Chapitre 13 : L'auteur de l'article
Un beau matin, Adallia avait conduit les étudiants de première année à la Faculté des Technologies pour une autre « activité extra-scolaire ». Le but était de leur présenter le processus de fabrication des machines, et notamment de leur expliquer comment BIDI-O avait été conçu. L’Androïde avait rempilé avec beaucoup d’enthousiasme pour une nouvelle sortie en leur compagnie. Cette fois-ci, Kaïlye avait tenu à être là, ce qui était d’autant plus fondamental que c’était elle qui avait créé le petit robot. En toute logique, elle avait donc proposé à Adallia et ses élèves de venir à la Décharge.
La Décharge était une zone située dans une crique qui s’enfonçait dans les falaises ceinturant la Faculté des Technologies. Là, un vaste espace avait été aménagé pour accueillir des centaines de milliers de composants électroniques qui avaient été récupérés par l’Académie qui s’en servait désormais pour la recherche. Kaïlye avait endossé le rôle de professeur et avait montré aux étudiants certaines bases de la fabrication cybernétique avant qu’un orage n’éclatât subitement et qu’une averse ne vînt les tremper. La petite troupe s’était alors redirigée précipitamment vers le lac central de la faculté et le bâtiment à rotonde pour s’y abriter et trouver de quoi se restaurer.
Une fois l’orage passé et les premiers rayons de soleil revenus, Adallia proposa de retourner à la Décharge pour continuer cette initiation à l’ingénierie cybernétique. Tous ensemble, ils regagnèrent la crique accessible par des pontons, puis dans une ambiance bon enfant, se faufilèrent dans un étroit chemin rocheux et tortueux avant d’aboutir à un immense enclos doté d’enceintes aux couleurs orange et bronze.
À l’intérieur de l’enclos, d’imposants cyber-robots en forme de concasseurs étaient chargés de trier nuits et jours, qu’il ventât ou qu’il plût, les amas de machines qui s’accumulaient en petites collines. Parfois, des transporteurs arrivaient par les airs et crachaient leurs tonnes de ferraille sur les monticules artificiels, dégageant des nuages de poussières qui étaient aspirés par un système de ventilation au sol.
Le groupe monta sur l’une des enceintes et longea l’enclos avant de redescendre plus loin à l’intérieur. Là, se trouvait une zone réservée dans laquelle les chercheurs pouvaient faire leur marché en récoltant des pièces mis à disposition par la faculté et sélectionnées au préalable par d’autres cyber-robots qui les classaient. Dans ce lieu clos plus isolé, le vacarme assourdissant du reste de la Décharge était atténué, et il était possible de s’entendre parler sans avoir à crier.
Kaïlye reprit ses explications sur l’assemblage des parties vitales d’un Androïde là où elle les avait laissées quand l’orage avait éclaté. BIDI-O s’était prêté au jeu et avait ouvert sa carapace métallique pour mettre à nu ses circuits électroniques et les exposer aux élèves. Mais Adallia remarqua que son étudiante aux lunettes avait l’air soucieuse. Elle regardait un cyber-robot faire des allers-et-retours pour trouver des pièces de rechange et remplacer les siennes qui étaient défectueuses.
L’élève interpella Kaïlye de la main et désigna du doigt le robot :
— Excusez-moi, n’y a-t-il pas normalement des ateliers de réparation pour les machines ?
— Si, bien sûr, répondit Kaïlye.
— Dans ce cas, pourquoi ce cyber-robot vient-il ici prendre des pièces au lieu de se rendre dans un atelier ?
— Parce que cela fait partie des initiatives que l’intelligence de certains cyber-robots est capable de prendre.
— Alors, pourquoi n’a-t-il pas une conscience aussi développée qu’un Androïde ?
— Son initiative, bien qu’elle induit un comportement « presque indépendant », est raccord avec sa programmation et ne dépasse pas le cadre de ses concepts de cyber-robot. Cette machine est programmée à la fois pour connaître ses propres composants et se rendre dans un atelier de réparation en cas de besoin. Si elle identifie un problème, elle peut tenter de le résoudre elle-même.
— À quel moment précis apparaît la conscience ? demanda l’étudiant qui avait toujours les cheveux gras et aplatis.
