Ignobles vignobles

5 minutes de lecture

— Pauv'taré, cancrelat cancéreux, râle de troll ! crachotaient les vignes autour du guerrier abandonné.

Fringard grimaça. Cet ignoble vignoble commençait à les lui hacher menu et il était prêt à y remédier en écrabouillant quelques pieds en guise d'anti-stress. Il se ravisa en pensant à toute la vinasse qui serait perdue de la sorte et revint à son problème. Là, assis au bord de la route chauffée à blanc, il cherchait.

Un vagabond, il y a fort fort longtemps, avait un jour perdu son chargement, lança-t-il au sol aride. Des pluies diluviennes vinrent enterrer le pactole. Par chance, c'est juste sous mes pieds qu'il fut trouvé. Riche, je deviendrai !

La phrase prononcée, Fringard se releva. Il méprisa d'abord du regard les quelques trous vides qu'il avait creusés suite à ses incantations passées, puis se lança dans l'excavation du trésor invoqué. Il n'eut pas le temps de commencer à bêcher de son épée que la terre s'effondra sous lui, l'enfonçant d'un bon pied dans le sol caillouteux.

— Invocateur de pacotille, vermisseau, sorcier de mes deux ! ajoutèrent les vignes à son désespoir.

— Ah, vous, lâchez-moi la grappe ! éructa grossièrement Fringard. A quoi bon avoir un pouvoir pareil si j'peux rien en faire, bordel ?

— Gosse de miche, ribaudet, lèche-fut ! insistèrent les raisins de la misère.

C'est alors que Pourprée vira brusquement hors de Terre pour couper la chique à deux impertinentes vignes.

— Merde, au moins trois bouteilles de perdues, mais - bon sang ! - que ça fait du bien ! Maintenant fermez-la, foutus cépages et laissez-moi réfléchir !

Le silence laissa place à ses cogitations. Tout était dans la formulation, il en était certain. Qu'avait dit Fée-Love, encore ? Trou noir. Il ne parvenait qu'à se rappeler de l'abyssale décolleté de l'emmerdeuse. Bon, essayons ça.

Le roi, de passage dans la région, voulu sécuriser son trésor en l'enterrant, dit le chevalier, suspendant sa phrase avant de poursuivre, fort d'une idée. Ah oui ! Il l'a placé à deux pieds de profondeur, pile en dessous du fier Fringard, à une encablure du château Truc-muche et... ah oui ! Et personne ne l'a encore trouvé ! Avec ça, ça devrait aller, non ?

Personne ne répondit, pas un bruit n'intervint, aucun effondrement ne survint. Fringard commença alors à creuser. Le soleil se réverbérait sur sa lame dévorant la caillasse, les yeux du héros en avalaient la lumière. Bientôt l'épée heurta une masse qu'elle perça malencontreusement.

— Bingo, cria le chevalier, en repensant au casino où il avait l'habitude de déverser son argent. Te voilà. Ma biche, ma précieuse, ma monnaie !

Sa main avide plongea dans la caisse éventrée et en sortit... Un ticket de carrousel.

La masse de métal qu'était Fringard s'effondra lourdement sur le sol craquelé.

— Le trésor du roi, c'est un ticket de carrousel à la con ? Vraiment ? invectiva-t-il au ciel.

— Fils-à-maman, forain foireux, fou du roi ! adressèrent les ignobles vignobles à son désarroi.

Le preux se redressa, prêt à assassiner quelques jéroboams supplémentaires, mais les cépages se turent. In vino veritas, tu parles ! Ils avaient intérêt à ne plus la ramener !

Hormis les vignes désormais muettes, il y avait au loin un paysan qui ronchonnait en levant et descendant une pelle. Fringard pensa qu'il serait peut-être bon de lui emprunter son outil, voire de le lui voler, car il était parti pour un moment à creuser des trous à la con et n'avait pas le temps de négocier.

— Oh là, l'ami, objecta une voix aussi rocailleuse que la région.

— Vous êtes qui vous ? répondit le colosse grisâtre en inspectant le vieil homme qui s'avançait vers lui.

Pour Fringard, tout individu qui dépassait les quarante ans faisait nécessairement partie de la classe des vieillards. Aussi se détourna-t-il pour marcher vers le paysan qui gigotait avec sa pelle.

— Un ami, c'est certain, affirma l'ancêtre en agitant sa crinière et sa splendide barbe poivre-et-sel. Un ami qui vous a entendu bavasser avec l'air ambiant, avant de se disputer avec le sol qu'il arpente. Vous vous y prenez mal, je pense (c'est pathétique).

Fringard se retourna prestement.

— Ecoute bien, papy. Si t'es du genre vieux sage qui apprend au héros à se servir de son pouvoir. Merci, mais tu peux passer ton tour ! Moi j'ai des pelles à rouler... euh... creuser ! Enfin bref ! Ciao.

— Allez donc ! Fier jeune homme, se résigna l'homme à la voix douce, s'étonnant soudain. Oh, je sens quelque chose sous mon pied, tiens... Qu'est-ce ? Une chèvre-taupe ? Ici ? Dans une étendue aussi pierreuse ? (Tu gobes ?)

Fringard, sombre comme la nuit en plein soleil, fonça sans se retourner, pourtant ses oreilles étaient toutes ouïes. Il adorait les chèvres-taupes. Enfant, il s'amusait à les assommer avec un maillet quand elles sortaient la tête hors du sol. Après il les mangeait, presque pas cuites. Que de souvenirs que l'intrus gâcha en poursuivant.

— Oh, mais ne serait-ce pas... (c'est fou) un coffret d'or ? s'exclama le cadra d'un ton badin.

— Un coffr... quoi ? bondit l'intrépide héros, atterrissant devant l'énergumène.

Si Fringard aimait se qualifier de beau-gosse un peu ténébreux. Il fallait reconnaître que ce gars-là l'était également. Et d'autant plus grâce à cet avantage scandaleux qu'on appelait : la force de l'âge. Il ne se laissa pourtant pas démonter par le charisme du bonhomme.

— Tout ce qui est dans cette terre ingrate est à moi ! Merde !

— A toi... (mouhaha) Ou au roi ? fit, narquois, l'homme aussi mûr que les meilleurs vins des environs.

— Bof... le roi, moi, quelle importance ? En tout cas, c'est pas à toi, compris, le vieux ?

— Ton empressement est ta faiblesse (jeune taré). Pour narrer comme il se doit, il faut réfléchir, prendre le temps de bien formuler ses phrases. Que les mots chantent...

— Gna gna ! que les mots chantent que dalle ! T'es qui pour me faire la leçon ? J'ai bouffé des profs à l'école pour moins que ça. On fait pas la leçon à Fringard !

— Tu as raison, tu sais bien mieux que moi comment procéder, bien sûr. Comment un pauvre diable qui a vécu près de trente ans avec le précédent narrateur du monde pourrait t'apprendre quoi que ce soit ? Ridicule ! Alors, salut, Fringard. Amuse-toi bien, en creusant (ta tombe).

— Pardon ? T'as dit quoi là ?

— J'ai dit « en creusant ». Tiens, voici ton coffre, tu le garderas (pour le roi).

— T'as encore dit un truc dans ta barbe, crache !

— « J'vais tout droit », ai-je dis un peu vite, reprit-il. Vers le château de Maravutpieddesmontsglaviotetracksurmer. Sur ce, Adieu.

Après à peu près deux secondes d'hésitation, Fringard décolla.

— Attends, vieil homme. Finalement je vais t'accompagner !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire L'Olivier Inversé ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0