Chapitre 2
C'était le 29 juin. Toute la journée, il avait fait une température étouffante. J'avais eu du mal avec mes élèves et en rentrant, je m'étais dit encore une fois que j'étais une moins que rien, que je n'arriverais jamais à "gérer mes classes" comme disait le principal du collège. Dans la cuisine, j'avais avalé deux comprimés, pour apaiser ma douleur à la cuisse d'abord (j'avais dévalé la veille l'escalier de la cave) pour me débarrasser ensuite de cette brûlure d'amour propre qui pouvait me tenailler jusqu'à l'insupportable, et me donner envie de quitter la voie pour toujours.
Il suffisait parfois d'une phrase, d'un geste, d'un regard. De mots apparemment anodins mais qui me blessaient comme des couteaux. Pour le reste j'avais cru avoir compris, pourtant : compris que mes cours ne seraient jamais parfaits, compris que mes élèves n'étaient pas tous des modèles, compris que mes chefs ne pouvaient pas être objectifs et qu'ils se montraient souvent injustes. Régulièrement, je disais à mes collègues plus jeunes que quiconque prétendait ne jamais avoir eu de problèmes dans son métier était un menteur : "tu n'es jamais le seul. Ne laisse jamais personne te laisser croire le contraire".
Mais, ce soir-là, le message, sur moi-même, ne prenait pas. Ma tête le savait, mon coeur ne l'intégrait pas. Une moins que rien en face de lui aussi.
J'avais pris deux comprimés, donc. Le 29 juin, je ne voulais plus payer.
J'avais donc passé la fin de l'après-midi dans un état second.
...
Quand j'ai rouvert les yeux il faisait nuit noire. Nuit noire, et il ne m'avait pas réveillé. J'ai quitté le canapé pour rejoindre notre chambre : il n'y était pas.
C'est vrai que j'ai appelé la police avant même de regarder l'heure. J'ai "paniqué". C'est le mot de la personne qui a décroché. Une voix calme, apaisante, tranquille. Mon mari n'était plus un enfant ; il avait sans doute eu un imprévu. Il allait rentrer, c'était sûr. Je rappellerais s'il n'était toujours pas rentré le lendemain, mais elle était sûre, elle, que je n'aurais pas à le faire. Il n'était après tout que 23 heures ! 23 heures c'était tôt, encore !
J'ai compris après coup qu'elle avait dû me croire naïve, qu'elle avait dû le soupçonner, lui, de quelque infidélité... Personne bien sûr ne pouvait savoir que nous n'étions "pas comme ça", ni lui, ni moi. Non, personne ne savait rien. Personne ne savait que pour nous, 23 heures, c'était déjà tard.
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