Chapitre 38
Paris, mercredi 28 mai 2025
Jour J, 20h40
Abrité derrière un énorme véhicule noir accidenté, Nathan dévisageait ses camarades d’infortune. Il y avait tout d’abord le vieillard. Quoiqu’ayant dans les 70 ans, sa silhouette élancée et sa large carrure témoignaient encore d’une certaine vigueur. Les traits marqués par les chagrins de la vie et le regard affuté par la sagesse des années, il tenait fermement la jeune fille entre ses bras. Une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de huit ans sous ses cheveux en bataille et dont l’innocente frimousse affichait une sérénité de façade.
Nathan s’adressa au vieil homme :
— Est-ce que vous savez ce qu’il se passe ici ?
— Un sniper tire sur toutes les personnes qui s’approchent du pont de l’île de la Cité. Il a tué notre chauffeur et notre véhicule est allé percuter cet abribus.
Nathan se redressa légèrement pour jeter un coup d’œil à l’intérieur de la voiture et constata que le pare-brise avant avait été la cible d’un tir net et précis, et que le crâne d’un homme, ou plutôt ce qu’il en restait, reposait sur le volant.
Soudain un nouveau tir brisa la vitre par laquelle regardait Nathan et frôla sa joue droite. Il se jeta aussitôt au sol.
— Faites attention, bon sang !!! Cet homme ne plaisante pas, avertit le vieil homme.
— Il faut absolument que je puisse traverser ! s’exclama Nathan en pointant du doigt le pont qui reliait la rive droite à l’île de la Cité.
— Tout comme ma petite-fille et moi. Mais si l’on essaie de fuir, on se fera tirer comme des pigeons.
Nathan leva alors les yeux au ciel. Les nuages de pluie s’étaient dissipés depuis peu et le soleil était revenu éclairer Paris. Cela lui donna une idée :
— Il y a peut-être une solution. Est-ce que vous avez pu localiser la position du tireur ?
— A cinq heures ; sixième étage ; la fenêtre à l’angle de l’immeuble.
La précision toute militaire de sa réponse étonna Nathan, mais le contenta pleinement :
— Le rétroviseur au-dessus de votre tête, vous pouvez l’arracher ?
Le vieil homme agrippa le rétroviseur et l’arracha d’un geste sec et puissant.
— Et maintenant ?
— Et maintenant, vous allez l’utiliser pour braquer les rayons du soleil dans la direction du tireur et l’aveugler. Cela devrait le perturber suffisamment pour me laisser le temps de traverser la rue et quitter son angle de tir. Ensuite, j’irai le neutraliser.
— Je m’attendais bien à ce genre d’initiative de votre part, marmonna le vieil homme.
Nathan voulut lui demander ce qu’il entendait par là, mais un nouveau tir à travers la carrosserie de la voiture lui rappela la situation critique dans laquelle ils se trouvaient tous les trois. La jeune fille, elle, se mit à pleurer. Ce regard plein de larmes lui rappela beaucoup le dernier regard que Chloé lui avait adressé. Pris d’affection pour cette gamine, Nathan fouilla alors autour de son cou et en ressortit la croix orthodoxe que lui avait donnée Nina par une fraîche nuit d’été, sur un quai de gare désert. Il en détacha la chaîne et tendit l’objet sacré à la jeune fille :
— Cette croix m’a été donnée alors que je pensais que tout était perdu. Mais elle m’a protégé. Garde-la toujours autour de ton cou et elle te protégera toi aussi.
La jeune fille sécha ses larmes et prit le pendentif entre ses doigts fins et fragiles.
— Il n’y a plus de temps à perdre, jeune homme. Il faut y aller.
— Vous avez raison, acquiesça Nathan. A mon signal, tenez-vous prêt.
Nathan abaissa le bras et le vieil homme braqua le rétroviseur en direction de la fenêtre du tireur. Un premier coup de feu ricocha contre une façade d’immeuble située à plusieurs mètres d'eux. Nathan en profita pour s’élancer et piquer un sprint en direction de l’immeuble du tireur. Il zigzaguait pour éviter de devenir une cible trop facile. Un deuxième coup de feu ricocha sur le bitume, à quelques centimètres de lui. Il sauta alors le plus loin possible et atterrit au pied de l'immeuble, à la verticale du tireur. Sans se laisser plus de temps pour récupérer, il se releva, brisa une vitre du rez-de-chaussée et pénétra dans l’édifice.
