Chapitre 122 : dimanche 25 septembre 2005
Ils étaient en train de terminer leur repas dominical, ce mélange de petit déjeuner et de déjeuner. Mickaël avait pu rapporter quelques restes de viande et c'était ce que savourait Maureen alors que lui-même s'offrait un brunch copieux. Le téléphone de Mickaël sonna alors qu'ils dégustaient les dernières crèmes à la vanille et aux épices qu'il avait préparées dans la semaine. C'était William.
- Salut, Willy ! fit Mickaël. Comment ça va ?
- Bien, répondit son ami. Je ne t'appelle pas trop tôt ?
- Non, pas du tout, on terminait notre repas avec Maureen.
- Ok, vous avez prévu un truc, tantôt ?
- Non, rien de spécial, dit-il. Eventuellement une petite balade et un ciné... Et toi ? T'es sur Glasgow ?
- Oui, je suis venu pour passer le week-end avec Shana et on avait envie de se faire une sortie hors de la ville. Ca vous tente ?
- Ouais, carrément. Seulement faut que tu passes nous chercher, car Maureen a laissé sa voiture à Sam pour qu'il aille à Fort William.
- Ok, fit Willy. J'allais justement te demander s'il était là ou pas. Pas de soucis. Dans dix-quinze minutes, c'est bon pour vous ?
- Oui, dit Mickaël. Sans problème. On va où ? La côte ? Le Lomond ?
- Ca nous tentait bien le Lomond... fit William.
- Je demande à Maureen...
Il écarta le téléphone de son visage et la regarda.
- Willy propose une sortie avec Shana le long du Loch Lomond...
- Oh, oui ! dit-elle enthousiaste. Nous n'y sommes pas retournés depuis le printemps, ça me plairait beaucoup.
Mickaël sourit et reprit sa conversation avec William :
- C'est ok pour nous. On vous attend.
**
Ils avaient choisi d'un commun accord de suivre un sentier de randonnée qui longeait une des rives du loch. La nature commençait à prendre des couleurs automnales et le doux soleil de l'après-midi faisait miroiter les reflets dorés dans les eaux calmes. William avait pris la main de Shana, Mickaël avait passé son bras par-dessus les épaules de Maureen et ils cheminaient tranquillement en discutant avec animation.
Les premières questions portèrent sur l'installation de William à Callander, sur sa rentrée, son appréciation de ses collègues, de ses élèves.
- C'est très différent de Glasgow, dit-il. Mais j'en suis content. Les enfants de la campagne, ça me change des gamins de la cité, déjà presque blasés devant la vie. Là, il y a encore de l'enthousiasme, de la joie de vivre. Ca fait du bien.
- Ce n'est pas facile, la cité, dit Shana. J'y ai grandi...
- Je sais, dit William. Je ne critique pas. J'ai aimé y travailler et j'espère avoir aidé quelques gamins à progresser et à se forger une autre idée de la vie. Je n'oublierai jamais l'émerveillement de certains quand je les avais amenés pour une sortie jusqu'ici... C'était, pour la plupart, la première fois qu'ils quittaient Glasgow, et même, pour certains, leur quartier...
Shana hocha la tête. Elle était une enfant de ces cités ouvrières, ravagées par le chômage et les années dures et noires du thatchérisme. Celles qui avaient laissé exsangues des familles populaires de Glasgow, de Liverpool ou d'autres villes anglaises. Celles aussi qui avaient durci la situation en Irlande du Nord, Maureen le savait bien. Et même si son propre quotidien n'avait pas été marqué par la politique menée à l'époque, elle comprenait ce que Shana voulait dire, elle-même étant issue d'une famille ouvrière. Mais son père n'avait jamais connu le chômage et ses frères non plus. Quant à sa mère, son choix était tout tracé : elle avait été mère au foyer et s'occupait encore d'élever les plus jeunes des frères et sœur.
- Je sais qu'ils te regrettent, dit la jeune femme rousse. Il y a toute une classe qui n'attendait qu'une chose, t'avoir comme instituteur et tu es parti...
- C'est gentil... Mais j'avais envie de faire autre chose. Néanmoins, cela ne veut pas dire que je ne reviendrai pas enseigner dans une école comme celle-là. Mais, avant, je veux voir autre chose.
Shana sourit. Elle était au courant des projets et envies de William.
- Et vous, la reprise ? demanda-t-elle en s'adressant autant à Maureen qu'à Mickaël.
- Et bien, plutôt calme, même si j'ai maintenant revu la plupart de mes clients fidèles, dit Maureen.
- Tu as de nouveau des commandes ? demanda William.
- Oui. Pas autant qu'au printemps et au début de l'été, bien entendu, et des plus modestes, plutôt des bouquets composés pour des anniversaires. Pour samedi prochain, j'ai encore une grosse commande pour un mariage. Je pense que ce sera le dernier de la saison...
