Chapitre 19 : La faille du virtuel

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 Les lustres cristallins décoraient le plafond de la salle et tombaient juste au-dessus de leurs têtes. Adallia et Kaïlye foulaient les tapis qui jonchaient le sol, l’air perdu. La première portait un veston sobre et doux au toucher tandis que la seconde avait troqué son style de mécano de laboratoire pour une robe souple et aérienne aux motifs minimalistes, qui allait parfaitement avec son teint lapis-lazuli et ses cheveux bruns.

 Adallia n’avait vraiment pas l’habitude de la voir ainsi vêtue et crût au début être accompagnée par quelqu’un d’autre. Lorsque Kaïlye s’était plainte pendant tout le trajet parce qu’elle se sentait flotter dans sa robe et qu’elle n’en avait pas l’habitude, Adallia sut que c’était bien son amie.

C’est vraiment pour te faire plaisir, grommela Kaïlye, toujours ronchonne.

Tu plaisantes, on ne pouvait quand même pas venir ici sans s’habiller de façon un peu plus conventionnelle ! Et puis, je te rappelle que c’est moi qui fait ça pour toi et BIDI-O.

Hmm...

 Les deux amies s’étaient rendues dans le bâtiment principal de la Faculté de Technologie, celui avec une rotonde au sommet duquel trônait un restaurant panoramique. Kendar Wo-Cysbi avait proposé d’y inviter Adallia et Yu Kiao pour féliciter la jeune femme d’avoir réussi à passer le comité d’évaluation.

 Comme son directeur n’avait pas pu se libérer ce jour-là, Adallia en avait profité pour demander à l’enquêteur si elle pouvait faire venir BIDI-O et une amie qui souhaitait le rencontrer. L’homme n’y avait vu aucune objection et semblait même ravi de revoir l’Androïde. Et puisque BIDI-O n’avait pas besoin de manger, Kaïlye avait fixé comme condition qu’elle rencontrât d’abord Kendar Wo-Cysbi avant que le petit robot ne les rejoignît plus tard, à la fin du repas.

J’ai l’air d’une godiche, bougonna à nouveau Kaïlye.

Arrête de gémir, tu es très bien comme ça ! Et de toute façon, le restaurant exige une tenue correcte, c’est toi-même qui me l’a dit.

Au fait, est-ce que tu as parlé à ton enquêteur de la censure de Réminiscence ? lança subitement Kaïlye qui avait visiblement décidé d’être irritante ce jour-là.

Non, pas encore, répondit Adallia en se mordant la langue pour ne pas soulever le fait que son amie s’était remise à lui dire « ton enquêteur ». Je lui en parlerai le moment propice.

C’est-à-dire quand ?

C’est-à-dire pas aujourd’hui, on est d’abord là pour BIDI-O. Donc, sois gentille s’il-te-plait et aide-moi plutôt à trouver Kendar Wo-Cysbi.

Hmm...

 L’homme se tenait assis à une table, en train de contempler la vue imprenable du restaurant à travers la baie vitrée. Lui, en revanche n’avait pas échangé sa tunique habituelle pour un autre costume. Adallia se dit qu’on ne pouvait pas faire plus conformiste ; « À croire qu’il dort avec ». Elle désigna l’enquêteur de la main et fit signe à Kaïlye de la suivre.

 Lorsqu’il les aperçut, Kendar Wo-Cysbi se leva et les accueillit avec une certaine révérence.

Bonjour Adallia, et encore félicitations pour votre réussite devant le comité !

Ah, merci à vous ! Pour être honnête, je crois que votre présence à l’Académie a permis de faire pencher la balance en ma faveur.

Heureux d’entendre dire que j’ai pu vous aider, fit l’enquêteur en souriant.

 Kaïlye se racla légèrement la gorge pour se signaler. Adallia se doutait que son amie était en réalité impatiente de rencontrer l’homme pour voir s’il était le personnage trouble qu’elle s’en faisait depuis le départ.

Je crois que l’on se connaît, non ? demanda Kendar Wo-Cysbi d’un air incertain en lui tendant la main.

Oui, nous nous sommes vus de loin, le jour où vous êtes venus à la Décharge, dit Kaïlye qui serra sa main avec plus de respect que n’aurait pu l’espérer Adallia.

C’est cela, je me souviens maintenant. Je vous ai aperçu là-bas en train d’expliquer la mécanique cybernétique aux étudiants. Décidément, l’Académie d’Ordensis regorgent de chercheurs de talents.

 Même si le compliment était dû à une forme de politesse, il était appréciable de l’entendre, et Kaïlye fit un geste de la tête pour l’en remercier. Adallia le prit également pour elle et sourit, croisant les doigts pour que les choses continuassent de se passer aussi bien.

 Les trois protagonistes s’assirent à table et regardèrent la carte. Beaucoup des mets affichés étaient des spécialités locales et Adallia, autant que Kendar Wo-Cysbi, eut besoin des explications de Kaïlye pour éclaircir le contenu des plats proposés. L’enquêteur, en bon officiel, se contenta d’une entrée et d’un plat. Les deux jeunes femmes, elles, n’hésitèrent pas à prendre des plats pour plusieurs personnes et quelques cocktails colorées. D’une certaine façon, c’était la Confédération qui régalait.

