Le narrateur est-il un personnage à part entière ?
Petite discussion que je retranscrit ici suite au dernier atelier d'écriture qui reposait sur les déictiques, ou comment le contexte comme le cotexte permet l'immersion du lecteur dans son récit. L'échange faisait écho à la lecture du texte de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut.
@Ālغx |@ :
Extrait intéressant effectivement.
Si je peux me permettre le parallèle avec ton texte Lucivar, je n'ai jamais réussi à entrer totalement dans ton extrait. C'est pourtant agréablement écrit, très fluide à mes yeux mais un espèce de voile me séparait, moi lecteur, de la réalité retranscrite. Ici, c'est tout l'inverse. On se sent invité dès les premières lignes et j'aurais aucun mal à poursuivre ma lecture.
Peut-être que ce n'est pas l'endroit pour le souligner, parce que je n'ai pas le sentiment que c'est une question de contextualisation mais plutôt de distance personnage - lecteur. C'est surement question de style et d'angle choisi, mais il n'est pas facile de retirer une phrase du texte de Pierre Lemaître sans perdre une information essentielle qui découle elle-même de la phrase précédente. Tout se suit et se répond et le personnage vient s'inscrire dans cette dynamique, ce qui le rend très réel. De ton côté, parce que tu prends plus de temps, parce que tu poses plus de contexte (mais un contexte qui me semble moins capital que l'extrait du dessus), on en vient à alterner les moments où on rentre avec le personnage et les moments où on s'en éloigne. Et il me semble que cette alternance me donne l'impression de 'survoler' ton texte.
Pour donner un exemple, c'est ce qu'explique bien mieux que moi Isabelle ici : "Le narrateur ne transcrit pas les pensées d'Albert, il les partage, il est d'accord avec lui, il a le même point de vue sur les évènements, il les a intégrés. On est du point de vue d'Albert sur ce chapitre, et l'auteur parvient par sa gestion du narrateur à nous le faire adopter par l'intermédiaire du IL. En gros, comme le narrateur arrive à le partager, le lecteur en est aussi capable. Mais l'intermédiaire est suffisamment effacer pour donner une impression de direct. On suit Albert comme si le narrateur nous donnait la main pour se tenir à côté de lui."
Voilà pour mon impression. Je mets peut-être pas le doigt sur la bonne ficelle.
@Lucivar@
Voui totalement, je suis d'accord avec toi. Après je pense que non seulement, je suis pas Pierre Lemaître qui est d'une très grande gentillesse, très accessible et très simple (moi je crois Isabelle), contrairement à moi :) Et puis aussi qu'on n'a pas du tout la même intention et le même narrateur. Ici il y a une simplicité, quelque chose dans la voix qui semble nous dire viens (qui nous fait sentir étrangement bien), c'est très inclusif on pourrait dire :) Mon narrateur aime s'écouter parler, forcément faut avoir aussi envie de l'écouter parler sinon c'est dur. C'est pas évident à trouver comme équilibre, de rendre son verbiage agréable et compréhensible alors que lui, ne cherche pas vraiment à l'être en tant que narrateur, mais je ne désespère pas :)
Ce à quoi j'ai répondu :
^^
Je passe sur les taquineries bandes de nouilles ;-p
Plus sérieusement, j'ai une question, une vraie question : pourquoi faites-vous de votre narrateur votre ennemi ? C'est quoi l'intérêt de rendre insupportable votre narrateur (je pense aussi à Malala) ? Personne n'a envie d'écouter quelqu'un qui piaille ou qui s'écoute parler.
Et inversement, pourquoi narrer une histoire si t'as pas envie de plaire à ton interlocuteur ou de te faire comprendre ?
Et là est arrivé une remarque de @Vis9vies@ :
Yes ! Tout est dit ^^
Le narrateur n'est pas le personnage faut-il le répéter ^^
@Lucivar@ :
Mais moi je l'aime bien, question de goût (je sais on y revient, objectivité et subjectivité) bien sûr mais je pense que c'est intéressant et aussi une question d'habitude. Mon but n'est évidemment pas de le rendre détestable. Et je le vois pas du tout comme un ennemi, plutôt comme un vieil oncle qui aime raconter les histoires mais aussi en faire un peu beaucoup et tenter d'en mettre un peu dans la vue. Il y a un amour des mots chez mon narrateur qui peut-être une contrainte (mais dans ce cas là ça peut définir un défi) mais aussi un point fort. A moi de bien le rendre. Par contre je suis pas d'accord à 100% avec toi. Le narrateur peut-être un personnage.
@Anna Soa@ :
Attention, je n'ai jamais voulu ni dit que je voulais rendre mon narrateur insupportable. J'ai dit que je voulais la rendre casse-pieds par moments (parce qu'un enfant c'est casse-pieds par moments). Simplement plusieurs lecteurs Lucivar et Komakai ont relevé que je me suis un peu foirée sur le dosage :s. Pour moi Malala n'était pas insupportable quand je l'ai créé, ça a été un peu la douche froide quand j'ai reçu le commentaire de Lucivar parce que justement ce n'était pas mon intention de base d'en faire quelqu'un d'insupportable, au contraire. En revanche, j'ai un autre personnage qui est antipathique, voire criminel, c'est la maman, mais je ne l'ai pas encore présentée en atelier. Je pensais que justement ça allait poser davantage de problèmes de la présenter comme trop méchante tout de suite, là encore, les avis sont partagés.
