Chapitre 71 : dimanche 10 juillet 2005 (2ème partie)
- Bon, nous voilà arrivés ! Pile entre le goûter et le souper... sourit Mickaël. Va savoir ce que Mummy va décider pour sa tarte...
- Tout dépend de ce qu'elle aura prévu pour le repas du soir, non ? dit Maureen.
- A mon avis, elle a fait léger... On va finir les restes ! plaisanta-t-il.
Ils sortirent de la voiture et virent la vieille dame s'avancer vers eux. Elle s'était installée au jardin et avait entendu la voiture s'arrêter.
- Ah, je me disais aussi... J'avais bien reconnu le bruit de la voiture... Je me suis demandé si vous n'aviez pas changé d'avis à la dernière minute. Tu as pris celle de ta mère ? demanda-t-elle à Mickaël qui s'était avancé jusqu'à elle pour faire claquer deux bises sur ses pommettes rouges.
- Oui. Maman a suggéré qu'on vienne plutôt te chercher avec la sienne, expliqua-t-il, car le coffre est plus grand et elle est aussi plus confortable pour faire la route.
- C'est gentil de penser à mes vieux os...
- Et à tes petits paquets... compléta-t-il avec malice.
Mummy se tourna vers Maureen qui attendait aussi pour la saluer.
- Bonjour, Maureen, tu vas bien ?
- Bonjour, Mummy. Oui, oui. Et vous ?
- Ca va. Tout est prêt. Ah, vous m'en faites faire... Enfin bon, je suis prête, dit-elle avec philosophie.
Mickaël échangea un coup d'œil complice avec Maureen.
- Bon, il paraît qu'il y a une tarte qui nous attend ?
- Espèce de gourmand ! répliqua sa grand-mère.
- Mummy ! Je me suis couché quasiment à l'aube, je n'ai qu'un petit déjeuner dans le ventre, on vient de faire deux heures de route et...
- ... et je voudrais te faire attendre encore ? Entre donc, grand sot !
Et elle les poussa presque jusque dans la maison.
**
Ils passèrent une bonne fin de journée. Maureen était heureuse de revoir la vieille dame, de retrouver l'atmosphère simple, chaleureuse, de sa maison. Elle remarqua une nouvelle photo de Léony sur le buffet. Une où la petite fille posait dans le jardin des parents de Mickaël.
Après le goûter, pris au-dehors, un peu tard, mais Mummy avait décrété que ce n'était pas bien grave, le jour se couchant au-delà de 23h, ils firent un tour dans le jardin. Mickaël remarqua bien vite les quelques travaux qu'il y aurait à faire en août ; Jimmy serait certainement lui aussi embauché, quand il viendrait avec Véra et Léony.
- Je vous ai apporté une lavande, Mummy, dit Maureen en revenant de la voiture avec la potée dans les bras, alors qu'ils profitaient de la douceur de cette fin de journée d'été, sur la terrasse.
- Oh ! Oh, c'est gentil... mais il ne fallait pas. Elle est vraiment belle, dit Mummy.
- Gardez-la en pot tant qu'elle fleurit... Ensuite, vous pourrez la mettre en terre, un peu à l'abri, expliqua Maureen. Surtout là où elle aura le soleil. On pourra trouver un endroit et s'en occuper quand on reviendra, elle aura fané en août.
- Oui, on fera ça, dit Mummy. Tu as des nouvelles de tes amis ?
- Non, je n'en ai pas eu cette semaine, car Lawra travaillait de nuit... Elle est infirmière à l'hôpital, précisa-t-elle. Nous nous appellerons dans quelques jours.
- En tout cas, il ne faut pas vous gêner pour venir ici. Ce n'est pas un souci pour moi d'avoir du monde. Surtout si Mickaël se met aux fourneaux... dit-elle en lançant un clin d'œil à son petit-fils.
Il lui sourit :
- Aucun souci. D'ailleurs, je vais aller enquêter de ce pas dans ta cuisine...
- Tu n'as pas confiance pour le repas de ce soir ?
- Avec ta manie de ne vouloir laisser aucun reste, je crains le pire... répondit-il.
- Plains-toi. C'est la base de la cuisine que de savoir accommoder les restes... fit Mummy.
Il revint, satisfait, au bout d'une dizaine de minutes.
- J'ai mis la table, dit-il. Et j'ai ajouté deux-trois petites choses...
