Chapitre 14 : Le symbole chimérique
Dans le monorail qui s’éloignait à toute vitesse de la Faculté de Technologies, Kendar Wo-Cysbi n’avait plus du tout abordé la question de la peinture de Koutcha. Il avait surtout questionné Adallia sur son quotidien sur Ordensis et les problèmes interculturels qui en découlaient.
La jeune femme, quant à elle, se demandait si l’enquêteur ressentait une certaine animosité de la part des Sythecs, tout du moins de ceux sachant ou devinant qu’il travaillait pour le Gouvernement central. À première vue, l’homme n’avait pas l’air dérangé par les us et coutumes locales. Il témoignait d’une capacité à se fondre dans la masse, ce qui suscitait chez Adallia un certain respect.
De plus, elle réalisa au cours de leur trajet en monorail que lorsque Kendar Wo-Cysbi parlait naturellement, sans les manières d’usage auxquels un agent du Gouvernement était habitué, celui-ci avait tendance à machinalement adopter des tics qui trahissaient ses sentiments. Quand il appréhendait mal un élément, il se mettait à se gratter la joue, toujours avec sa main robotisée, signifiant qu’il ne comprenait pas bien le propos et fixait Adallia dans le blanc des yeux. Au contraire, lorsque quelque chose l’intriguait, il se caressait la barbe, comme le faisait également Yu Kiao, avec son autre main.
— Au fait, avez-vous déjà rencontré des Cyborgs ? demanda brusquement Kendar Wo-Cysbi. Je veux dire en vrai ?
Bousculée par la question, Adallia cessa d’analyser l’homme du regard et répondit :
— Euh... oui, cela m’est déjà arrivé.
— Pouvez-vous me raconter ?
— La première fois, c’était quand j’avais seize ans. Au cours d’un voyage avec mes parents, nous avons transité par un spatioport où nous avons croisé des Cyborgs. Alors que nous attendions une navette qui reliait les aérogares, je me souviens que l’un d’entre eux s’est mis à me projeter des images par télépathie. Il me montrait une mégastructure énergétique dans l’espace. J’étais alors très impressionnée à la fois par ce que je voyais et par la réaction de mon cerveau dont j’avais l’impression de ressentir l’activité électrique.
— Je peux aisément imaginer. Mais pourquoi ce Cyborg faisait-il cela ?
— Juste avant, je l’avais observé du coin de l’œil pendant plusieurs minutes, ce qui avait attiré son attention sur moi. Il cherchait à connaître ce qu’une enfant humaine pensait de son monde.
— Comment le savez-vous ?
— Parce qu’il stimulait mes connexions neuronales qui associaient des idées à des images, et sans aucun mot, j’arrivais à percevoir sa vision à lui. Il semblait chercher les connaissances que j’avais du monde cybernétique. Un peu plus tard, mes parents m’ont dit qu’ils avaient ressenti aussi des ondes émaner de ce Cyborg et qu’ils avaient perçu des fragments de la mégastructure que je leur avais décrite.
— Oui, c’est ce qu’on appelle communément « l’effet magnético-statique ». Les ondes électromagnétiques que les Cyborgs dégagent sont parfois captées par nos récepteurs cognitifs et agissent sur notre activité cérébrale. Elles ont également tendance à influencer notre perception du temps et à nous faire ressentir des choses du passé avec beaucoup d’intensité.
— Oui, c’est tout à fait cela. Je me souviens que différents moments de ma vie liés à des connaissances sur la cybernétique me sont remontés du fin fond de ma mémoire et que je les avais revécus comme si c’était la première fois. Je ne sentais aucune malveillance dans cette intéraction, plutôt une forme de curiosité étrange. Cette expérience ne m’a jamais quitté et est toujours gravée en moi.
— C’est ce qui vous a orienté vers la Cybernétique ? continua de demander Kendar Wo-Cysbi, intéressé par les explications de la jeune femme.
— En vérité, j’ai toujours aimé l’Histoire, pour la mémoire collective qu’elle constitue et la conscience qu’elle nous donne de l’évolution de l’univers. Ce qui m’a poussé plus précisément vers la Cybernétique, c’est le fait que nous ne comprenons pas tous les mécanismes de la singularité technologique et que, étrangement, celle-ci semble être une sorte de principe anthropique, quelque chose de latent qui ne demande justement qu’à être découvert.
— Cela n’a pas dû être simple de combiner à la fois l’Histoire et la Cybernétique ?