— En fait, il n’y a pas d’instant zéro, mais plutôt une série continue de paliers, expliqua Kaïlye, heureuse de voir que les étudiants s’intéressaient autant à la Cybernétique. La conscience est un phénomène progressif qui dépend de beaucoup de facteurs. Si vous implantez une intelligence comme celle de BIDI-O dans un cyber-robot, vous ne verriez pas de grande différence au début. Le cyber-robot devrait d’abord apprendre à maîtriser ses capacités et ses données, puis à assimiler de nouvelles informations. La conscience qu’il aurait de lui-même serait à ce moment-là assez proche de celle d’un animal avant d’évoluer et de s’affiner avec le temps pour devenir celle d’un Androïde. C’est un processus qui n’est finalement pas si différent de l’évolution du genre humain.
Les étudiants se regardèrent avec perplexité. La plupart d’entre eux n’avait pas l’habitude d’entendre un tel discours. Dans beaucoup de secteurs de la Confédération, il était difficilement concevable que les êtres biologiques et cybernétiques pussent être placés sur le même plan d’existence.
— Mais nous les Humains, nous avons des personnalités qui nous sont propres, contrairement aux machines, interpella un autre étudiant d’un ton sceptique.
Cette dernière remarque fit grimacer Kaïlye qui s’empressa de rectifier :
— Ce n’est pas tout à fait juste. Premièrement, même si les êtres cybernétiques peuvent parfois nous apparaître apathiques, ils ont en réalité une façon bien à eux de voir le monde et de l’exprimer. Deuxièmement, comme nous, ils produisent une grande variété de paradigmes. Troisièmement, ils sont parfaitement capables d’élaborer des personnalités complexes. Il suffit de regarder BIDI-O pour comprendre de quoi je parle.
L’Androïde, qui n’avait pas remarqué un seul instant qu’on parlait de lui, était en train de bricoler quelque chose avec diverses pièces. « Sûrement pour sa moto-jet » se dit Adallia qui s’amusait à le regarder, et qui pensait qu’il était effectivement la parfaite illustration des propos de Kaïlye.
— Qu’est-ce qui fait que BIDI-O est ainsi ? interrogea l’étudiante à lunettes.
— C’est en raison de la « pluralité existentielle ». Il s’agit d’une conception que l’on trouve chez les premières générations de Cyborgs et qui a été reprise aujourd’hui par l’École des Théoriciens. Dans cette conception, le but de l’existence est de se développer toujours sous de nouvelles formes. J’ai intégré ce paradigme dans la mémoire de BIDI-O afin qu’il soit le plus possible créatif. Je crois que cela l’a aussi aidé à mieux comprendre les êtres biologiques. Les machines peuvent comprendre nos émotions, mais lui sait mieux comment les utiliser.
Ce que révélait Kaïlye aux étudiants n’était pas un simple détail. Elle avait longtemps gardé ce secret, même à Adallia, car cela représentait pour elle le résultat de longues années de recherches et de réflexions empiriques. La « pluralité existentielle » avait retenu son attention lorsqu’elle avait commencé à travailler sur le développement technique des Cyborgs et qu’elle avait analysé des milliers de données qui avaient pu être collectés à leurs sujets. Kaïlye était restée discrète sur la question puisque beaucoup de chercheurs doutaient de l’influence d’un tel facteur qui ne concernait pas directement l’intelligence pure. Aujourd’hui encore, il lui était difficile de défendre son point de vue tant qu’elle ne l’avait pas démontré à travers ses expériences sur la transrobotique. Mais comme elle l’avait si bien expliqué aux étudiants, la personnalité de BIDI-O et sa capacité à tisser des liens proches avec les Humains pouvaient être au moins imputables à un tel paradigme dans sa mémoire.
Les étudiants commençaient à mieux cerner les possibilités de la conscience cybernétique à travers l’exemple de l’Androïde, et Adallia était contente qu’ils pussent s’ouvrir à de nouveaux horizons. Quelque part, la nature physique des machines s’inscrivait dans la continuité de l’existence des espèces vivantes, et supposait même une forme de parenté. Les Assegaï l’avaient, par ailleurs, bien compris. Pour eux, l’aboutissement logique de l’existence était la matière, suivi du vivant, de l’intelligence qui en découlait, et enfin de l’intelligence artificielle. Il n’était donc pas étonnant de voir l’École des Théoriciens utiliser la « pluralité existentielle » pour inciter les Cyborgs à se rapprocher de nouveau des êtres biologiques et stimuler leur créativité.