- Tu as déjà faim ? interrogea sa grand-mère.
- Disons surtout que j'ai sommeil... répondit-il.
Mummy lui jeta un regard inquiet : c'était vrai qu'il avait les traits un peu tirés et le regard légèrement soucieux.
- C'est dur en ce moment ? demanda-t-elle.
- Un peu tendu, soupira-t-il. On a eu un accident, Mummy. Dan s'est renversé de l'huile bouillante sur le bras. Il est encore hospitalisé, mais il va mieux. En attendant, on assure le mieux possible. Un accident n'arrive jamais au bon moment, et en cette période, cela rend les choses un peu plus compliquées. Harris a trouvé quelqu'un pour le remplacer, mais ce n'est pas pareil.
Maureen ne releva pas, nota cependant son ton peu enthousiaste. Quelque chose l'alerta, mais elle n'aurait su dire quoi. Une sorte de lassitude dans la voix de Mickaël qui n'y était pas ces derniers temps, même s'il donnait beaucoup pour faire tourner l'équipe et assurer le travail en étant moins nombreux. La façon dont il venait de raconter ce qui se passait au restaurant était différente de la manière dont il en avait parlé avec ses parents, la semaine précédente.
Ils passèrent à table sans tarder, Mickaël et sa grand-mère rivalisant d'inventivité pour se lancer des piques au sujet du repas. Cette détente réconforta Maureen, car depuis le matin, l'humeur de Mickaël lui paraissait changeante et cela l'intriguait, pour ne pas dire que cela l'inquiétait un peu.
**
Ils s'installèrent au salon, pour profiter du soir et des belles lumières sur les montagnes et le Loch Linnhe. Mickaël avait préparé un thé léger, mais n'apporta que deux tasses. Il avait choisi Zen qu'il allait ainsi faire découvrir à sa grand-mère. Après les avoir servies, il ouvrit le grand buffet de la salle à manger et commença à bouger quelques bouteilles.
- Elle est tout dans le fond, Mickaël... Pour pas que n'importe qui en boive ! dit Mummy.
- Comment as-tu deviné que c'était justement celle-là que je cherchais ? demanda-t-il.
- Parce que je suis ta grand-mère ! répliqua-t-elle.
- Excellente raison, soupira-t-il.
Ce petit échange s'était déroulé en français. Quand il se rassit aux côtés de Maureen, sur le canapé, il reprit en anglais :
- Tu es terrible, Mummy. J'ai l'impression que personne n'en a bu depuis la dernière fois que j'ai ouvert cette bouteille. Je me trompe ?
- Non. Personne. Et la dernière fois, tu l'avais ouverte pour Sam.
- Je m'en souviens très bien, dit-il.
Et son front se marqua brièvement d'un pli soucieux : c'était le jour où Sam avait quitté Jenn.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda Maureen, intriguée.
La bouteille que tenait Mickaël ne portait qu'une simple étiquette blanche, avec quelques mots en français qu'elle n'était pas parvenue à déchiffrer, et encore moins, à comprendre.
- De la gniole, répondit-il. Fabriquée par le père de Mummy. Une des bouteilles que les Allemands ont cherchées pendant la guerre. Mais qu'ils n'ont pas trouvées. Pour notre plus grand plaisir, d'ailleurs !
- J'espère qu'Eric n'a pas distribué ma part à n'importe qui... soupira Mummy.
- Il n'a pas intérêt. Au besoin, je lui rappellerai les règles du devoir familial, ne t'inquiète pas, sourit Mickaël. Il faudrait...
Il s'arrêta, fit mine de réfléchir.
- Il faudrait quoi ? demanda Mummy.
- ... Je pourrais essayer de combiner un truc avec papa et maman... poursuivit-il.
- Comment ça ?
- Papa n'a plus beaucoup de vin. Je pourrais leur suggérer d'aller en France cet été... et de passer chez ton frère pour en récupérer.
- Il faut réussir à convaincre ton père... dit Mummy.
- La gniole est un argument suffisant, répondit Mickaël.
Et il s'enfonça dans le canapé, un petit verre à la main. Le liquide était transparent.
- C'est très fort, dit-il à Maureen. C'est... un truc comme on n'en trouve qu'en France. Il n'y a que les Français pour faire des choses comme ça... Je pense toujours à pépé quand j'en bois.
