Le Maroc
La chaleur suffocante et les dizaines de moustiques qui le survolaient sans cesse réveillèrent Driss. Il frotta ses yeux et baîlla longtemps avant que la voix coléreuse de sa mère, enveloppée dans le tumulte quotidien de la ville de Khénifra, lui parvint :
— Enfin ! Le paresseux s'est réveillé ! Parfois je pense que tu pourrais dormir toute la journée sans t'en apercevoir !
Le garçon de douze ans fit sa toilette puis se dirigea vers la cuisine, où l'attendait son petit-déjeuner préféré : un morceau de pain tartiné de beurre et de miel et un verre de thé à la menthe. Il dévora ce met rapidement et courut à la recherche de sa mère.
— Maman, s'il te plait, laisse-moi sortir jouer avec Soufiane et Tawfik. J'ai terminé mes devoirs hier. Laisse-moi, s'il te plait, supplia-t-il, les yeux accrochés à ceux de sa mère.
Fatima, la femme de trente-neuf ans, scruta silencieusement la mine de son fils. Puis elle lui dit, avec un sourire malicieux :
— J'ai besoin de toi. Tu dois aller chez l'épicier Saïd. Après, fais ce que tu veux.
Driss remercia sa mère en l'embrassant sur les deux joues, et partit, la liste des achats en main. Sa soeur cadette Tasnim le supplia de sortir avec lui mais Il refusa. C'était la mission d'un homme, les femmes n'ont pas droit de s'en mêler.
* * *
— Eh ! Driiiss ! Tu joues au foot avec nous ? demanda Soufiane, en le voyant devant la porte de sa maison.
— Pas question. Je suis occupé.
— Occupé ? Et alors, comment ça ?
Driss montra à son ami la feuille. Soufiane haussa ses épaules, pourtant ses yeux brillaient d'une lueur inhabituelle. Il marchait derrière Driss à pas de loups, puis soudain lui arracha le papier et la course capricieuse commença. Les rues d'Ikhamn étaient désertes, seuls les cris des deux garçons brisaient ce silence. Soudain, Soufiane s'arrêta net, son visage rougi et la sueur dégoulinant sur son front.
— Zut ! Les gendarmes ! T'as ton masque ?
— Non. Yarabi, ma mère me tuera, ça fait un quart d'heure que nous jouons. Au revoir, copain, s'exclama Driss.
Ce dernier courut chez l'épicier, quand il entendit quelqu'un l'appeler :
— Hey, toi. Où est ton masque ?
— Euh, excusez-moi, je l'ai oublié. Je vous jure que je le porte toujours. Pardonnez-moi cette-fois, s'il vous plaît.
— Va-t-en. Mais si je t'aperçois une autre fois, GARE À TOI !!!!!
Le garçon remercia chaleureusement le gendarme et se hâta d'entrer dans la petite boutique.
— Et alors, mon fils. Que s'est-il passé ?
— Oncle Saïd, s'il vous plaît, voici l'ensemble des achats, j'ai pas de temps, expliqua Driss, ignorant la curiosité de l'homme.
—Comme tu veux.
* * * *
— A salam Aalikom, dit Mohamed, le père de Driss, en rentrant à sa maison vers trois heures.
— Bonjour papa. Tu sais que maman nous accompagnera chez tante Halima ce soir ! Elle m'a promis des bonbons et sucreries la dernière fois ! lui répondit Tasnim, en s'accrochant à son pantalon.
Il sourit, puis fila pour changer ses vêtements. Fatima finissait sa salade de tomate et concombres. Son aîné était allongé devant la télé. La famille Mansouri savait comment remplir ses temps morts durant l'été, surtout que le corona-virus a changé tant de coutumes.
—J'ai peur que les cas n'augmentent dans notre ville. Mé * n'est pas en bonne santé. Elle souffre toujours de maux de tête, gémit Fatima en partageant le pain en plusieurs morceaux.