Nathan atterrit dans ce qui semblait être une cuisine, plongée dans une semi-obscurité. Du regard, il chercha la porte d’entrée afin de rejoindre le hall de l’immeuble, mais ne vit aucune porte. Il fit quelques pas pour rejoindre le salon, entendit un craquement derrière lui, se retourna et évita de justesse un club de golf en se penchant brusquement vers l’arrière, si bien qu’il tomba à la renverse. L’homme au bout du club de golf en profita pour tenter de lui asséner un nouveau coup, ce qui obligea Nathan à effectuer une roulade sur le côté. Avant que l’homme n’ait eu le temps de réarmer son bras, Nathan donna un coup de pied sec et rapide dans le tibia de l’homme, ce qui eut pour effet de le faire tomber au sol. Nathan se jeta alors sur son assaillant et lui arracha son arme des mains.
Rapidement relevé, Nathan menaçait maintenant son assaillant avec son propre club de golf. L’homme, toujours au sol, semblait à présent misérable :
— Je vous en supplie, prenez tout ce que vous voulez, mais laissez ma famille tranquille !
— Je n’ai jamais eu l’intention de m’attaquer à votre famille, je veux juste sortir de cet appartement !
L’homme pointa alors d’un doigt tremblant la porte située derrière lui.
— Merci bien. J’en profite pour garder votre club, je vais en avoir besoin.
Et Nathan sortit de l’appartement du rez-de-chaussée.
Depuis sa fenêtre de tir, le tireur venait de laisser échapper une de ses proies. Il pesta contre le rétroviseur qui l’avait aveuglé et se jura qu’il finirait par avoir les deux autres vermines qui se tenaient toujours derrière la voiture noire accidentée. Alors qu’il guettait à travers sa lunette de tir la moindre oreille indiscrète, le moindre regard curieux ou la moindre partie d’un corps un peu trop téméraire, il entendit des coups qu'on assénait contre sa porte d’entrée.
« C’est pas possible, c’est trop beau pour être vrai ! Le salopard qui vient de s’échapper est venu me chercher ! », pensa-t-il. Il se saisit alors d’un autre fusil, à pompe celui-ci, et tira à plusieurs reprises à travers sa propre porte d’entrée. Les coups cessèrent aussitôt.
Prudent, il se rapprocha de la porte et jeta quelques coups d’œil à travers les trous qu’il venait d’y faire. Rien ni personne. Toujours aussi prudent, il entrouvrit la porte tout en braquant le canon de son fusil en direction du palier. Il n’eut pas le temps de se rendre compte de son erreur d’appréciation qu’un nuage de poudre d’extincteur l’aveugla et lui fit dévier son tir. L’instant d’après, un coup de club de golf sur l’avant-bras l’obligeait à lâcher son arme et à battre en retraite.
Nathan se jeta sur le tireur désormais désarmé. Il le plaqua contre terre et le frappa au visage à de multiples reprises. Puis il se saisit du fusil à pompe abandonné par terre, se redressa et mit le tireur en joue :
— Pourquoi vous abattez tous ceux qui s’approchent du pont ?!!
— Parce qu’ils me l’ont demandé !!!
— Qui, ils ?!
— Les américains !!!
— Pourquoi ?
— Mais, mais… Parce que c’est drôle !
Et il partit dans un fou rire incontrôlable. Il ne pouvait plus s’empêcher de rire. Il se tordait de douleur tellement il riait. Visiblement désaxé, Nathan comprit qu’il n’en tirerait rien et que les américains l’avaient probablement placé là pour assurer leur retraite et empêcher toute personne de rejoindre l’île de la Cité avant le bombardement.
Alors que Nathan le tenait toujours en joue, le tireur fou l’observa soudain avec des yeux intrigués et cessa tout rire :
— Vous ne trouvez pas ça drôle ?
— Pas vraiment.
Et Nathan lui tira une balle en pleine tête.
Sa cervelle gicla partout sur le sol. Froidement, Nathan déposa son arme sur la table basse du salon ; il y avait bien longtemps que ce genre de carnage ne l’émouvait plus.
En jetant un rapide coup d’œil autour de lui avant de repartir, il se rendit compte que des dizaines d’armes trônaient un peu partout dans l’appartement. Il fouina dans les tas de fusils et de pistolets amoncelés, retourna les tiroirs de la cuisine, ouvrit grand les armoires de la chambre et finit enfin par trouver ce qu’il cherchait.
Nathan sortit en trombe de l’immeuble du tireur fou et rejoignit le véhicule accidenté. Mais le vieil homme et la jeune fille n’étaient déjà plus là. Alors il se précipita vers le grand frère, dont le corps gisait toujours à quelques mètres de là. Il fouilla ses poches et en ressortit une petite boîte en plastique jaune.
Il était enfin prêt. Il tourna la tête et vit l’île de la Cité. Sous ses airs tranquilles et rassurants, elle le réclamait. Elle suppliait Nathan de la rejoindre. L’île appelait Nathan comme jadis Sainte-Hélène appelait Napoléon.
Alors Nathan se dirigea calmement vers sa destinée. Il savait que plus rien désormais ne pouvait l’empêcher de traverser ce pont et de revoir Chloé une toute dernière fois, avant que le soleil ne se couche.
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