Gamma 15 ; an 21401.

Zack était passé par plusieurs émotions depuis la fondation de ce nouvel équipage. La crainte, le doute et la surprise. Puis ce fut le temps de la déception. Pas à cause du poney à la proue du vaisseau, mais plutôt de l'intérieur du bâtiment. L'aspect extérieur sentait bon la remise en état, alors que les cabines, douches et la cuisine étaient en ruine. S'ils devaient vraiment voyager avec ça, il leur faudrait une sacrée dose de patience, d'huile de coude, et de persévérance. Zack se demanda même si ce n'était pas un plan de leurs capitaines respectifs pour les tester ou les démotiver.

Ils ne se découragèrent pas pour au temps. Ils remirent assez vite les zones de vie en l'état, ce qui leur permit de pouvoir habiter leur frégate dès le premier soir de son acquisition. Ils en arrivèrent ainsi à l'une des tâches les plus redoutées par certains membres d'équipage : la répartition des cabines. Bilal choisit le premier pour se mettre en sécurité. Lexie après avoir boudé plusieurs minutes prit celle d'à côté. Surprenant leur camarade à l'exception d'Anny, River et Léon en demandèrent une en commun, ce qui laissa leur ingénieur novice seule dans une chambre. Zack, qui avait enfin l'occasion d'obtenir une cabine rien qu'à lui, prit une décision qui étonna Kyla. Il choisit de conserver son habitude de partager la même pièce qu'elle, sans se soucier de ce qu'on pouvait dire d'eux.

La rouquine qui avait évité le sujet pour ne pas l'embarrasser devant les autres, n'hésita pas à mettre les pieds dans le plat une fois en privé.

• C'est nouveau, ça ? Tu veux dormir avec moi maintenant ? T'étais pas aussi désintéressé par ma proposition que tu le disais.

• Ça n'a rien à voir avec ça. Je m'assure juste de ta sécurité. Je me vois mal déclarer à Abel que j'ai failli à ma mission.

• Tu sais, pas la peine de chercher des excuses pour ça. Je t'ai offert la permission de passer du bon temps avec moi pour te récompenser de ton soutien.

• Mais c'est pas un prétexte ! Je t'ai déjà dit que tu n'avais pas besoin de ça pour que je t'aide !

• Dans ce cas-là, admets juste que je te plais, mais n'invente pas d’excuse. On a notre propre équipage, et c'est moi la capitaine. Alors les ordres, c'est les miens que tu dois suivre.

• Je crois qu'on s'est mal compris. Je suis conscient que les choses ont changé. Je respecte juste cet ordre-ci pour Zazie, le capitaine Abel et les autres membres de l'équipage qui ont risqué leurs vies pour te protéger.

• Je vois, donc tu vas dormir de ton côté, même si on l'a déjà fait tous les deux, et que je t'autorise à recommencer ?

• Sous l'effet de l'alcool...

• Mais tu ne nies pas que je te plais. Donc maintenant tu viens t'allonger avec moi ou tu cherches une autre cabine pour jouer au garde du corps.

Bien qu'il y ait un fond de vérité dans les paroles de Kyla, Zack tenta tout de même de répliquer, mais ne trouva rien à redire. Il céda et se coucha avec la jeune femme tout en gardant ses distances avec elle. Il ne voulait pas donner raison à Bilal qui craignait que cet équipage parte en vrille avec ce genre de situation. Bien que, dans l'esprit de Zack, cela aurait facilement détourné la rouquine de son projet téméraire de s'attaquer à des mercenaires lourdement armés. Cela fut pour lui un cycle de sommeil des plus calme.

Une fois reposés, ils planifièrent les tâches à faire en priorité autour d'un repas. Léon et River insistèrent pour faire un entretien et révision du pont en premier, Zack et Anny pour les installations mécaniques et énergétiques. Face à deux parties refusant de céder, Kyla se retrouva plus vite que prévu à devoir trancher son premier désaccord entre membres d'équipage. Elle donna gain de cause au jeune homme, justifiant que sans un vaisseau en état de voler, les commandes de tir et de navigation ne serviraient à rien.