— Non, en effet. Au début, j’ai dû suivre un cursus séparé dans chaque branche. Au moment de me spécialiser, j’ai eu la chance de rencontrer des chercheurs qui m’ont aidé à étudier la structuration des Cyborgs dans la Galaxie. J’effectuais alors mes recherches dans les lieux de la Confédération accessibles aux Cyborgs.
— S’agissait-il de postes diplomatiques ?
— Oui, esentiellement pour les tractations commerciales et la colonisation de systèmes frontaliers. Malgré moi, je me suis retrouvée pendant un temps immergée dans les relations intragalactiques. À l’origine, je n’étudiais pas spécialement les Assegaï, mais leur présence de plus en plus évidente dans les négociations m’a interpellé. Ils s’insinuaient progressivement dans les discussions afin de comprendre le fonctionnement de la Confédération. Avec d’autres chercheurs en Cybernétique, nous avons compris que l’École des Théoriciens était en train de se mettre en place.
— C’est là un vaste sujet. Si vous aviez pu vous rendre dans des systèmes cybernétiques, peut-être auriez-vous encore appris davantage de choses.
— Je souhaitais m’y rendre, mais je n’ai pas pu obtenir les autorisations nécessaires à l’époque. Je n’étais qu’une étudiante et je devais travailler pour avoir le droit d’accompagner des groupes de recherches ou des délégations à l’extérieur de nos frontières.
— Et c’est pourquoi vous avez accepté un poste à l’Académie d’Ordensis ?
— Entre autres chose. Comme il existe très peu de chaires sur l’Histoire du monde cybernétique, j’aimerais désormais pouvoir contribuer au développement de cette discipline.
— C’est tout à votre honneur, dit Kendar Wo-Cysbi d’un ton déférent.
Adallia désirait questionner l’enquêteur sur son passé. Pour ne pas paraître trop maladroite, elle lui glissa avec un air faussement innocent :
— Et vous ? Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur les Cyborgs ?
— Hm... c’est la concomitance de plusieurs facteurs, déclara placidement l’enquêteur. La surveillance du monde cybernétique est toujours une affaire délicate. Les Cyborgs opèrent le plus souvent dans la discrétion, et les milieux qu’ils côtoient ne sont pas très loquaces la plupart du temps.
— Alors comment faites-vous pour connaître leurs agissements ?
— Eh bien de la même façon que vous effectuez vos recherches : nous regroupons des données et tentons de croiser les informations. Par exemple, nous avons commencé à nous intéresser à S-arn après que cet Assegaï ait été signalé dans différents systèmes de la Confédération, alors qu’il n’y était pas autorisé. Il est malheureusement plus facile de s’introduire chez nous que chez les Cyborgs, mais parfois cela nous procure aussi certains indices sur ce qu’il se passe.
Adallia remarqua que Kendar Wo-Cysbi prenait soin à ne pas rentrer dans les détails de ses explications et rester en surface. La jeune femme aurait voulu poser beaucoup d’autres questions, mais elle se dit que l’enquêteur ne lui répondrait probablement pas ou qu’il essaierait de contourner le sujet, en plus de s’en trouver peut-être irrité.
De toute façon, ils étaient bientôt arrivés, et le monorail n’allait pas tarder à entrer en gare. À cette heure-ci, il n’y avait pas beaucoup de monde, ni dans les transports, ni à l’extérieur, car la majorité des étudiants était en cours. Kendar Wo-Cysbi avait obtenu un pass qui lui permettait de circuler librement et ne semblait pas si perdu que cela pour quelqu’un étranger à l’Académie.
— Vous avez l’air plutôt à l’aise ici, constata Adallia pendant qu’ils quittaient leur wagon et marchaient sur le quai de la station.
— Oui, en fait j’ai toujours souhaité venir dans les systèmes sythecs. Les premiers jours de mon arrivée, j’en ai profité pour visiter un peu la région, répondit Kendar Wo-Cysbi avec un sourire.
— Vous ne prenez pas ces fameuses pastilles que les Sythecs donnent aux étrangers pour la chaleur et la pesanteur ? interrogea Adlalia qui, elle-même, n’en prenait plus depuis quelques temps.
— Non, pas besoin, répondit l’enquêteur d’un air amusé. Pour tout vous dire, nous, les agents du Gouvernement, avons une formation spéciale pour s’adapter à différents environnements.
Adallia s’imagina le processus auquel les membres des différentes agences gouvernementales devaient être soumis. La jeune femme n’était pas une grande sportive, et elle se dit qu’elle n’aurait jamais pu être recrutée par la Confédération pour un tel travail. Elle aimait trop la bonne chair et les plaisirs de la vie en général pour pouvoir s’amuser à jouer au petit soldat à travers la Galaxie. Ses recherches l’épuisaient suffisamment comme cela, aussi bien physiquement que mentalement.
