en une queue de cheval énergique, de ses joues qui se colorent à l’effort. Il y a quelque chose d’irrésistible chez Prudence, une beauté sauvage qui contraste avec sa timidité apparente. Leur regard se croisent un instant, un courant électrique traverse l’air. Arthur détourne rapidement la tête, le cœur battant la chamade.

Pendant ce temps, Damien, qui avait tout observé, fait semblant de ne rien voir. Il connaît son frère et son faible pour les filles fortes.

Pendant ce temps, leur mère, cachée derrière la porte de la cuisine, observe la scène avec un immense soulagement. Elle est si heureuse de voir ses fils enfin s’ouvrir aux autres et s’amuser. Le carnet de correspondance entre les mains, elle décide de reporter sa punition au lendemain.

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