Bien qu'il s'estime avoir raison, Zack redouta tout de même la réaction des ses coéquipiers. Anny étant l'une des amies de la rouquine, et lui, partageant carrément sa cabine ce qui donnait de quoi douter de l'intégrité de la jeune femme. Il pensait qu'on l'accuserait de prendre parti, mais finalement son argument fit mouche. Sur son ordre, ils passèrent les jours suivants à inspecter la machinerie, l'armement et les circuits d'énergies. Durant leur contrôle minutieux du bâtiment, ils trouvèrent même une salle de musculation à l'abandon. Pauvrement équipé comparé à celle de la Licorne Noire, Zack comprit qu'il était plutôt bien logé sur son ancien vaisseau.

Lorsqu'ils attaquèrent les vérifications et l'entretien du pont, le jeune homme eut alors un déclic. Il ne le remarquait que maintenant, en voyant Kyla s'installer sur le fauteuil du capitaine, et pourtant cela était évident : elle manquait d'assurance et angoissait à l'idée d'assumer ce poste. Il aurait dû s'en douter quand elle justifia sa décision. Abel ne le faisait pas, il ordonnait et tous le suivaient. La seule exception, c'était lui puisqu'il le formait. Il comprit que malgré ses provocations envers lui, elle avait plus besoin de lui dans la cabine pour la réconforter et l'aider à décompresser. S'il réussit à faire semblant d'ignorer ce détail, une fois seul avec elle, il craqua, ne pouvant plus se retenir de lui rendre la pareille.

• Tu sais, si tu avais tant besoin de quelqu'un pour te confier et te câliner, dis-le ouvertement. C'était pas la peine de me faire un procès d'intention.

• Comment oses-tu ? Je suis ta capitaine ! T'as pas le droit de me parler ainsi.

• Je ne fais que relever une réalité. J'ai bien vu que tu avais du mal à assumer ton rôle. Tu es stressé dès que tu es sur le fauteuil de commandement.

• J'ai pas vraiment envie d'être capitaine, je te signale. C'est l'équipage qui m'a considéré comme la plus légitime. Je suis pas Abel, je sais pas faire moi !

• Dans ce cas, pourquoi avoir accepté ? Tu aurais dû refuser, tout simplement.

• Je pouvais pas... Après tout, c'est moi qui ai organisé cette mission cet équipage. C'est ma responsabilité, mon devoir d'assumer. Je te demanderai de ne pas en parler aux autres, ils n'ont pas besoin de savoir.

• Ils finiront bien par le remarquer vu comment tu as du mal à le cacher.

• C'est vrai, mais si tu es avec moi, je devrais m'en sortir.

Zack resta surpris. Elle savait pourtant bien qu'il l'avait suivi par défaut, parce qu'elle refusait de renoncer à son caprice et qu'il ne pouvait pas la laisser tomber. Alors comment pouvait-elle en attendre tant de lui ? Et puis, comment voulait-elle qu'il l'aide ? À part rester à ses côtés, être l'épaule sur laquelle elle pourrait pleurer ou se reposer si besoin, que pouvait-il faire ?

• Ça va changer quoi, que je sois là ?

• Tu sais comment me le dire discrètement, si jamais je commence à me planter. Suffit de me pincer les fesses.

• Je comprends pas l'idée. En gros, ta solution c'est de se tripoter ?

• Non. Tu me touches autant que tu veux dans cette cabine, mais se pincer c'est uniquement pour communiquer. C'est bien comme ça qu'on a déjà fait. Et tous penseront que c'est un geste intime entre nous.

• Je vois mieux ce que tu as en tête. Par contre pour ici, je t'ai dit que je ne voulais pas profiter de la situation. Je me sentirais trop coupable.

• Et si moi j'en ai envie ? C'est aussi un moyen de m'aider à décompresser et me changer les idées.

S'il ne trouva rien à redire à sa proposition, il avait quand même du mal à l'accepter. Il estimait qu'elle restait trop affectée par la mort de Zazie pour qu'il n'abuse pas de sa fragilité mentale. Si la situation était différente, il n'hésiterait pas à céder à la rouquine. Si plus tard, elle renouvelait son offre, il le ferait sûrement. Pour cette nuit encore, il conserva ses distances avec elle.