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Après plusieurs minutes de marche où chacun resta plongé dans ses pensées, les deux protagonistes débouchèrent sur une grande bâtisse circulaire ponctuée d’observatoires. C’était le Planétarium de l’Académie, un immense espace dédié à l’étude du Cosmos et point d’entrée de la Faculté d’Astronomie. Il constituait un repère pour tous les spécialistes de cette discipline complexe et enrichissante. Adallia n’avait pas trop l’occasion de s’y rendre bien qu’elle appréciât les salles holographiques dans lesquelles il était possible d’observer l’univers à grande échelle.
À l’intérieur, un hall d’accueil servait de « salon littéraire » où plusieurs groupes d’intellectuels s’entretenaient sur divers sujets qui préoccupaient le monde de la cosmologie. Adallia soupçonnait les membres de la Faculté d’Astronomie de passer plus de temps ici que dans leurs propres laboratoires. Les chercheurs et professeurs de cette faculté avait pour tradition de porter des badges sur leurs vêtements qui précisaient leurs spécialités. Tous les portaient fièrement et Adallia se demanda pourquoi il n’en allait pas de même dans les autres facultés.
La jeune femme aurait bien voulu s’attarder pour tailler la bavette, mais faute de temps, il n’était pas question de niaiser. Et Kendar Wo-Cysbi, qui suivait les indications de son connecteur, avait déjà grimpé les marches du hall pour se diriger vers un couloir où se trouvaient plusieurs des salles holographiques. Ici, à l’étage, l’environnement était encore plus cocooning. Le sol était tapi d’une moquette blanche couverte de motifs abstraits rouges comme on en voyait généralement dans les centres de conférence.
À l’entrée de l’une des salles, un groupe de savants se disputait sur la nécessité ou non de partir coloniser d’autres galaxies. Cette problématique était liée à celle de la logistique et de la compétition que se livraient les différentes espèces pour atteindre d’autres secteurs de l’Univers. Là encore, Adallia aurait bien voulu s’arrêter une petite minute pour écouter, mais Kendar-Wo-Cysbi pressa le pas et ouvrit une porte à battants qui donnait accès à une salle.
Dedans, régnaient la pénombre et une atmosphère pieuse. Quelques murmures et chuchotement discrets s’élevaient des fauteuils qui faisaient le tour de la salle. Au centre, un projecteur affichait grandeur nature une carte de la Galaxie. De l’autre côté du projecteur, Yu Kiao était tranquillement assis sur l’un des fauteuils en compagnie d’un Sythec avec qui il s’entretenait et qui, au vu de ses badges similaires à ceux des gens croisés jusqu’ici, devait probablement être un astronome. L’individu ressemblait presque au directeur d’Adallia, avec une barbe et des cheveux blancs hirsutes.
Lorsque Adallia et Kendar Wo-Cysbi arrivèrent, le Sythec serra la main de Yu Kiao avant de se lever et de partir pour leur laisser la place.
— Ah, bienvenue à vous deux ! lança Yu Kiao pour accueillir les nouveaux arrivants.
— Bien le bonjour à vous, Professeur, dit Kendar Wo-Cysbi en s’approchant avec son sourire habituel.
— Bonjour, Professeur, ajouta spontanément Adallia.
— Bonjour, bonjour, fit Yu Kiao qui, généralement, n’aimait pas trop que les banalités de politesse s’éternisent. Même s’il est toujours plaisant de passer du temps avec mes vieux collègues de la Faculté d’Astronomie, j’aimerais bien savoir pourquoi nous nous retrouvons ici, au Planétarium ?
Adallia se dit que son directeur lisait dans ses pensées, car elle aussi désirait connaître la réponse à cette question.
Pour commencer, Kendar Wo-Cysbi dévoila à Yu Kiao ce qu’il avait découvert sur l’auteur de l’article de Réminiscence. Il lui raconta ensuite comme l’un de ses agents avait retrouvé sur Koutcha la piste des Humains qui participaient au projet de « vie cybernétique » et comment ces derniers aidaient les Assegaï à trouver des artefacts provenant de zones en cours d’exploration.
