Laissez nous miser, le peu d'argent qu'il nous reste

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Une poule, sur un mur, et un chien au teint dur se font face.

Prenons le temps de commenter ce match d'anthologie.

Sur notre gauche, Thrasybule, trente-deux virgule huit centimètres au garrot, un regard dissymétrique ténébreux, une voix implacable sur lit de bave.

Possesseur d'un doctorat en herméneutique canine et d'une maîtrise en apophthegmatique aboyée, il est également spécialisé en doctrine pré- et post-socratique, en calcul euclidien et en sirtaki.

Son entraînement comprend la lutte gréco-romaine, le kung-fu, la capoeira et le chant choryphéen.

Citharède de génie, il s'est produit dans toute la méditerranée, avant d'être élu héros du comité des péripatétichiens Maravutpieddesmontsglaviotsettracksurmerois, poste qu'il vient de lâcher récemment, pour cause de massacre de ses membres.

Son point faible : il a perdu la vue. Son point fort : il repère ses ennemis par écholocation.

Sa devise : « Se tromper est le fait de tous les hommes – or, les hommes ne sont pas des chiens – se tromper n'est donc pas le fait des chiens ».

Sur notre droite, la Croquatif, alias « Les dents de la volière », surnom « Poupoule ». Taille : Trente-six centimètres virgule quatre.

Détentrice du record de Lombardie en absorption de fibres capillaires, premier prix florentin de capylotraction, double championne de course octopodale du Wyoming (Sud-Tyrol), quadruple championne du vol plané piémontais.

Experte en Tarantelle, en extorsion des chutes capillaires chez les coiffeurs siciliens et en pétanque. On l'a chronométrée à soixante-cinq kilomètres à l'heure tandis qu'elle pourchassait une calèche dans un parc, la rendant, de facto, détentrice du record mondial, hélas non officiel, de course de vitesse.

Elle écoute volontiers de grands ténors chevelus, des concertos (de préférence en la mineur) et est trop fan du groupe émergeant « I bei ragazzi » (surtout leurs torses velus quand ils dansent sur leur dernier titre « I tuoi peli di gorilla depressi » ou le très célèbre « Annuso la punta dei tuoi capelli »).

Son point faible : Ses œufs sont répugnants et provoquent des gastro-entérites galopantes chez ses convives. Son point fort : Ses œufs sont infâmes et infligent des gastro-entérites galopantes à ses ennemis.

Sa devise : « Quand les poules auront des dents – Ah, mais non, elles en ont ! » et « Winger is coming ».


La tension est à son comble. Chaque animal fredonne machinalement son hymne national – quel qu'il soit – en préparant crocs et serres, griffes et chélicères. Ils se toisent. L'un cherche (à l'odorat et à l'écholocation) quelle faille exploiter dans cette chair glabre où des plumes auraient dû figurer ; l'autre quel genre de toison, de poil ou de moustache elle pourrait grignoter.

Chacun passe en revue sa stratégie, leur réflexion est rapide, précise. Ils se savent tous deux champions dans leurs domaines respectifs : la volaille sait qu'elle ne peut en aucun cas s'aventurer sur le terrain rhétorique ou aporétique et le carlin doit absolument éviter d'aborder la dégustation de mulets ou la gastronomie de tifs.

Leurs forces paraissent égales. Leur lutte sera physique, bien plus que morale.

Ouvrez les paris !

Coup de sifflet (mais qui l'a lancé ?).

Ils se précipitent l'un vers l'autre, féroces. Nous assistons à une première sortie de la Croquatif, qui tente un retourné frappé d'un fascicule unguéal, doublé d'une demi-culbute arrière. Thrasybule évite sans peine d'un pas chassé, murmure « Le Temps est l'image mobile de l'éternité immobile », avant d'augmenter considérablement son champ conceptuel afin de repousser les aigreurs de la poule grâce à l'amplitude du plan d'immanence qui le baigne à présent.

La Croquatif est consciente que face à ce champ singularisant sans relief son argumentaire ne pourra que s'effondrer, elle tente alors le tout pour le tout et projette des postillons corrosifs assignifiants. Malheureusement pour elle, la sémantique agressive de son attaque ne manque pas de se diluer dans le logos patent du champ conceptuel. Déterminée à le trucider, elle compte néanmoins sur la physis qui ne l'a jamais trahie et c'est cette conviction qui finit par percer la barrière asémantique.

Le carlin se trouve en mauvaise posture, il est déconcerté par les hurlements stridents de son adversaire qui brouillent son écholocation. Le volatil, entonnant le septième opus de Vivaldi, se précipite sur lui à l'aide d'un triple axel lobé.

