Chapitre 131 : mardi 15 novembre 2005
Ce midi-là, Mickaël rentra déjeuner avec Maureen après être passé à la criée et avoir ramené les approvisionnements du jour au restaurant. Il quitta la jeune femme un peu plus tard que d'habitude car il l'avait aidée à ranger sa commande de début de semaine.
Un vent froid se glissait dans les rues de Glasgow. Il roulait tranquillement le long des quais, se dirigeant vers le centre-ville. Avant de traverser la Clyde, il s'arrêta à un feu. Son regard suivit machinalement la foule qui traversait, s'étirant sur les trottoirs. Parmi les gens qui se pressaient, une silhouette et une chevelure attirèrent son regard. Même si elle lui tournait le dos, il était quasiment certain qu'il s'agissait de Betty. A ses côtés marchait un grand jeune homme blond, aux cheveux coupés très courts. Il la tenait par l'épaule. Mickaël resta immobile et, quand le feu passa au vert, il tourna comme prévu sur le pont, ne cherchant pas à les suivre alors qu'ils poursuivaient leur chemin le long du fleuve. Cette rencontre fortuite, finalement, ne le surprenait guère : Betty vivait toujours à Glasgow, elle travaillait dans le centre-ville. Il était donc tout à fait possible qu'un jour ou l'autre, il la recroise. Il préférait ne pas avoir été vu, du moins, il l'espérait. Bien entendu, s'ils s'étaient trouvés face à face, il l'aurait saluée, mais il préférait vraiment ne pas avoir à engager la conversation.
Tranquillement il poursuivit son chemin, passa sur l'autre rive du fleuve, avant d'obliquer dans les petites rues qui menaient au restaurant. Quand il arriva, Harris était dans la cour, fumant son premier cigarillo de la journée.
- Bonjour, patron, dit-il en rangeant son vélo.
- Bonjour, Mickaël, lui répondit Harris. Tout va bien ?
- Ca va. La semaine va bien démarrer. Il y avait des choses intéressantes, ce matin.
- J'ai vu cela en arrivant, fit Harris avec un petit sourire. Les dorades sont superbes.
- Et pour accompagner la viande, j'ai trouvé des petits navets frais comme des gardons, ajouta le jeune homme. Sam va être content. Il est arrivé ?
- Pas encore. Il était à Fort William ce week-end ?
- Oui, répondit Mickaël. Il devait rentrer ce matin. Ca va que le temps permet encore de faire la route, mais ça ne durera pas... Bientôt, il faudra qu'il prenne le train.
- Oui, fit Harris. Ce sera plus prudent. Allez, on va s'y mettre. Je te laisse te préparer.
Très vite, le travail occupa l'esprit de Mickaël et quand Sam arriva peu après, il avait déjà bien avancé avec le reste de l'équipe. Jonathan n'était plus avec eux, car Dan était maintenant tout à fait à son aise. Le grand jeune homme lança une boutade à la cantonade en entrant dans la cuisine, avant de se mettre lui aussi de la partie. Ce fut seulement au moment de la pause, en tout début de soirée, que Mickaël repensa à Betty. Mais surtout, à Maureen. Il songea aussi aux échanges qu'elle avait avec sa jeune sœur et, dans une moindre mesure, à la lettre de Kenneth. Même si cela lui paraissait totalement idiot, il avait bien perçu combien il serait difficile pour Maureen de le présenter à sa famille, à ses parents. A la place de la jeune femme, il souffrirait beaucoup de ne pas avoir de contacts avec les siens, d'être fâché avec ses parents, sa sœur. Il imaginait aussi le sentiment de solitude qui, parfois, devait l'étreindre, elle qui avait grandi dans une famille nombreuse, entourée de frères et de sœurs. Parfois, face à cette coupure avec sa famille, il se demandait comment il pouvait agir, ce qu'il pouvait faire pour atténuer ce sentiment de solitude, cette peine aussi face à la bêtise et l'incompréhension. Les liens d'amitié que Maureen avait noués avec Shana et Jenn étaient une bonne chose, mais ce n'était pas forcément suffisant, du moins selon son propre point de vue. "Sa famille, aujourd'hui, c'est la mienne", songea-t-il en fixant les nuages gris qui couraient dans le ciel sombre.
Et il baissa soudain les yeux, ému et troublé par une idée qui lui vint à l'esprit, qui lui vint au cœur.
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