Comme Yu Kiao semblait un peu confus, l’enquêteur se dirigea vers le projecteur central de la salle. Il afficha à l’écran une carte des systèmes cybernétiques dans la Galaxie. Ceux-ci se distinguaient par des infrastructures gigantesques que les Cyborgs avaient construites dans l’espace autour d’astres particulièrement lumineux ainsi que les planètes qu’ils avaient colonisées et dont l’apparence extérieure n’avait plus rien de naturelle.
Au sein de ces amas stellaires, Adallia aperçut Koutcha gravitant autour de deux étoiles, elles-mêmes en orbite autour l’une de l’autre. La jeune femme avait déjà vu des cartes de ce système dans les documents du Centre des Sciences cybernétiques qu’elle avait consultés. Mais ici, au Planétarium, les détails et l’espace représentés permettaient de se faire une meilleure idée de l’environnement qui entourait la planète.
— J’aimerais attirer votre attention sur la géolocalisation de Koutcha, dit Kendar Wo-Cysbi.
Adallia et Yu Kiao se rapprochèrent pour mieux voir.
— Comme vous pouvez le constater ici, cette planète est assez excentrée par rapport au reste des systèmes cybernétiques, poursuivit l’enquêteur en faisant pivoter la carte pour que le système dans lequel orbitait Koutcha apparût bien devant eux. Si vous observez bien, son emplacement est dérangeant, il forme une excroissance dans le réseau galactique cybernétique.
Adallia comprit ce que l’homme cherchait à leur montrer : Koutcha constituait le dernier maillon d’une chaîne de systèmes qui avaient été colonisés par les Cyborgs. Cette chaîne s’enfonçait dans une zone galactique en cours d’exploration par différentes espèces et donnait l’impression de s’étirer dans l’espace, en s’éloignant des centres névralgiques des Cyborgs. Au moment de faire ses recherches, Adallia s’était déjà fait la réflexion sur la géolocalisation étrange de la planète, mais ne s’était pas attardée outre mesure dessus. Maintenant que Kendar Wo-Cysbi soulevait le problème, il lui paraissait incongrue que les Cyborgs eussent véritablement procédé ainsi.
— Et qu’en déduisez-vous ? interrogea Yu Kiao, de sa voix rauque.
— Les Assegaï cherchent à se développer dans cette zone-ci de la Galaxie. Je pense qu’ils ont mis en place un marché d’art sur Koutcha précisément pour récupérer des objets provenant des secteurs à proximité, notamment ceux qui sont en cours d’exploration par la Confédération.
Yu Kiao interrogea du regard Adallia. La jeune femme lui répondit en arguant que tout aussi insolite que cela pouvait paraître, il y avait une certaine logique dans ces faits inattendus.
— Et il y a autre chose, renchérit l’enquêteur. Sur Koutcha, les Humains qui collaborent avec l’École des Théoriciens recherchent un type d’image en particulier : le symbole chimérique, le même que celui représenté sur la peinture que vous avez découverte.
Kendar Wo-Cysbi marqua une courte pause avant de reprendre d’une voix très calme :
— Je crois que le symbole chimérique est la clé pour comprendre la « vie cybernétique ».
— Dans l’article de Réminiscence, se rappela Adallia, l’antiquaire sous-entendait que la compréhension des images dépendait du lien entre la représentation des Cyborgs et ce symbole.
— Il pourrait s’agir d’une figure sacrée, héritée d’une tradition culturelle plus ancienne, présuma Yu Kiao.
Adallia comprit que la récurrence de cet élément dans la peinture renforçait la sacralisation des êtres cybernétiques et s’inscrivait dans un système de croyances historique. Il donnait du sens au fait que, sur la peinture, les êtres biologiques qui entouraient les machines, n’étaient pas seulement tournés vers ces dernières, mais aussi vers le symbole chimérique.
— Une sorte d’allégorie religieuse de la conscience ? supputa la jeune femme.
Adallia regarda son directeur pour savoir ce qu’il en pensait. Ce dernier, concentré, dit avec beaucoup de retenue :
— Malheureusement, nous manquons d’information. Si l’antiquaire de Koutcha dont vous nous avez parlé a pu accéder à la peinture, alors peut-être est-il en contact avec les individus qui travaillent sur la « vie cybernétique ». Et si tel est le cas, alors il pourrait éventuellement nous renseigner sur ce que ces trafiquants savent à propos des images et pourquoi ils acceptent de collaborer avec l’École des Théoriciens.
— Comment savez-vous qu’il s’agit de trafiquants ? s’enquit l’enquêteur en fronçant les sourcils.
— Les zones en cours d’exploration regorgent de trafics en tout genre, formula Yu Kiao. J’imagine que c’est à ce genre de personnes que l’on doit s’adresser quand on cherche quelque chose dans le coin.
