Chapitre 163 : mardi 24 janvier 2006

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Mickaël s'était levé tôt pour profiter du petit déjeuner avec Lawra et John. Maureen dormait encore, elle avait mis du temps à trouver le sommeil la veille au soir et il voulait la laisser se reposer. Cela l'arrangeait aussi, afin de pouvoir discuter un peu avec leurs amis.

- Oh, tu es déjà réveillé, Mickaël ? On a fait du bruit ? s'inquiéta Lawra.

- Non, je te rassure, Lawra. J'ai l'habitude en semaine de me lever tôt. Et, de toute façon, je voulais en profiter pour parler un peu avec vous.

John lui tendit la théière et des couverts, Mickaël le remercia et demanda :

- Comment trouves-tu Maureen, Lawra ?

- Un peu tendue, ce qui s'explique aussi... répondit-elle. Je t'avoue que je m'attendais à pire. Surtout après la rencontre avec Kenneth. J'avais un peu peur de ce qu'il allait lui dire. Qu'il lui fasse la morale. Il n'a pas osé non plus parce que tu étais avec elle.

- Je considère pour ma part que c'est une bonne avancée que son frère ait accepté de me rencontrer et de revoir Maureen, dit Mickaël. Je n'étais pas certain que cela se fasse... Maintenant, je pense que Maureen va mettre quelques temps à "digérer" ce petit séjour.

- Elle est partagée entre la joie de voir Tara et le bébé, et puis ce que cela signifie pour elle de revenir ici. Ce sera moins dur la prochaine fois, fit Lawra.

- C'est possible, dit-il en se servant en confiture.

- Vous retournez voir Tara à quelle heure ? demanda John.

- Seulement cet après-midi. Pour qu'elle se repose aussi ce matin, dit Mickaël. Surtout si les nuits sont bien hachées comme l'a laissé entendre Philip hier. On repartira directement de chez eux.

Ils terminèrent de déjeuner, puis John partit au travail. Lawra ne commençait qu'à 11h, elle passa encore un peu de temps avec eux.

**

Si Mickaël et Tara avaient eu le choix, sans doute n'auraient-ils pas choisi ce jour pour se revoir. C'était la fin de l'après-midi, le jeune homme avait pris le volant pour rentrer en Ecosse. Une pluie battante les accompagnait depuis Dublin. Maureen était silencieuse, recroquevillée sur son siège, un peu comme lorsqu'ils étaient rentrés d'Edimbourg, la première fois. Le seul geste qu'elle faisait était, parfois, d'essuyer une larme qui coulait sur sa joue.

A Dublin, chez elle, Tara était inconsolable et les paroles apaisantes de Philip ne parvenaient que difficilement à la réconforter. Pourtant, la journée avait si bien commencé...

Mickaël et Maureen étaient arrivés après 15h, ce qui lui avait laissé le temps de faire une petite sieste en même temps que Brendan. Ils avaient pris le thé et, au réveil du bébé, Tara l'avait confié à Maureen, ravie de pouvoir le reprendre dans ses bras. Ils passaient un bon moment ensemble. Tara se souvint que Mickaël et Maureen étaient en train de lui raconter leur séjour sur les Hébrides, l'été dernier. Et elle riait de les imaginer entrant tout trempés dans cet hôtel luxueux...

C'était à ce moment-là qu'on avait frappé à la porte. Elle n'attendait personne pour cet après-midi, tout en sachant qu'elle n'était pas à l'abri d'une petite visite d'une voisine ou d'une amie. Seulement, c'était sa mère qui attendait sur le seuil.

En ouvrant la porte, Tara s'était figée. Dans le salon, le sourire avait aussitôt disparu du visage de Maureen en entendant la voix de sa mère. Mickaël avait instantanément deviné qu'il se passait quelque chose et quand, dans un souffle, elle lui avait dit : "C'est maman...", alors il s'était dit qu'ils allaient tous passer un moment très difficile.

- Et bien, tu en fais une tête de me voir ? Je reviens de l'épicerie, je t'ai pris...