- Il est revenu de Normandie avec sous un bras, une bouteille de gniole, et sous l'autre... moi, dit Mummy en souriant. Il m'avait dit : mon père me fichera peut-être à la porte parce que je reviens de la guerre avec une fille, mais il nous la rouvrira grâce à ça !
- Il avait raison ? s'étonna Maureen.
- Non... Nous n'avons pas été fichus à la porte, loin de là. Mais mon beau-père a été ravi du cadeau...
- Raconte, Mummy, quand Eric est venu... fit Mickaël.
Elle sourit :
- Eric, mon frère, donc, est venu nous voir quand Ingrid avait deux ans et demi. Il voulait faire le voyage jusqu'ici avant de se marier. Il disait qu'après, il serait installé, il aurait la ferme à faire tourner... Pas forcément beaucoup de temps pour un tel voyage. Et c'était l'aventure à cette époque... Les routes... n'en parlons pas. Bref, le voilà arrivé quand même. Avec quelques bouteilles pour mon mari, mon beau-père. Et un soir... les deux beaux-frères se sont mis en tête de comparer certains whiskys et la gniole... Ah, ben, je peux t'assurer qu'ils n'étaient pas beaux à voir ! Mais, le pire, ça a été la tête de mon beau-père en voyant son fils et mon frère complètement saouls ! Ca a gueulé là-d'dans ! Ouh... vingt dious ! Les murs en tremblent encore !
- Parce qu'ils étaient ivres morts ? demanda Maureen.
- Non ! répondit Mummy. Parce qu'ils avaient bu son meilleur whisky !
La jeune femme éclata de rire et Mickaël aussi, même s'il connaissait l'histoire par cœur. Puis il lui proposa de goûter :
- Je te préviens, c'est très, très fort. Aussi fort que le whisky, mais très différent. Et, contrairement au whisky, je ne peux pas la couper avec de l'eau. A la rigueur... tu peux la goûter sur un sucre.
- Je préfère essayer comme cela, dit Maureen.
Elle prit le petit verre, le porta d'abord à son nez. Elle eut un mouvement de recul. C'était en effet beaucoup plus fort que le whisky, même en arômes.
- C'est quoi, exactement ? demanda-t-elle.
- Une eau-de-vie, expliqua Mickaël. Fabriquée à base de pommes. Tout comme pour le whisky, les Normands la font vieillir. Il y a quelques trésors là-bas...
- J'ai l'impression que la France regorge de trésors... fit remarquer la jeune femme.
- Ce n'est pas faux, dit Mickaël en souriant. Tu peux essayer d'en boire quand même. Attends, je te prépare une tasse de thé, avant.
Maureen était courageuse, pas téméraire... Elle hésita, se dit que s'ils allaient en France un jour, elle aurait sans doute droit à pire... Alors, autant essayer ici, juste devant Mummy et Mickaël pour pouvoir refuser, le cas échéant, une fois là-bas.
- Bouh ! fit-elle avec une grimace. C'est terrible ! Ah... Ca dégage le nez, oh...
Elle toussa, redonna le verre à Mickaël.
- Comment peux-tu boire ça ? demanda-t-elle en toussant encore une fois.
- En pensant à mon grand-père... et au père de Mummy, répondit-il en se réinstallant confortablement dans le canapé. Prends du thé, ça va passer.
Mummy secoua la tête, d'un air un peu désolé.
- Tu es fou, Mickaël. Faire goûter ce genre de choses à Maureen...
- Elle apprend bien à goûter le whisky ! protesta Mickaël. A côté de la gniole, le vin lui paraîtra léger... Quant à vous, vous avez quand même autre chose à goûter... Tu vas me dire ce que tu en penses, Mummy. Je l'ai créé exprès pour toi, ajouta-t-il en tendant une tasse à sa grand-mère.
Ils attendirent cependant un peu que le thé ne soit pas trop chaud pour que la vieille dame puisse le déguster. Maureen ne l'avait pas encore goûté, elle attendait que Mummy le fasse : après tout, c'était son cadeau. Mummy porta la tasse à ses lèvres, sentit le parfum qui s'en dégageait, puis en dégusta une première gorgée.
- Hum, fit-elle. Tu as mis de la pomme dedans.
- Oui, répondit Mickaël. Sur une base de thé rouge pour que tu puisses en boire le soir, comme une infusion.
- C'est très bien. Et des noix ? De la noisette ?
