Calicoba, n'est pas marin ton noble destin, allez montre toi
Un doux soleil matinal baignait le promontoire qui, érigé, méprisant et hautain, supportait le trône de la grande duchesse – qui présentait les mêmes caractéristiques. Au lieu d'illuminer sa grâce, l'astre n'éclairait qu'un pâle rectangle de marbre. Comme s'il avait de l'importance ! s'enragea celle-ci, fouettant du regard les photons ingrats.
Dans le prolongement de la pente, en bas, très bas, très profond, poireautait la populace, sa cour. Ces misérables larves sans fric avaient l'air si bêtes, avec leurs atours nullement tendance. Ils cherchaient à lui plaire, mais ne savait pas comment s'y prendre. Évidemment, sans imagination et sans argent, que pouvaient-ils donc offrir, à part le désespoir ?
Et voilà que l'chambellan se pointait, harassé par toutes les réflexions mêlées d'hésitations que son esprit plein de calculs lui imposait.
— Ma reine... Pardon, majesté... Pardon, grande duchesse à l'âme éclairée ! susurra-t-il, cherchant ses mots. Des... invités...
— Plaît-il ? grinça l'immense. Des... Des... invités... vous-dites ? trembla-t-elle.
— Pardon, votre souveraineté, je ne suis pas... je... c'est Beoffroy, il les a laissés passer, sans prévenir ! Je vous en prie, ne liquidez point le messager !
— Qui sont-ils ? aboya-t-elle, brandissant un doigt couvert de joyaux vers l'aquilin nez de Duflouzier. De quel droit s'imposent-ils ?
— Madame... Il s'agit du Bienfaiteur, celui qui a gonflé nos rangs et notre lande d'être abscons !
— C'est lui, le con ! rugit-elle. De quel droit s'invite-t-il ? Surtout après ses outrages ! C'est à cause de ses tours de passe-passe et tous ces abracadabras que nous en sommes arrivés là !
— Votre rugosité, intervint Maistre Mielcolm, sortant de nul part. Si je puis me permettre...
— Vous ne vous permettez rien du tout, mon vieux, ou je vous mets à mort sur place, net, paf, coupé le goupillon, patatras dans les escaliers, ensuite votre corps sans tête passera le torchon sur le sang déversé !
La Maistre lui aurait bien rétorqué que tout cela n'avait aucun sens sur le plan biologique mais s'abstint même de le penser, tant la fureur de sa patronne grondait. Sa tête et son job, il tenait aux deux.
— Les laisse-t-on rentrer ? osa Duflouzier, n'ayant pas écouté, étant trop perclus d'arithmétiques.
— C'est trop tard ! Bien sûr qu'on va le laisse rentrer ! On est polis avec les sorciers !
— Lui et sa clique, votre ineffable grandeur ?
— Quelle clique ? le trucida des yeux la déesse vivante.
— L'accompagnent : un très joli jeune homme, qui se prétend prince de contrées lointaines ; un quelconque héros ayant un dû à réclamer ; sa compagne, une souillon ; un barde à la mine et à la rime mauvaise, madame ; et un molosse passablement médiocre qui récite des phrases, l'œil mauvais.
— Très bien, se reprit la noble décideuse. Enfin, non, pas bien. Ne laissez rentrer que le "bienfaiteur" – quel surnom ridicule – et son copain le prince. Les autres, jetez-les donc aux grives anthropophages.
— Le magicien Anatole Runik réclame, votre furibonde sagacité, qu'on laisse toute sa bande vous être présentée.
— Qui c'est encore celui-là ? Un autre invité ! explosa la rude duchesse, se levant pour se cogner une fois de plus au plafond. Raaah ! Répondez, Duflouzier, ou je vous coupe les bourses avec du fil dentaire !
— Gargl... répondit le chambellan, avant de se recomposer une prestance. C'est le nom dudit bienfaiteur, le sorcier qui jadis avait fleurit votre duché de mille êtres chamarrés !
— Qu'on les fasse rentrer, par les milles trous noirs de la création ! renonça la duchesse.
— Selon vos désirs. Faites entrer la... clique ! tonna Duflouzier, avant de s'abîmer à nouveau dans ses maths aigries.
Les portes s'ouvrirent sur un homme dont l'absence de barbe semblait crier. D'aucun aurait comparé cette étrangeté à trouver chat sans poil, ou lapin sans oreilles ; griffon sans plumes ou yeti sans grands pieds. Soit l'anormal dans le commun, l'impensable, mais discret.