Un instant, ils n'entendirent plus la voix, car les deux femmes étaient entrées dans la cuisine.

- Je peux voir le petit ? Il est réveillé à cette heure, non ? fit encore la mère.

- Oui, maman. Oui. Il est réveillé.

La voix de Tara était morne. Mickaël avait ressenti alors une grande pitié pour la jeune femme. Il ne pouvait rien faire, et Maureen de même, à part attendre la rencontre inévitable. La silhouette de la mère de Maureen et de Tara s'était soudain encadrée dans l'ouverture de la porte du salon. Elle avait fait un pas pour entrer et s'était arrêtée net. Son visage était devenu pâle, elle avait porté la main à sa gorge, s'était retenue contre le battant.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Elle avait repris ses esprits en quelques secondes et sa voix venait de fuser avec dureté en direction de Maureen.

- Bonjour, maman. Je suis venue voir Tara et mon petit neveu, avait alors répondu Maureen le plus calmement possible.

- Tu oses !

- Oui, maman. Pourquoi n'en aurais-je pas le droit ?

Tara s'était glissée dans la pièce, cherchant un fauteuil pour s'y laisser tomber. Leur mère était toujours debout.

- Et toi ? Tu lui as ouvert ta porte ? lança sa mère à Tara. Mais qu'as-tu donc dans la tête ? C'est une honte ! Une honte !

- Maman... avait tenté d'intervenir la jeune femme. J'ai invité Maureen à venir. Pourquoi est-ce que ce ne serait pas possible... Elle est ma sœur... Elle est toujours ma sœur...

- Tu es stupide ! Et vous ? Vous êtes qui ? aboya-t-elle.

Mickaël s'était alors levé, très calmement. Il dominait la mère de Tara et de Maureen de plus d'une tête.

- Je suis Mickaël, le compagnon de Maureen. Bonjour, Madame.

Elle n'avait pas répondu à son salut et son regard avait brillé d'encore plus de colère et d'agitation.

- Et en plus, tu es devenue une traînée...

- Maman !

Le cri des deux sœurs avait jailli en même temps. Mickaël avait serré les poings. Il pouvait comprendre l'étonnement, voire la colère de la mère de Maureen, mais il ne supporterait pas que quiconque manquât de respect à la jeune femme.

L'agitation et les cris avaient surpris Brendan et le bébé s'était mis à pleurer. Cela avait interrompu un temps les échanges. Tara s'était saisi de son enfant, tentant de le calmer, ce qu'elle était parvenue à faire rapidement. Puis elle avait levé les yeux vers sa sœur, puis vers sa mère.

- Maman, je ne pensais pas que tu serais venue cet après-midi. Je préférerais que tu partes. Tu peux venir plus tard. Maureen et Mickaël s'en vont ce soir et...

- C'est à ta sœur de quitter les lieux ! Elle n'a rien à faire dans la famille !

- On va partir, dit Maureen calmement. Je n'avais pas beaucoup d'espérance quant à une possible entrevue avec papa et toi, maman. Mais là, tu ne me laisses pas le choix. Je regrette profondément de te croiser ici, en présence de Tara qui n'y est pour rien. Tu peux m'en vouloir de beaucoup de choses, tu peux vouloir ignorer ce que je deviens, ce que je vis. Je te demande seulement de te calmer pour Tara !

Encore une fois, Mickaël s'était senti admiratif. Il avait continué à fixer la mère de Maureen, ne perdant rien des sentiments qui s'affichaient sur son visage. Il avait lui-même du mal à garder son calme, pourtant, il savait qu'il le fallait. Surtout pour Tara. Il avait songé à Philip, espérant que le jeune papa ne tarderait pas à rentrer.

Maureen interrompit ses réflexions :

- Tu crois que ça va aller pour Tara ?

- On téléphonera à ton beau-frère quand on sera sur le bateau, dit-il, ou si on attend à l'embarquement.

- Qu'est-ce qu'elle avait besoin de passer chez Tara sans s'annoncer aussi... Oh, bon Dieu...

Et Maureen sentit les larmes lui revenir aux yeux.

