La symphonie paranormale
La nature chantait dans les prés adjacents.
Le paysage rayonnant d'or bordant le comté de Maravutpieddesmontsglaviotetracksurmer baignait ses voyageurs dans une torpeur digne d'une tendre balade au violon, teinté de vielle, plus rude, moins sophistiquée, plus maladroite aussi.
— Casse-pieds, ces plantes ! claironna le pourfendeur de dragon.
... un clavecin guilleret se glisse. Des accords plus graves dans la mélodie s'immiscent.
— Chevalier ! trancha le Barde, accordant sa voix aux cordes chlorophyllées.
... ajoutons la contrebasse, aussi noble que le violon, mais sombre, si sombre, qu'elle en ferait pleurer les fleurs.
— Quoi encore ? gronda l'intéressé, serrant un peu plus sa noble figure de proue, bien trop fière pour renacler.
... Un soupçon de cornemuse aussi, courants légers, taquinant les flots tortueux jusqu'aux océans lâches.
— Ne lui dites pas, chuchota Octine au chanteur, il n'est pas commode votre bonhomme.
— Je vais me gêner ! proclama l'enflammé. Car jamais Piroulette ignorant ne demeure ! Le mystère, face à lui, toujours se meurt. Poète, peintre, styliste, mais surtout enquêteur, il fait des résolutions son dur labeur !
... Voici les tambours, ils frappent les cœurs, animent les corps, aveugles, ils percent les âmes et font trembler les morts.
— « Ne crois jamais ce que dit une femme, même si elle dit la vérité », gronda une voix caverneuse.
— Pourquoi n'avons-nous pas encore abandonné cet affreux animal le long d'une route, interrogea Louise en évitant soigneusement l'haleine vineuse qui se déversait sur ses oreilles.
... La musique s'accorde, disharmonique, ces étranges instruments amorcent leur crescendo.
— Ouaip, ma belle, j'approuve, susurra le preux. Piroulette, dit à ta compagne de mule de dropper le clebs !
— Jamais ! cria Octine. Enfin... sauf votre respect, madame. Thrasybule nous a sauvé la vie !
— Oh, ma fille, vous m'épuisez ! Sommes-nous bientôt arrivés, monsieur Pingard ? fit-elle, luttant contre son dégoût.
— Chevalier ! réclama le trouvère, élevant sa voix magistrale. Vous esquivez ! Or la musique monte, monte ! L'entendez-vous ?
— « Quand le chêne est tombé, chacun se fait bûcheron », aboya le carlin.
— Tout cela est bizarre ! réclama Octine de son bec flûté. Dites-nous, chevalier !
— Cette migraine m'assassine ! geignit Louise.
— Fermez-la, tous ! claironna Fringard, s'appuyant sur Pourfendard.
— Répondez d'abord ! stridula Piroulette, s'appuyant sur Acrostiche.
— On arrive quand ? pleura Louise, s'appuyant sur le désespoir.
— Parlez ! insista Octine, s'appuyant sur le barde.
— « La supériorité est toujours odieuse » ! rugit Thrasybule, s'appuyant sur la poulpesse.
... L'apothéose symphonique frappa à cet instant précis. Fringard, tel une corne de brume venue du fond des âges, beugla jusqu'au soleil. Les oiseaux s'envolèrent, les fleurs et les vignes la fermèrent, même les vaches, paisibles, partirent se cacher. Le monde se tut.
— Quoi ? Merde ! reprit-il finalement.
Courageux, Piroulette perça le silence de sa clarinette. Rassurés, les bourdons inquiets reprirent leur tocsin.
— Chevalier, m'est venu à l'oreille que vous avez manié de votre langue le destin de votre jument !
— Manié de... quoi ?
— Et qu'il me semble, continua le ménestrel, que ce n'est pas la première fois que votre verbe pèse sur l'univers !
— Mon verbe, l'univers ? protesta Fringard. Tu pètes les plombs, trouvère ?
— Gageons que ceci n'est pas votre coup d'essai ! J'implore : révêlez donc l'ampleur de vos pouvoirs, car s'ennuient de vos exploits mes pauvres sonnets !
— Hum, si je puis me permettre, fit Louise, s'éclaircissant la voix, pourriez-vous régler vos affaires une fois arrivés ? Loin de moi, vous ferez de vos langues et de vos verbes comme vous l'entendrez !
— Ah, tu veux voir mon pouvoir, poète ? fit Fringard, descendant de sa monture où la marquise se démontait. Tu veux vraiment savoir ?
— Oui, cher ami, votre chroniqueur veut tout savoir !
— On va rire, susurra le chevalier, espiègle comme une araignée. Le trouvère ayant chanté tout l'été se trouva fort dépourvu quand la pharyngite fut venue. Il sentit sa gorge belle et tendre s'enflammer et bientôt plus aucun son de sa bouche ne put s'envoler.
— Je ne... reprit le barde... krrrr... glllpp... glglglgl.... blp
Piroulette s'avoua vaincu, Louise pouffa.
— Votre pouvoir est d'induire le silence chez les pleutres ? méprisa-t-elle. Alors pourquoi ne pas l’avoir brandi avant ?
— Bonne question, tiens, reprit Fringard. Pourquoi ne l'ai-je pas brandi avant... Allons-y, justement ! La marquise, jusqu'ici insoumise, vit lentement son cœur chavirer face aux muscles bandés de ce Fringard qu’on appelait chevalier !
— Vous pouvez toujours courir, mon pauvre ami, le toisa Louise du haut de son cheval et de sa noblesse. Au fond, quels sont vos titres, de quelle couleur est votre sang ? Médiocre et pâle, probablement !
— Zut, ça marche pas sur les mijaurées...
— Plaît-il ? s'exclama la marquise furieuse, en claquant les rênes. Hue, vil canasson ! Octine ! Cap sur l'horizon !
Fringard n'eut pas le temps d'articuler quelque narration que déjà sa précieuse décampait avec cette foutue donzelle aux cheveux blonds.
— Madame ? interrogea Octine dans le vide. Mais que... ?
— « Il n'y a pas de moyen pour polir le hérisson », grogna le Carlin.
— gllggll... bllll... répondit le trouvère, passablement outré, avant de partir lui-même au galop.
Fringard se retrouva tout seul sur la route chantante. Tout seul, il réfléchissait à quoi narrer pour redresser les tords.
— Ô temps, suspends ton vol, fait demi-tour et remonte le col, reviens avant que cette duchesse ne tourne folle.
Rien ne se passa. Fringard eu l'impression d'entendre, au loin, Fée-Love se foutre de sa gueule.
À moins que ce ne fussent les cinq reines qui le suivaient, après avoir délaissé leur forêt, ou encore les vignes franches qui tendrement l'insultaient.
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