Grâce à cette activité extérieure, Adallia espérait que les étudiants pussent appréhender le fonctionnement mécanique des machines et leurs similarités avec les Humains. Et au vu de la réaction étonnée des étudiants, l’objectif pédagogique était rempli.
✽✽✽
Pour finir le cours en beauté, Kaïlye proposa aux étudiants de monter et programmer ensemble des circuits de cyber-robots. Elle souhaitait leur montrer dans quelle configuration électronique un Androïde était capable d’y transférer sa conscience et d’en prendre le contrôle. Adallia, qui n’était pas très adroite de ses mains, tenta d’aider les étudiants, mais fit griller plusieurs circuits en faisant les mauvais branchements. Elle préféra rester sur le côté et les regarder faire.
Après plusieurs démonstrations de transfert de la conscience, Kaïlye donna le feu vert à BIDI-O pour que celui-ci configurât un adaptateur, similaire à ceux qu’il utilisait sur les motos-jet, pour expérimenter la démultiplication des corps en l’implantant dans les circuits d’un cyber-robot. Une fois sa conscience transférée à l’intérieur, l’Androïde prit le contrôle d’une machine montée sur des chenilles et en redressa le buste avant de bouger simultanément sa propre masse. Afin d’éviter tout risque d’incident avec sa conscience, Kaïlye n’autorisa le petit robot à pratiquer la démultiplication que pendant quelques dizaines de secondes.
Adallia réalisa que BIDI-O paraissait davantage à l’aise avec l’exercice. Même si l’Androïde n’était pas encore complètement capable de se mouvoir librement tout en dirigeant une autre machine, ses gestes et son déplacement étaient moins saccadés. De même, il n’en fallait pas plus pour faire plaisir aux étudiants qui mesuraient pleinement la difficulté de cette action pour le petit robot.
À la fin de la séance, BIDI-O se déconnecta et prit quelques minutes pour reprendre totalement ses esprits. Pendant ce temps-là, les étudiants aidèrent Kaïlye à retirer l’adaptateur du cyber-robot et à ranger tout le matériel qu’ils avaient emprunté pendant le cours.
Adallia, elle, se pencha près de l’Androïde pour voir si tout allait bien.
— Ne t’inquiète pas, ça va, dit-il aussitôt en voyant la jeune femme l’ausculter du regard.
— Ah, très bien. ! répondit Adallia avec un sourire. J’ai eu un doute...
— Je comprends, mais c’est désormais plus facile pour moi de pratiquer la démultiplication des corps.
— Je vois cela, bravo à toi ! Et est-ce que tu as retenté avec plusieurs autres machines en même temps ?
— Oui. Malheureusement, j’ai eu encore « une absence », reconnut BIDI-O d’une voix déçue. Du coup, Kaïlye ne veut pas qu’on réessaye avant d’avoir fini d’analyser les ondes quantiques dont elle a parlé l’autre jour
— Elle a peut-être raison. C’est plus prudent, il vaut mieux savoir à quoi vous avez affaire d’abord.
De toute évidence, BIDI-O avait envie de réitérer l’exploit, et il n’était pas certain que Kaïlye pût l’en retenir encore bien longtemps.
— Et toi, est-ce que tout va bien de ton côté ? questionna l’Androïde en cherchant à changer de sujet.
Par automatisme, Adallia repensa à ses recherches sur la « vie cybernétique ».
— J’ai tenté de trouver qui avait écrit sur la peinture de Koutcha, répondit-elle. Mais j’ai eu beau cherché partout, le numéro consacré à cette planète n’apparaît nulle part... J’ai contacté l’équipe de rédaction de la revue, mais rien non plus.
— C’est impossible ou alors cela voudrait dire que c’est un faux document, fit remarquer l’Androïde.