Décontenancé et en pleine réflexion, Thrasybule se voit frappé de plein fouet par un violent coup d'aile membraneuse, suivi d'une tentative funeste d'éventration via la queue à lame rétractile de la chimère. Son sourire canin s'affiche, sa bouche musclée par des lustres de péroraisons subtiles se referme sur l'abdomen tranchant, et le brise avec fracas.

Poupoule s'envole, hurlante. C'est un coup dur pour l'équipe italienne, mais la championne sait que la saison n'est pas terminée, son appendice va repousser, mais son prochain match se passera probablement sur le banc de touche, voire dans les vestiaires. Elle beugle, puis glougloute. Elle va tenter le tout pour le tout avec sa bouche pleine de dents d'ânesse.

Le carlin avise le ciel de ses yeux creux, il entend la Croquatif, elle plane au vent en attendant de fondre sur lui. « L'opinion est intermédiaire entre la connaissance et l'ignorance », murmure-t-il, attentif.

L'attaque se prépare. Elle sera finale. Pas de mi-temps, pas de hors-jeu, ni de corner, tout se jouera maintenant. Au culot ! À la hargne !

Incisives armées, la bête compte fondre dès que le vent sera de son côté. Sa volonté : lécher jusqu'à ce que mort s'ensuive les poils ras et drus du chien-chien. « Viens donc, poulette » semble dire sa cible en s'ancrant dans le sol imbibé, oubliant un instant ses éternels apophtegmes. Trêve de rhétorique et de byzantinisme, ce sera mano a mano, songe-t-il, ce soir ce n'est pas de ses poils que cette dinde finira farcie, pas plus que de ses mots !

Il se lèche les babines, un vent triste pousse un buisson qui n'a rien à faire là dans son dos. Au ciel, des dents grincent, les mouettes s'enfuient, les embruns lissent et lustrent les membranes des ailes suspendues.

L'attaque est lancée. D'abord lente, la Croquatif accélère puis devient boulet de canon – non, aigle ! Non ! Dragon ! La vitesse écartèle les babines de son bec immense, ses dents brillent dans son gosier béant, elle avale l'air comme un aspirateur furieux avide de cheveux !

Thrasybule se prépare et ouvre également sa gueule disproportionnée. Il se ramasse prêt à absorber l'attaque du bolide céleste, météore de pégase !

Ils se percutent. Tout explose. Leur lutte éclate, griffes, dents, pattes et ailes, partent en tous sens. Ça arrache, griffe, mord, ça fend, cruel, s'enfonce, dévie, reprend, coupe, grogne et défonce. Aux frappes sournoises s'ajoutent des coups bestiaux, les insultes s'imposent, véhémentes. À l'apocalypse s'ajoutent mots, invectives et notes de musiques mesquines. Tandis que les coups cruels pleuvent de plus belle, telle une pluie de l'enfer, les bêtes se harcèlent, se démènent, sauvages, et se mangent. C'est la guerre, l'Armageddon, l'hallali ! Ragnarök !

— C'est mignon, regardez comme ils se chamaillent, ces deux-là, s'attendrit Fringard, tenant la main de Lulu qui s’étonnait du tintamarre. Qu’ils sont choupis.

Le barde détaillait avec eux la lutte, l'imaginant grandiose. Ce genre de scène de tous les jours dans une ferme mériterait bien plus d'éloges, même être rendue épique, songea-t-il en travaillant d’avance ses vers, admiratif.

Poivre-et-sel de son côté grognait, au lieu de s'intéresser à ces disputes de basse-cour. Il regardait Fringard, cherchait quoi faire. Sans sa barbe, il serait en difficulté pour... sauf si...

Il se tourna alors vers la mer. Quelque chose sortait des vagues. C'était l'heure, enfin !

Pendant que tous se penchaient sur la dispute charmante. Un homme merveilleusement vêtu déboucha hors des flots, tel Jésus, quittant le ressac incessant, porté par un tentacule discret. Il tirait derrière lui une grosse malle qui semblait lourde, mais il ne s'en plaignait pas, n'en perdait pas même son allure magnifique. Une gravure sur pied, pas moins, aurait-on pu dire, si on l'avait observé. Mais il n'y avait qu'un homme débarbé pour le contempler émergeant de la mer ambrée.

Quand le prince des océans arriva à son niveau, tirant son lourd fardeau, il souriait comme la beauté, charmant comme le soleil et doux comme l'eau apaisée. Il demanda, mignon :

— Excusez-moi, mon brave, pourriez-vous m'indiquer la route pour le donjon ?

Sans sa barbe, le sourire de Poivre-et-sel paru presque cruel.

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