Dans un premier temps, je rebondissais sur "C'est pas évident à trouver comme équilibre, de rendre son verbiage agréable et compréhensible alors que lui, ne cherche pas vraiment à l'être en tant que narrateur, mais je ne désespère pas :)"
Le narrateur veut plaire, il veut tenir son auditoire, il veut transmettre quelque chose et veut s'assurer que le message sera bien reçu. C'est sa fonction, pour cela même qu'il existe car il n'existe que dans la narration justement.
Il peut être coupable comme dans le Meurtre de Roger Ackroyd il n'en reste pas moins séduisant, il peut être monstrueux comme dans Lolita, il n'en reste pas moins séducteur, tout pour que son auditeur se range à sa cause. Tout pour qu'on l'écoute, le suive, boive ses paroles. Qu'on soit d'accord avec lui et avec ce qu'il nous partage ou non, et le défi est de traiter avec ça, avec le fait que parfois, on ne veut pas être d'accord avec lui, mais il va toujours attirer le lecteur à lui.
Le narrateur est votre meilleur pote !
@Vis9vies@ :
@Lucivar
Je suis bien entendu entièrement d'accord avec Isabelle.
J'ajoute, pour expliquer comment je vois ça "Le narrateur n'est pas le personnage". Je ne dis pas que je ne suis pas côté de la plaque, mais c'est comme ça que j'analyse ^^
Le personnage est l'identité publique. Le narrateur est la voix intime, avec comme le souligne Isabelle, le désir d'être écouté, de retenir un lecteur, parfois de communiquer. Nous sommes tous dans la vie, IRL ou non, des personnages narrateurs de leurs histoires. Nous présentons des faces au public, voire à l'environnement seul quand il n'y a pas public. Mais nous ne sommes jamais, complètement, ce que nous savons être au fond de nous. Il y a des tas de tabous qui forment des barrières. C'est comme ça que je perçois la différence entre personnage et narrateur, même si l'un est soi-disant l'autre. Au point de vue de l'écriture, il y a une différence, et c'est à l'auteur d'en avoir conscience. On peut jouer là-dessus pour rendre un personnage plaisant, même s'il commet des atrocités.
Lorsque, comme Anna Soa, vous avez un narrateur qui est néfaste, dans son cas il s'agit de la mère : si la mère parle pour elle, elle ne se décrira pas comme criminelle. Elle trouvera toujours le moyen de se justifier et de se convaincre que ce qu'elle fait est juste ou justifié ou pour le bien de sa fille.
Je vais faire un parallèle avec l'activité de journaliste d'Anna Soa, car j'ai l'impression que c'est comme quand tu choisis de faire un article sur un fait divers. Certes tu as les faits, une victime, une enquête et un coupable. Jusque là, on est bon. On peut même rester comme ça que l'info est passée. Mais le journaliste peut aussi apporter des information en adoptant un angle d'approche il me semble.
Il y aura l'angle de la victime : il va s'en dégager une incompréhension du crime, la peur, l'angoisse, le trauma, une empathie pour ses souffrances, un sentiment d'injustice face à ce qu'il ou elle a vécu etc... voilà le message qui va passer.
Il y aura l'angle des enquêteurs : il va s'en dégager le piétinement, la frustration, l'incompréhension, les fausses pistes, la quête et l'envie de découvrir le coupable, le mystère. (des sentiments déjà bien différents, dans un roman policier qui choisi cet angle, on a moins d'empathie pour la victime souvent qui ne sert que d'élément perturbateur à laquelle on a pas eu le temps de développer de l'empathie).
Puis vient l'angle du coupable : on va développer un sentiment ambivalent entre notre morale selon le crime et la nuance que cela va apporter. On va peut-être en vouloir à la société d'avoir laisser cette personne de côté, de l'avoir marginalisé, sous quels critère, parce qu'il ou elle est différent ? comprendre le geste, la provocation, remettre en cause la parole de la victime, peut-être qu'il/elle l'a bien cherché tout de même. Et puis le vécu du coupable, sa malchance, etc. Et là on a encore un autre effet et une autre histoire. (Exemple, le Joker, selon qu'on se place du côté de ses victimes, de Batman ou de lui et de son vécu, on ne développe pas la même empathie).
Donc trois angles d'approches où chacun tente d'avoir raison. Et ça, c'est un dénominateur commun, personne ne raconte son histoire en disant "je suis un connard et j'ai aucune excuse pour être un connard". En général il y a un "je suis un connard, mais ... " et c'est parti pour 100 pages de justifications. Et la plupart du temps il y a surtout un "je ne vois pas pourquoi vous dites que je suis un connard".
"Oui, je frappe ma fille, mais en même temps, vous avez vu comme elle est insupportable ? Comme elle comprend rien ? J'aimerai bien vous y voir vous avec vos éducation positives ! Moi j'ai deux boulots, je rame et la gamine elle fait connerie sur connerie. Là au moins elle comprend et c'est pas elle qu'on va trouver à se droguer ou à faire le trottoir. Elle a pas intérêt et elle le sait ! Donc ça peut vous choquer mais ça marche ! La preuve ! " etc etc...
Je rejoins donc V9v sur cette petite nuance : vous avez votre personnage en tête avec ses défauts et ses qualités, mais le narrateur n'est pas un personnage avec une fiche psychologique, il vient avec son image de lui qui ne comporte jamais l'entièreté de la perception de l'autre. C'est là que vous laissez la place au lecteur. Comme dans la vie, quand vous écoutez quelqu'un, vous allez vous faire votre propre idée du bonhomme selon ce qu'il raconte et la façon de le dire.
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