— C’est ce que je me suis dit, mais personne n’aurait intérêt à faire cela. D’autant plus que le document semble être beaucoup trop authentique pour avoir été simplement « fabriqué » de toutes pièces.
L’Androïde réfléchit à ce que la jeune femme venait de dire. Il s’exprima, incertain :
— C’est vrai, tu as raison. En fait, il y a une autre possibilité...
BIDI-O ne finit pas sa phrase et se figea. Adallia crut dans un premier temps que c’était le principe d’instabilité qui se manifestait et entraînait un dysfonctionnement. Elle réalisa ensuite que l’Androïde était en train de regarder derrière elle.
Adallia se retourna et aperçut un peu plus loin Kendar Wo-Cysbi qui venait visiblement de pénétrer dans la Décharge. D’un pas hésitant, il s’avança vers la zone où se trouvait la petite troupe tout en balayant du regard les environs où s’activaient inlassablement à leurs tâches les cyber-robots. La jeune femme ne s’attendait pas du tout à voir l’enquêteur ici et se demanda quelle pouvai être la raison de sa visite.
— Ce n’est pas facile de vous trouver, dis donc, lança Kendar Wo-Cysbi qui continuait à scruter tout autour de lui.
— Ah... euh... oui, c’est un cours un peu spécial. J’ai proposé de faire une sortie avec les étudiants pour rendre la classe un peu plus vivante.
— Oui, c’est ce qu’on m’a dit quand j’ai demandé où est-ce que je pouvais vous trouver. D’ailleurs, j’ai observé la scène depuis l’enceinte et, outre la performance technique que votre ami Androïde nous a offerte, j’ai vu à quel point vos étudiants étaient ravis.
— Oui, ils ont eu leur dose de travaux pratiques pour aujourd’hui, fit Adallia en souriant et en même temps un peu gênée par cette visite incongrue. Je suis désolée en tout cas que vous ayez dû traverser toute l’Académie pour venir jusqu’ici. Il fallait me contacter directement sur mon connecteur si vous vouliez me voir.
— Non, non, ne soyez pas désolée. Bien au contraire, c’est moi qui ai pris cette initiative pour que vous n’ayez pas à vous déplacer, fit Kendar Wo Cysbi, toujours aussi poli. En fait, si je suis venu ici c’est parce que je souhaiterais vous parler en face à face.
— Euh... oui, ça devrait être possible, hésita Adallia en jetant un coup d’œil en direction de BIDI-O.
Le petit robot examinait l’homme et avait compris que celui-ci travaillait pour la Confédération en voyant le style de sa tunique ; c’était le « fameux enquêteur ». BIDI-O échangea un regard avec Adallia et finit par dire :
— Pas de problème Adallia. Je te laisse avec ton ami. Je vais aider les autres à ranger.
— Parfait, merci, BIDI-O.
Un peu plus loin, Kaïlye, à qui la scène n’avait pas échappé, interrogea le petit robot sur la présence de cet étrange inconnu. Adallia était presque certaine que son amie avait deviné aussi de qui il s’agissait.
— Il peut donc pratiquer la démultiplication des corps ? s’enquit Kendar Wo-Cysbi qui avait visiblement remarqué les capacités singulières de l’Androïde.
— Oui, en partie, répondit Adallia, en restant vague.
— Ce n’est pas commun pour un Androïde. J’ai entendu dire que le Centre des sciences cybernétiques menait justement des expérimentations avec l’un d’entre eux pour étudier la supraintelligence cybernétique. C’est de lui dont il s’agit ?
— Tout à fait.
— C’est une bonne chose. D’autres académies de la Confédération tentent de faire de même, avec des bilans plus ou moins concluants. Je crois que la personnalité des Androïdes rentre beaucoup en jeu.
— Oui, je suis complètement d’accord, abonda Adallia.
— Serait-il possible de s’entretenir avec lui à l’occasion ?
Prise au dépourvu, Adallia balbutia :
— Euh... pour quelle raison exactement ?!
— J’aimerais pouvoir discuter avec lui de ses avancées en transrobotique, répondit simplement l’enquêteur.
— J’imagine que cela peut se faire... hésita la jeune femme qui ne savait pas comment l’Androïde ou Kaïlye réagirait à cette requête et qui se demandait si l’homme n’avait pas une idée plus précise derrière la tête. Vous savez, il est encore loin d’avoir percé les secrets des Cyborgs...