- Amande et noisette, précisa-t-il. La noix aurait été un peu trop forte. Je préférais l'harmonie des deux autres, surtout pour aller avec la pomme.
- C'est un bon choix, fit Mummy. Il me plaît beaucoup. Et ça me changera de Doux...
Elle reprit quelques gorgées. Elle buvait à toutes petites lampées, comme pour mieux déguster. Maureen sourit à la voir faire, car un petit air gourmand s'était affiché sur son visage. Puis la jeune femme le goûta à son tour et l'apprécia bien plus que la gniole du grand-père...
**
- Tu dors ? souffla Maureen en entrant dans la chambre et en s'approchant du lit où Mickaël venait de bouger.
- Non... Enfin, j'ai dormi un peu, répondit-il. Ca va ?
- Le coucher de soleil était magnifique. Je ne regrette pas d'avoir veillé, dit-elle.
Il sourit. Elle se glissa sous les draps, à côté de lui.
- Je suis tombé comme une masse. La faute à la gniole. Mais j'en avais vraiment envie...
- Ca va mieux, là ? s'inquiéta-t-elle un peu.
- Oui, oui, dit-il d'une voix assurée. Et demain, ça ira pour la route. Ne t'inquiète pas.
- Il est temps que les vacances arrivent, n'est-ce pas ?
- Oui, fit-il simplement.
Elle se blottit contre lui, laissa glisser le bout de ses doigts sur sa poitrine, son épaule, dessinant sa clavicule. Il soupira. Il adorait sentir le bout des doigts de la jeune femme sur sa peau. C'était une caresse, légère, émouvante aussi. Très sensuelle.
Elle se taisait ; il la devinait hésitante. Enfin, elle se décida :
- Quelque chose ne va pas, Mickaël ?
Il ne répondit pas tout de suite, puis dit :
- Oui. Un souci au travail.
- Ah...
Les doigts s'arrêtèrent juste à la base de son cou, sur l'os de la clavicule.
Il ne voulait pas lui mentir, mais ne savait pas comment le lui dire. Il hésitait. Deux choses essentiellement le retenaient : le souvenir de la jalousie maladive de Betty et le fait que Maureen ait été confrontée à l'adultère. S'il n'y avait pas de risque que cela arrive, il ne pouvait savoir comment elle allait réagir.
Le silence se prolongea. Les doigts de Maureen n'avaient pas repris leur caresse. Enfin, il se décida :
- La remplaçante de Dan m'a fait des avances.
Il perçut aussitôt à ses mots que Maureen se raidissait intérieurement. Elle laissa sa main retomber sur sa poitrine. Il secoua la tête :
- Je lui ai fait comprendre que ce n'était pas la peine, mais... Ce qui m'ennuie, c'est que Sam l'avait prévenue et qu'elle a tenté quand même. Et ça me fait ch... parce que ça va rendre l'ambiance en cuisine beaucoup plus lourde. Et qu'on n'a pas besoin de ça !
- Comment ça ? demanda Maureen. Puisque tu lui as dit...
- Sam va lui rendre la vie impossible ! Il me connaît. Il sait que je déteste ce genre de piège...
Il entoura les épaules de Maureen de son bras. Les dernières lueurs du jour apportaient encore une faible clarté dans la chambre. La jeune femme restait songeuse, beaucoup de choses se bousculaient en elle. Finalement, elle se redressa et fixa Mickaël. Elle pouvait encore distinguer ses traits, son regard dans lequel elle perçut tension et inquiétude.
- Je te fais confiance, dit-elle simplement.
Il l'attira vers lui.
- Merci.
Elle perçut un soulagement en lui, et comme une victoire pour elle. Ce à quoi ils étaient confrontés, tous les deux, depuis ces dernières semaines, était comme un premier écueil. Elle savait que la meilleure parade, c'était la confiance. Non une confiance aveugle, mais une confiance sereine, en l'autre.
Ils restèrent un moment ainsi, à se regarder, sans se mesurer du regard, simplement en faisant passer leurs sentiments profonds. Puis Maureen se pencha vers Mickaël et l'embrassa doucement. Ses cheveux mi-longs retombèrent sur le visage du jeune homme et il la fit basculer complètement sur lui.
- Je t'aime, lui dit-il alors que leurs visages restaient très proches.
- Moi aussi, je t'aime.
Et cet échange fut pour l'un comme pour l'autre presque plus fort que leurs premiers aveux.
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