Que voulez-vous ? J'ai toujours été ainsi. Mes parents indulgents évoquaient ma timidité, mes maîtres ma mollesse ou ma rêverie, et lui mon fatalisme.

J'ai toujours porté du noir (même avant ça) ; j'ai toujours préféré les chaussures silencieuses et les coiffures banales.

Je déteste qu'on me remarque ; en société le mutisme est mon refuge et je recule devant toute forme d'action, ce qui m'a souvent valu mon propre mépris.

J'entends d'ici l'objection que ne manquerait pas de faire ma mère : en général les autres m'aiment bien ; oui, je suis aimée... La voix passive me définit parfaitement. J'ai toujours suivi les rails : un cursus scolaire tracé d'avance, des déménagements au gré des mutations, sa rencontre due au hasard. Je n'ai rien décidé, jamais.

N'allez pas croire que je sois paresseuse. Ce serait mal me comprendre. Je suis une travailleuse patiente, persévérante, inlassable. Aucun effort intellectuel ne me rebute ; et je suis capable aussi de déployer de l'énergie physique... Quand je bêche le jardin l'été par exemple. Mais alors, il me semble parfois que je frappe quelqu'un avec mon outil.

C'est peut-être pour ça que c'est arrivé.

Ou alors quand les livres, ces refuges nocturnes, n'ont plus suffi.