— C’est vrai, mais en cherchant, on finit toujours par trouver.
— Que voulez-vous dire ? interrogea Adallia qui présentait autre chose.
— J’ai certaines informations à vous communiquer.
Adallia ouvrit grand ses oreilles.
— Tout d’abord, j’ai pu obtenir des renseignements quant à l’auteur qui a publié l’article dans la revue Réminiscence. Il s’agit d’un certain Kumara Jiva, un antiquaire installé sur Koutcha.
Kendar Wo-Cysbi avait lâché ce renseignement aussi facilement qu’il avait dû le trouver, ce qui dérouta considérablement la jeune femme.
— D’accord... mais... je suis un peu circonspecte, fit remarquer Adallia, car j’ai moi aussi cherché et n’ai trouvé aucune information à ce sujet. Comment avez-vous fait ?
— Le numéro consacré à Koutcha n’a tout simplement pas encore obtenu les autorisations pour être diffusé sur les canaux officiels. Dans ce cas, il y a une clause de non-divulgation. C’est une procédure normale pour les documents traitant des régions extérieures à la Confédération.
Adallia trouvait la réponse un peu légère, mais paraissait en même temps plausible, et Kendar Wo-Cysbi n’avait pas hésité à lui répondre d’une voix assurée.
— Pour ma part, poursuivit, l’enquêteur, je ne suis pas très étonné que notre homme soit un antiquaire. J’ai entendu dire que beaucoup se sont installés sur Koutcha depuis que les Assegaï y ont implanté un marché d’art.
— Ce qui expliquerait pourquoi Réminiscence aurait fait appel à lui pour son numéro sur Koutcha.
— Sûrement. Et je me demande même si cet antiquaire ne pourrait pas être impliqué dans le projet de « vie cybernétique ».
Adalla regarda l’enquêteur, interloquée.
— Qu’est-ce qui vous fait penser cela ? enjoignit-elle.
— Le Bureau des affaires cybernétiques a dépêché sur Koutcha un des agents de la cellule que je dirige. Or, ce dernier m’a contacté il y a quelques jours pour me dire qu’il y avait retrouvé la piste des individus qui travaillent sur le projet de « vie cybernétique ».
— Et que font-ils là-bas ? questionna Adallia, encore plus intriguée
— Eh bien, il y a une autre coïncidence assez troublante : ils semblent s’intéresser aussi à cette fameuse peinture que vous m’avez présentée la dernière fois.
— Vous en êtes certain ?
— Affirmatif, j’ai transféré une copie de la peinture à mon agent. D’après lui, les individus en question sont en quête d’images similaires. Et, dans l’article de Réminiscence, l’antiquaire précise justement que c’est ce que les Cyborgs recherchent. Est-ce que vous comprenez ce que cela signifie ? fit Kendar Wo-Cysbi qui souhaitait qu’Adallia en déduisît par elle-même ce qu’il avait à lui dire
— Cela veut dire que ces personnes aident les Cyborgs à trouver des images semblables à cette peinture, c’est cela ?
— Effectivement.
C’était ce que s’était imaginée Adallia depuis qu’elle avait compris qu’il s’agissait d’une initiative cybernétique. Elle commençait désormais à mieux cerner les enjeux qui se dessinaient derrière la peinture de Koutcha et qui dépassaient le cadre scientifique qu’elle abordait.
— J’imagine que c’est la raison pour laquelle l’École des Théoriciens fait appel à des Humains, dit-elle. Il y a donc bien un lien entre nos deux affaires.
— C’est on ne peut plus exact. Et il est probable que l’Assegaï S-arn se soit rendu dans la Confédération pour recruter des personnes à cette fin.
— Mais pourquoi des Humains en particulier ?
— Mon agent sur Koutcha m’a également appris que l’École des Théoriciens concentre ses recherches sur les artefacts qui proviennent de régions stellaires en cours d’exploration par la Confédération.