La petite table était garnie d'un tajine aux raisins secs, plat très populaire au Maroc, accompagné de salade. Les parents parlaient de voyages, des prix de tel fruit ou légume, ou bien de l'épidémie qui ravageait le monde entier. Le met terminé, la sieste occupait le reste de l'après-midi jusqu'à dix-huit heures du soir. Alors la mère et ses deux enfants s'apprêtèrent à visiter
— Ecoute, femme. N'embrasse personne. Si tu croises une amie ou voisine, un "Bonjour" sera suffisant.
— Je sais, je sais. Au revoir, nous rentrerons vers vingt heures.
— Bye bye papa.
— Que Dieu soit avec toi ma fille.
Quelques minutes après, les trois se mirent en route vers le quartier Oum Rabiae*.
* * * *
— Allah Allah. C'est un grand jour que vous soyez là. Entrez, entrez. Un bon goûter vous attend, anonça Halima en embrassant sa soeur.
— O ma soeur, tu sais que les corvées ne me laissent jamais du temps. En outre, après avoir vendu la voiture, on ne sort que rarement.
Les deux femmes continuèrent leur discussion à l'intérieur. Elles ne se ressemblaient point : Fatima avec son petit visage, ses yeux marron, son nez pointu et sa peau blanche ; Halima avec un teint bronzé, des pupilles noires et une grande bouche qui ne cessait de sourire.
Fatima arracha brutalement son foulard puis s'assit sur le fauteuil de la petite chambre. Sa fille de cinq ans jouait avec Jamila, sa cousine. Les cris et rires des enfants emplissaient la maison d'un bonheur et d'une atmosphère accueillante.
— Si Driss est un homme maintenant, Allah le protège.
— Pourtant il pleure comme une fillette lorsque un de ses copains le frappe !!!
Les soeurs furent prises d'un fou rire incontrôlable, alors que le jeune garçon baissait sa tête, rouge de honte. Tasnim et Jamila rejoignirent leurs mères autour de la table.
— Ma chère soeur, tu t'es fatigué en cuisinant tout cela !
— Ne dis pas ça, c'est avec plaisir !
Plusieurs sortes de gourmandises reposaient sur la table : Al Harcha *, des crêpes au chocolat, des baguettes sucrées, des pots de confitures, des petits pains et un grand gâteau au citron. Les enfants grignotèrent en chuchotant de temps en temps. De longues heures passèrent, la visite s'acheva avec des étreintes et des promesses de revenir bientôt. Halima glissa une pièce de cinq Dirhams dans la poche de Driss, avec un clin d'oeil. Celui-ci la remercia, un sourire aux lèvres. Puis il rentra avec sa famille à la maison.
* * * *
— Salut, Ilyass. Ca va ?
— Oui oui. Et toi ?
— Dieu merci. Nous venons juste de rentrer d'une visite de chez ma tante.
— Vraiment ? T'es chanceux ! Moi, j'ai pas de proches ici. Malheureusement !!!
— Elle me traîte comme un homme désormais. Pas plus de câlins.
— Mes félicitations ! Je me souvins du jour où elle t'a vu devant l'école. Elle t'a crié de la visiter
pour te cuisiner ta soupe préférée, alors toute la classe se mettait à rire.
— Toi même tu t'es moqué de moi ! Mais ce n'est plus le cas dorénavant ! En fait quand allons-nous nous
rencontrer ? Tu me manque beaucoup !!!
— Je sais pas. Peut-être la semaine prochaine.
— Ah bon. Donc au revoir, mon père m'appelle pour dîner.
— Bonne nuit, mon ami !
Driss éteignit son portable et se dirigea vers la salle à manger. Ses parents et sa soeur avait déjà commencé à manger du poulet accompagné d'olives et des pommes de terre.
Le repas terminé, chacun s'apprêta à s'endormir pour se plonger dans son propre monde, où lui seul régnait.
_____________________________________________________________________________________________
Mé : mot utilisé par les marocains, qui signifie mère.
Oum Rabiae : nom d'un fleuve et aussi d'un quartier dans la ville de Khénifra.
Al Harcha : un gâteau marocain à base de semoule.
Annotations
Versions