- Elle est entièrement responsable de ce qui est arrivé, Maureen, dit Mickaël d'un ton ferme. Tara ne pensait pas qu'elle serait passée à nouveau, alors qu'elle était venue la veille. Même pour aider sa fille, on prévient !

- Pauvre Tara... soupira Maureen. J'aurais dû rester quelques jours de plus... J'aurais pris l'avion pour rentrer...

- Cela n'aurait rien changé. Ta sœur a de la ressource. Et, à mon avis, Philip va mettre les choses au point aussi, ajouta-t-il d'un ton rassurant.

- Et si elle se fâche avec papa et maman elle aussi ? Tu imagines...

- Ne pense pas au pire, dit-il en tendant la main vers elle et en la posant un instant sur son genou.

Et, en lui-même, Mickaël se dit que ni Tara, ni Maureen ne méritaient des parents aussi obtus. Il marqua un temps de silence, puis reprit :

- Tu ne m'en veux pas d'être intervenu ?

- Non... répondit-elle. Je crois que tu as bien fait. Il fallait qu'elle ou nous partions... Sinon, elle aurait continué. Maman ne lâche jamais rien. Mais là... Le fait que ce soit toi... Si Philip avait été là, je pense qu'il aurait agi comme toi. Après tout, c'est chez lui...

- Certes. Mais j'ai quand même mis ta mère à la porte de chez sa fille, fit remarquer Mickaël. Calmement, je le reconnais, même si je bouillais intérieurement.

- Tu es resté calme, c'était important aussi, dit Maureen.

Elle revoyait la scène : le jeune homme prenant fermement leur mère par le bras et la menant jusqu'à la porte de la maison en lui disant de revenir plus tard, qu'eux-mêmes partiraient dès l'arrivée de Philip et qu'il fallait penser d'abord à Tara et au bébé avant de faire un esclandre et de remettre sur le tapis les relations familiales.

- Ton "au revoir, Madame", je peux t'assurer qu'elle n'est pas près de l'oublier !

- Philip a trouvé qu'on avait bien réagi, même ta sœur aussi... dit Mickaël. Et pourtant, elle était bouleversée !

- J'aurais dû me méfier de maman... soupira Maureen. Elle a toujours cette fichue manie de passer à l'improviste ! Elle faisait de même chez moi... Elle a toujours voulu tout diriger...

Ils étaient en train de traverser un village. Mickaël s'arrêta devant un pub.

- On a de l'avance pour la route, malgré le mauvais temps. Tu veux prendre quelque chose ? proposa-t-il. Moi, je ferais bien une pause...

- Tu as raison, reconnut Maureen. Et c'est aussi simple de s'arrêter ici. On n'est plus très loin de la frontière de toute façon...

- Tu vas en profiter pour envoyer un message à Philip. Ca rassurera aussi Tara de savoir qu'on fait bonne route.

Ils entrèrent dans le pub, Maureen alla aussitôt s'installer dans un recoin. Il n'y avait pas grand-monde, deux ou trois clients au comptoir. Mickaël passa une commande, un thé et des sandwichs, puis revint s'asseoir face à la jeune femme. Elle avait pris son téléphone et envoyait un message à Philip. Moins de deux minutes plus tard, il l'appelait.

- Bonsoir, Maureen. Je préférais t'appeler, dit-il. C'est plus simple... Je voulais te rassurer. Tara, ça va, ce soir. Un peu mieux.

- Philip, je suis tellement désolée... Elle vient d'accoucher, de rentrer à la maison... Je n'arrête pas de penser à elle, à toi... au bébé... dit Maureen d'une toute petite voix.

- Tu sais, Brendan va très bien ! dit-il d'un ton rassurant. Ca va passer. Du coup, demain, je vais rester avec elle et puis ma sœur viendra jeudi, pour l'aider. Je lui ai transmis ton message, pour la rassurer.

- Merci. Dis-lui qu'on est quasiment arrivés à la frontière. Je vous enverrai un autre petit message quand on sera sur le bateau.

- Oui, je veux bien. Et prévenez-nous aussi demain quand vous serez à Glasgow.