Le lendemain, ils commencèrent les travaux du dernier poste du pont, les commandes de tirs et de pilotages. En comparaison avec les installations du vaisseau que Zack connaissait, celles-ci semblaient bien sobres et simplistes. Les canons se dirigeaient avec une batterie de leviers à gâchette sur un tableau de bord. Facile à utiliser contrairement aux lubies de Zazie. Quant aux instruments de manœuvre de la frégate, ils restèrent méfiants, car elles n'avaient pas l'air très pratiques. Tous se tournèrent vers Léon, curieux d'avoir son avis sur la question.

• Aucun problème pour moi. Les commandes sont des plus basique. Un levier pour la profondeur, un pour la direction. Et pour la puissance, y'a le panneau de contrôle avec les instruments de bord. Même vous pourriez l'utiliser.

• Ouais, enfin suffit pas de savoir comment ça marche, répondit Bilal. Estimer les distances, anticiper les dangers, et tout le reste, ça demande de l'expérience.

• Pas de soucis, ça à l'air d'une épave ce qu'on nous a refilé, mais pas à ce point-là. Y'a même un pilotage automatique. D'ailleurs, capitaine, quelles sont les coordonnées à prendre en référence ?

• Cap sur Terra Prima ! ordonna Kyla.

• La capitale impériale ? s'étonna Zack. Pourquoi ? Je croyais que tu voulais venger Zazie.

• C'est l'idée, mais pas n'importe comment, expliqua Kyla. Désolé, mais comme toi et Bilal nous avez rejoints après qu'on ait décidé du plan, vous n'êtes pas au courant, et on a pas pris le temps de vous mettre à la page.

• Ça va, on a pas pensé à demander non plus, admit Zack. Donc, vous prévoyez de faire quoi sur Terra Prima ?

• Pas là-bas, mais plutôt sur le trajet. C'est moi que veut l'ennemi, et on va leur donner une chance de me capturer, mais pas avant l'orbite de la capitale impériale. On a l'effet de surprise, car ils ne s'attendront pas à ce que je parte avec vous.

• C'est plutôt malin, reconnu Bilal. Mais ils vont comprendre et ils vont vite nous rattraper. Vu l'écart de puissance, on fera quoi quand ça sera le cas ?

• On les laisse nous suivre jusqu'à Terra Prima. Une fois là-bas soit on est définitivement en sécurité et je ne mettrais plus personne en danger, soit ils insistent, ce que j'espère bien, et devront entrer en guerre avec l'armada impériale. Les mercenaires y sont interdits.

Devant ce plan, Zack eut beaucoup de mal à ne pas montrer de la surprise. C'était à la fois risqué tant cela serait difficile à réaliser, mais tellement ingénieux. Il ressentait tant d'admiration pour Kyla qu'il ne pouvait s'empêcher de la fixer avec l’œil brillant. De plus, il y trouvait son compte : elle l'emmenait droit vers son objectif à lui. Avait-elle pensé à cette stratégie dès le début, ou après leur discussion sur la plage ? À cet instant, la réponse ne l'intéressait pas, mais il se promit de lui demander à l'occasion.

L'ordre de décoller fut enfin donné. Chacun regagna son poste et fit de son mieux pour que leur premier vol se passe bien. Loin de la tutelle de Wilfrid, Zack se sentit nostalgique des enseignements du chef mécanicien, mais tellement fier de tenir lui-même ce rôle désormais. Il ouvrir les vannes de liquide à plasma transmettant l'énergie, et surveilla ses appareils de mesure comme on le lui avait apprit. Légèrement secoué par la séparation entre le vaisseau et le sol, il était heureux de cette réussite. Ils décollaient par eux-mêmes et partaient enfin vivre leur propre aventure dans l'espace.

À la sortit de l'atmosphère de Gamma 15, les instruments de bords détectèrent le croiseur des mercenaires en orbite. Ce fut le moment de vérité. Zack croisa les doigts, et attendit avec angoisse. Quelques minutes plus tard, Kyla demanda de la puissance dans les moteurs sans aucun choc ne vienne signaler d'incident. Leur stratégie fut un succès, qu'ils fêtèrent joyeusement après avoir mis suffisamment de distance entre eux et leurs ennemis. Désormais, ils ne leur restaient plus qu'à atteindre leur destination en un seul morceau.