— C’est vrai, il s’agit bien de trafiquants... admit Kendar Wo-Cysbi Et vous avez raison sur un autre point, il faudrait pouvoir interroger l’antiquaire, ne serait-ce que pour connaître son degré d’implication dans tout cela.
— Vous voulez vous rendre sur Koutcha donc ? demanda Adallia.
Kendar Wo-Cysbi acquiesça de la tête en guise de réponse.
Adallia se sentait perdue. Elle avait peur, au fond d’elle-même, que cette affaire ne prît une tournure qui pourrait obstruer le véritable intérêt scientifique que l’on pouvait accorder à la peinture de Koutcha. La jeune femme se demanda à nouveau si elle pouvait faire confiance à l’enquêteur qui, jusqu’à présent, avait partagé ses informations.
Yu Kiao paraissait se faire les mêmes réflexions et observait Kendar Wo-Cysbi de ses grandes lunettes bioniques :
— Pourquoi nous avoir communiqué tout ceci ? finit-il par dire. Vous pourriez très bien vous contenter d’utiliser nos recherches et partir là-bas sans rien avoir à nous dire.
L’enquêteur avait adopté un air très sérieux. Adallia voyait bien q’il cogitait dans sa tête et était indécis. Elle n’arrivait cependant pas à savoir de quoi il s’agissait.
L’homme rompit finalement le silence qui s’était installé entre les trois protagonistes :
— Pour être honnête, je suis dans une situation assez embarrassante, confia-t-il. D’un côté, les renseignements que je vous ai partagés sont confidentiels. D’un autre côté, Adallia m’a fourni des renseignements utiles et ses analyses en tant que chercheuse, bien qu’un peu inhabituelles, sont appréciables.
— Merci, mais… où voulez-vous en venir ? demanda la jeune femme, décontenancée.
— Là où je veux en venir, répondit calmement Kendar Wo-Cysbi, c’est que votre aide pourrait être encore la bienvenue. J’aurais notamment besoin de quelqu’un qui m’épaule pour rendre visite à cet antiquaire. Vous feriez d’une pierre deux coups en collectant des éléments qui vous permettraient de poursuivre vos recherches.
— Vous... vous me proposez de vous accompagner sur Koutcha ?
— C’est cela même.
Adalla resta un moment l’air hagard, ne sachant pas quoi dire. Elle avait effectivement l’intention d’aller plus loin dans son étude d’une culture cybernétique, mais elle ne s’était pas doutée le moindre instant que cela la conduirait sur un chemin aussi tortueux. Elle se demanda ce qui se passerait si elle refusait… Probablement que la Confédération, par le biais de cet enquêteur, bloquerait l’avancée de ses recherches, et il ne serait pas certain que l’Académie, même avec le soutien de Yu Kiao, pourrait s’y opposer. En travaillant dans la clandestinité et sans pouvoir réellement se déplacer, la tâche serait encore plus ardue. Ses projets de carrière et de vie seraient affectés à leur tour.
Figée par la peur de donner une réponse trop rapidement, la jeune femme se tourna encore une fois vers son directeur qui devait également se poser les mêmes questions. Avec une voix grave, celui-ci exprima à l’adresse de l’enquêteur :
— Les recherches d’Adallia consistent à déterminer si la peinture de Koutcha serait le reflet d’une culture cybernétique, pas à connaître l’arrière-plan politique que tout ceci pourrait supposer.
Adallia fit un signe de tête pour signifier qu’elle abondait en ce sens.
— Je crois que nos analyses sont complémentaires, dit l’enquêteur d’un ton neutre. C’est pour cela que je lui fais cette proposition.
— Certes, mais il ne s’agit pas d’une mince affaire, lâcha Yu Kiao avec autorité. Cela doit demander un certain temps de réflexion.
— J’en conviens parfaitement. Je dois moi-même vérifier certaines choses avant de pouvoir aller plus en avant. Je vous propose donc d’attendre la fin de la période académique qui devrait arriver sous peu. Et si vous êtes d’accord, vous me donnerez une réponse à ce moment-là.
Kendar Wo-Cysbi sonda d’un regard perçant l’esprit d’Adallia. Celle-ci, qui avait paru déboussolée dans un premier temps, s’était ressaisie en se concentrant sur l’objet de ses recherches et renvoya à l’enquêteur le même regard.
— C’est entendu, dit-elle avec force. Je vais prendre le temps d’y réfléchir et je vous donnerai ma réponse en temps voulu.
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