Tandis qu'il s'avançait, l'air un peu perdu sans sa touffe légendaire, un jeune homme apparut dans sa suite, tirant une male conséquente. La duchesse eut un haut le cœur en le voyant. Si elle aimait à s'évoquer elle-même comme une déité, ce garçon-là, en revanche, avait tout du dieu grec réalisé. Sous sa mine décontractée, son œil vif, son teint d'atlante, se tenait un corps d'athlète mille fois récompensé, enturbanné d’une toge qu'on aurait dit composée d'or massif, très distinguée.
Un fin filet de bave s'échappa du coin des lèvres ridées de la maîtresse des lieux. Même Duflouzier sembla s'éloigner quelques instants de ses algèbres alambiquées pour le mirer s'avancer. Ce jeune homme sentait les biftons à plein nez, le fric, les dividendes, les royalties ; bref, le blé !
Le gars étincelait tant que la troupe boueuse qui le suivait semblait plus qu'invisible. D'ailleurs nous ne la mentionnerons pas.
— Sorcier ! se reprit la duchesse, sortant de sa fascination, déjà prête à négocier un prix pour cet éphèbe lubrifié.
— Salut Grissendre, ça faisait longtemps ! dit, badin, le bienfaiteur en se postant en bas du podium comme s'il la dépassait de trois têtes.
— C'est duchesse, pour toi ! Nous n'avons pas gardé les cochons ensemble, euh... truc...
— Anatole Runik, chuchota Maistre Mielcolm à son oreille vengeresse.
— ... Anaturk Mole ! Voilà ! ... Pas même les vaches, veaux, couvées, enfin bref... Rien ! Résidu de sorcier bellâtre ! Et tâche d'oublier de ce pas mon prénom avant que je ne te raccourcisse de partout !
— Toujours aussi tendre, commenta-t-il, souriant. Je me permets d'arriver avec une bonne nouvelle, si tu veux je peux te l'annoncer ou partir, aller me faire raccourcir, comme tu préconisais...
— Non, maintenant tu es là, c'est trop tard ! fulmina l'Hécate sans patience. Cause d'abord, on te coupera les membres avant de les faire revenir dans du beurre et servis accompagnés de sauce aux morilles quand tu auras fini.
— Trop aimable, chère Grissendre, admit-il en s'amusant franchement. Voici le prince Calicoba, héritier légitime des royaumes lointains de Mu, de Nu ; la province de Xi, d'Omicron, ainsi que du bassin de R'lyeh ; son père n'est autre que l'alpha et l'omeg...
Une voix passionnée et haut perchée l'interrompit soudainement.
— Prince Calicoba ! se mua soudain la duchesse, comme si de son âge mature elle venait de retomber en jeunesse. Mais où sont donc ces ondoyants royaumes d'où vous arrivez ? Or, si votre bronzage se rapporte à votre voyage, vous êtes le miel de l'orient, et de ses plages fines : le coquillage ! Joli n'est-ce pas ? (Dans l'assemblée un type bizarrement endimanché se mit à applaudir franchement, avant qu'un garde hargneux ne le décourage de sa hache) Ainsi que mon palais, reprit l'à présent charmante, légèrement agacée. Du moins son intérieur ! Et encore, vous n'avez pas encore miré mes splendides jardins ! Nous pouvons y aller si vous le désirez... D'ailleurs, finit-elle, chaleureuse comme la braise. Que désirez-vous ?
Un rire des plus charmant vint alors égailler la salle qui tomba instantanément sous le charme de l'exotique mannequin.
— Ô duchesse, déclama-t-il, charmant. Vous l'aurez compris, je cherche à nouer une alliance avec votre bel état. Du coup, pour vous prouver mon honnêteté, décocha-t-il, merveilleux, tout luisant dans le soleil matinal. Je vous apporte un présent.
Puis il poussa son énorme malle aux pieds de l'olympe, telle l'offrande tendue à Héra, et s'inclina, en reculant.
— Ouvrez donc, belle souveraine... conclu-t-il, plus beau que la beauté même et armé d'un sourire qui faisait craquer toute l'assemblée humaine.
Parmi les gardes, imperceptibles, quelques claquements et pincements résonnèrent, mais personne n'y prêta attention.
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