- Bien sûr, dit Maureen. On arrivera assez tôt, je t'enverrai juste un message pour ne pas vous réveiller. Embrasse Tara très fort pour moi. J'espère que ça va aller...

- Je vais y veiller, ne t'inquiète pas, dit Philip d'une voix assurée. Encore merci à Mickaël pour le sang-froid dont il a fait preuve. Je ne suis pas certain que j'aurais pu me dominer aussi bien si j'avais été à sa place ! Rentrez bien...

Maureen raccrocha, soupira, regarda Mickaël qui lui dit :

- Tu vois, ça va un peu mieux. Tiens, mange un sandwich. Ca te fera du bien. Le thé est très bon.

- Il n'y a pas que les Ecossais qui savent le faire et l'apprécier, tu sais.

- Je me doute... dit-il en souriant doucement.

Puis il tendit la main par-dessus la table, saisit le poignet de la jeune femme et le caressa tendrement.

**

La pluie les accompagna tout le reste du voyage et lors de l'embarquement de même. Ils gagnèrent leur cabine, y déposèrent leur petit sac de voyage, puis se rendirent dans une des salles réservées aux voyageurs. Ils prirent place dans des fauteuils pour assister au départ du bateau. Le port de Larne s'effaça derrière eux et ils gagnèrent la pleine mer. La nuit les happa bien vite. Mickaël tenait Maureen contre lui, lui caressait doucement les cheveux. Elle ne disait rien, regardait simplement la longue houle qui s'ouvrait devant le bateau et qu'elle distinguait à peine. A un moment, elle dit :

- Quand j'étais partie, il faisait très beau. J'avais voyagé de jour, c'était moins onéreux pour moi. J'étais restée quasiment tout le voyage sur le pont, à regarder la mer et à guetter la côte écossaise. C'est quelque part par-là que j'ai jeté mon alliance par-dessus bord...

- Et là, tu reviens en Ecosse avec moi.

- Sans alliance, mais avec ton amour. Et c'est beaucoup plus précieux pour moi, ajouta-t-elle.

Il ne dit rien, la serra un peu plus contre lui et déposa un baiser dans ses cheveux. Puis sa main remonta doucement sur sa nuque. Il lui proposa :

- Veux-tu manger quelque chose ? Ou t'allonger ?

- Je n'ai pas faim, répondit-elle. Je crois que je vais retourner à la cabine. Mais toi, va manger, si tu veux.

- Ok. Je te rejoins très vite. Je ne pense pas faire un festin à bord, de toute façon, ajouta-t-il en souriant.

Elle se leva et il la regarda s'éloigner vers l'escalier menant aux ponts inférieurs où se trouvaient les cabines. Il se dirigea vers un des bars, prit un sandwich et une bière et s'installa à une petite table pour manger. Il contempla, pensif, la nuit qui entourait le bateau. Ce voyage, il s'en était douté, n'était pas simple à négocier pour Maureen. L'incident avec sa mère aurait des répercussions, il en était sûr. Elle allait avoir besoin de lui, d'être entourée. Il espérait que Jenn serait sur Glasgow dans les prochains jours et que sa mère aussi pourrait faire une visite à Maureen, voire lui proposer de dîner chez eux un soir, même si lui travaillait. Surtout un jour où il travaillerait.

"Il faut regarder vers l'avenir", pensa-t-il. "Il le faut. C'est la seule solution."

Il termina bien vite son petit repas, puis rejoignit Maureen dans la cabine. Elle ne dormait pas et il fut certain qu'elle avait pleuré, même si ce n'était plus le cas quand il arriva. Il se prépara rapidement pour la nuit, puis s'agenouilla un moment près d'elle avant de grimper sur la couchette en hauteur.

- Dors, ma douce. Dors. Essaye de récupérer.

- Oui... Dors bien, toi aussi. Tu as une grosse journée qui t'attend.

- Je ferai une sieste demain midi, ne te soucie pas. Ca ira.

Il passa doucement ses doigts sur son visage, puis se pencha pour l'embrasser.

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