- Bah, en Ecosse, on se marie toute l'année ! rit William. On n'attend pas qu'il fasse beau, sinon, on ne le ferait jamais !
Ils rirent tous les quatre.
Ils arrivèrent à un passage un peu plus difficile du sentier, Shana ne se sentait pas de s'y aventurer, car elle n'avait pas pris de chaussures adaptées. Maureen proposa de rester avec elle, car les jeunes gens étaient tentés d'aller un peu plus loin. Elles s'installèrent donc sur un banc et admirèrent la vue tout en continuant à discuter.
- Tu travailles à ton compte, alors, m'a dit William ? demanda Shana qui était très intéressée par le métier de Maureen.
- Oui. C'est un tout petit commerce, cela me suffit pour vivre.
- Tu avais un peu d'argent quand tu t'es lancée ?
- Oui, pas une grosse somme. Cela m'a permis de prendre le bail, d'acheter aussi le matériel dont j'avais besoin. Il me reste un petit peu d'argent de côté, au cas où, mais j'arrive à vivre avec mon salaire. Je n'ai pas de gros besoins, ajouta-t-elle.
- J'aimerais bien faire autre chose, moi aussi, soupira Shana. Mais je n'ai pas de diplôme, j'ai arrêté tôt l'école pour travailler. Et je ne peux pas prétendre à grand-chose d'autres que des petits boulots. Néanmoins, j'étais contente, l'an dernier, quand j'ai eu ce contrat de quelques heures par semaine pour aider à l'école maternelle. J'aime beaucoup m'occuper des enfants.
- C'est comme cela que tu as rencontré William ?
- Oui, sourit la jeune femme. Il m'a plu tout de suite, même s'il m'intimidait beaucoup ! Et il a mis un peu de temps à me remarquer aussi... J'étais hésitante, surtout quand j'ai su qu'il allait quitter Glasgow. C'était pas facile de s'engager... J'avais un peu peur de l'éloignement, tu comprends ?
- Oui, je comprends, dit Maureen qui songea que Sam et Jenn affrontaient une difficulté similaire. Et là, ça va ? Tu as moins peur ?
- Oui. Ca se passe finalement bien mieux que je le craignais... Je me dis parfois que je me suis fait peur pour rien ! Enfin, ce sont juste les premières semaines ; William est revenu chaque week-end depuis la rentrée, et je vais peut-être pouvoir m'arranger, certaines semaines, pour ne pas travailler au supermarché le vendredi après-midi. Je pourrai prendre le train et le bus pour aller à Callander et rentrer le dimanche soir. Il a dit aussi qu'il pourrait me ramener en voiture, ça ne fait pas loin. On verra.
- Tout à fait, dit Maureen. Il ne faut pas vous mettre d'obligation, et garder de la souplesse dans votre organisation.
- Et peut-être que je le rejoindrai là-bas, je ne sais pas encore... C'est petit et je ne suis pas certaine que je pourrais y trouver du travail, et je ne veux pas vivre à ses crochets. Pour quelques semaines, ça peut aller, mais pas plus.
- Je suis comme toi pour cela, dit Maureen. Je n'aimerais pas dépendre de Mickaël.
- S'il partait travailler ailleurs, tu le suivrais ? demanda Shana.
- Je pense que oui... En fait, je n'y ai jamais réfléchi, parce que la situation ne se présente pas et ne s'envisage pas du tout pour le moment. J'aurais du mal à vivre loin de lui, c'est certain.
La jeune femme rousse hocha la tête. Puis elle tendit le bras et dit :
- Oh, regarde, les oiseaux !
Des oies sauvages s'approchaient dans le ciel et les beaux oiseaux vinrent se poser délicatement sur les eaux du loch.
- Elles entament leur migration, je pense, dit Shana. Willy m'avait dit qu'on en verrait peut-être, c'était pour cela qu'il avait envie de venir par ici. Il aime bien observer la nature.
- C'est une saine occupation, dit Maureen en souriant. Et ici, nous sommes gâtés !
- C'est vrai... Tiens, ils reviennent.
Maureen tourna la tête et reçut en plein cœur le sourire de Mickaël. Elle se sentit enveloppée par son regard et ne vit pas que William regardait Shana un peu de la même façon. Elles quittèrent le banc et chacun des jeunes gens enlaça sa moitié, avant de repartir le long du sentier.
- Vous avez vu les oies ? demanda Mickaël.
- Oui, elles sont belles, dit Shana.
- D'un peu plus haut, leur vol et leur atterrissage étaient splendides à voir. C'était un beau cadeau, dit William.
Maureen sourit. Elle appréciait beaucoup la simplicité de William, proche de celle de Mickaël, et à se retrouver tous les quatre, elle percevait mieux aussi les points communs entre les deux amis. C'était une relation différente de celle que Mickaël avait avec Sam, mais tout aussi proche. Elle ne fut donc pas étonnée quand il proposa de terminer la journée dans un pub.
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