Un peu comme BIDI-O lorsque celui-ci était marqué par une absence après une expérience en transrobotique, Adallia eut une sorte de passage à vide. Elle eut d’abord un doute sur l’idée qui lui vint naturellement à l’esprit. Puis, après y avoir réfléchi une seconde fois, se permit de la formuler à l’enquêteur pour être sûre qu’elle comprenait bien de quoi il en retournait.
— Vous voulez dire que cette peinture proviendrait d’une zone inconnue ?
— Oui, et l’antiquaire vend notamment des objets en provenance de ces régions.
Adallia réfléchit à ce qu’elle venait d’apprendre. Certaines zones de la Galaxie faisaient effectivement l’objet d’un processus de prospection par différentes espèces, dont les Humains, dans le cas d’une éventuelle colonisation si les conditions s’y prêtaient. Cela signifiait que ces territoires avaient évolué de façon isolée et que la peinture de Koutcha pouvait provenir de régions stellaires abritant des cultures et civilisations encore non-répertoriées. Ceci pouvait expliquer entre-autres pourquoi les images n’étaient pas identifiables. Une question demeurait toutefois.
— Mais comment une culture inconnue aurait pu être amenée à représenter des Cyborgs dans son art ? demanda Adallia.
— C’est probablement ce que l’École des Théoriciens cherche à savoir aussi, en déduit Kendar Wo-Cysbi.
— Cela doit avoir un lien avec la nature des machines représentées sur la peinture, il faudrait pouvoir en décrypter l’iconographie... pensa tout haut la jeune femme.
Kendar Wo-Cysbi esquissa un sourire et lui dit :
— J’ai également quelque chose à vous communiquer à ce propos. Je souhaitais vous donner rendez-vous avec votre directeur au Planétarium de l’Académie pour en discuter. Mais Yu Kiao avait une réunion tout à l’heure, c’est pourquoi je me suis permis de venir vous voir en premier.
— Vous avez bien fait, dit Adallia, heureuse d’avoir obtenu des informations sur l’auteur de l’article et en même temps curieuse de savoir pourquoi Kendar Wo-Cysbi désirait se rendre au Planétarium. Quand doit finir la réunion ?
— Cela ne devrait plus tarder maintenant. Si vous êtes d’accord, nous pourrions appeler votre directeur et lui proposer de le retrouver là-bas s’il est disponible.
Adallia jeta un regard derrière elle et vit que les étudiants étaient toujours occupés à bavasser avec Kaïlye et BIDI-O.
— Euh... C’est d’accord. Donnez-moi d’abord quelques minutes, je vais prévenir les autres et je vous rejoins.
— Bien sûr, prenez votre temps, répondit avec politesse l’enquêteur. Je vais tenter d’appeler Yu Kiao.
— Allez-y. Ne vous étonnez pas s’il se met à hurler dans son connecteur, ce sont des oreilles bioniques qui lui faudrait.
Adallia se dirigea vers ses acolytes et le petit groupe d’étudiants réuni autour d’eux.
Kaïlye, qui avait gardé un œil sur son amie pendant sa discussion avec l’enquêteur, comprit tout de suite ce qu’il se passait.
— Tu dois partir, c’est cela ? demanda-t-elle.
— Oui, on doit aller voir Yu Kiao, dit Adallia pour la rassurer.
— Entendu, moi et BIDI-O, on va rester un peu avec tes étudiants. Ils veulent aller voir les collections cybernétiques de notre Centre de recherches. (musée de machines)
— Cest une excellente idée, fit Adallia qui aurait également bien aimé les accompagner.
— Vous ne venez pas avec nous, Professeur ? demanda l’étudiante à lunettes, juste à côté.
— Non, pas cette fois, le cours est fini. Vous êtes entre de bonnes mains, répondit Adallia d’un ton bienveillant.
— Tiens-nous au courant s’il y a un souci, fit Kaïlye, en regardant en direction de l’enquêteur avec une grande méfiance.
— Ne t’inquiètes pas. Je vous enverrai un message dès que ce sera fini.
— Oui, tiens-nous au courant ! ajouta spontanément l’Androïde.
En partant, Adallia se dit que la phrase de BIDI-O n’avait pas exactement le même sens que celle de Kaïlye, et que le petit robot était surtout avide de savoir ce que l‘enquêteur avait bien pu lui révéler.
Annotations
Versions