✽✽✽

 Le début du repas se passa sans accroc. Pourtant, Kaïlye restait assez froide et ne prononça pas un mot lorsqu’Adallia raconta le déroulement de son passage devant le comité. Heureusement, au fur et à mesure que les cyber-robots apportaient les commandes, l’ambiance se détendit. Les deux jeunes femmes se jetèrent sur la nourriture, sous le regard à la fois médusé et amusé de l’enquêteur. Kendar Wo-Cysbi s’émerveilla de voir une telle passion pour la gastronomie et se décida à prendre un peu d’alcool pour participer à l’effort de guerre et changer de l’ordinaire.

 L’homme interrogea ensuite Kaïlye sur son parcours de chercheuse. D’abord sur la défensive, Kaïlye finit par relâcher la pression et par profiter du moment convivial en partageant ses opinions sur la recherche sythec.

 Un peu plus tard, au moment où les panses commençaient à être bien remplies, Kendar Wo-Cysbi demanda des nouvelles de BIDI-O.

- Au fait, l’Androïde ne devait-il pas nous retrouver ici ? demanda-t-il tandis que l’alcool lui avait donné quelques bouffées de chaleur et obligé à ouvrir le col de sa tunique pour mieux respirer.

Si, confirma Kaïlye. Je vais lui envoyer un message, il ne devrait pas tarder.

Adallia eut alors une idée, mais hésita. Notant les visages guillerets de Kaïlye et Kendar Wo-Cysbi procurés par les liqueurs, la jeune femme se dit qu’elle n’aurait peut-être pas une autre occasion comme celle-ci et se lança :

J’aurais besoin de vous parler de quelque chose à propos de BIDI-O, dit-elle innocemment à l’adresse de l’enquêteur.

Je vous écoute.

Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais savoir s’il pourrait nous accompagner sur Koutcha.

 La réaction estomaquée fut la même aussi bien chez Kendar Wo-Cysbi que chez Kaïlye, mais pour des raisons différentes. Dans le premier cas, l’enquêteur ne s’attendait pas à une telle requête, dans le second cas, Kaïlye s’étonnait de voir que sa comparse eût formulé les choses ainsi. Malgré son manque de tact, Adallia pensait que cela serait plus facile de faire passer la pilule à Kendar Wo-Cysb si la demande venait d’elle-même.

 Un cyber-robot arriva juste à temps pour apporter de l’eau fraîche qui permit à l’homme de reprendre un teint un peu moins rouge que la proposition d’Adallia n’avait pas arrangé.

C’est inattendu, avoua Kendar Wo-Cysbi après avoir bu une bonne rasade. Je ne vous cache pas que cela pose, et j’en suis navré, un certain nombre de problèmes. Je suis bien curieux de savoir pourquoi vous souhaiteriez qu’il vienne.

Il y a deux raisons à cela, expliqua Adallia. Premièrement, BIDI-O est mon ami et je me sentirais plus à l’aise si je n’étais pas toute seule... je veux dire si quelqu’un de familier était à mes côtés.

Je peux le concevoir. Quelle est l’autre raison ?

BIDI-O s’intéresse aussi à mes recherches sur la « vie cybernétique ». Comme je vous l’ai dit une fois, c’est lui qui m’a donné l’idée de faire le lien entre l’aspect religieux de la peinture et la singularité technologique. Il a une grande capacité d’analyse qui pourrait nous être utile.

J’entends ce que vous me dites, Adallia. Mais je regrette, cela ne suffit pas pour que j’accepte.

Pourtant, vous enquêtez bien sur l’École des Théoriciens ? tenta d’argumenter la jeune femme. BIDI-O est un Androïde qui pourrait vous aider à analyser la pensée cybernétique des Assegaï.

C’est vrai, mais notre mission sur Koutcha ne requiert pas que quelqu’un d’autre y participe sans plus de justification, répondit Kendar Wo-Cysbi en restant intransigeant sur la question.

Comme vous le savez, BIDI-O est différent, insista Adallia. Il est déjà allé assez loin dans la compréhension de la démultiplication des corps.

Je ne doute pas de ses capacités. Cependant, le problème reste inchangé : nos recherches ne nécessitent pas dans l’absolu que BIDI-O soit présent avec nous.

 Même si Kendar Wo-Cysbi ne manifestait aucune animosité, il semblait ne pas vouloir bouger de sa position. L’atmosphère chaleureuse qui s’était installée était maintenant retombée, et Adallia s’en voulait. Elle se dit qu’elle avait peut-être parlé trop tôt et regarda dans le vide, déçue de ne pas avoir obtenu satisfaction.

 Kaïlye, qui avait suivi attentivement toute la conversation, était partagée entre son sentiment de défiance vis-à-vis d’un représentant de l’autorité confédérale et celui de vouloir aider BIDI-O. Finalement, le second l’emporta et spontanément, elle intervint dans le débat :

BIDI-O comprend peut-être mieux les Cyborgs que vous ne l’imaginez, dit-elle d’une voix critique.

Que voulez-vous dire ? fit l’enquêteur, bousculé.

Il a été programmé à partir de concepts puisés dans leur pensée.

Vous parlez de philosophie ?

En quelque sorte, je sais que c’est un « gros mot » de dire cela, car la communauté scientifique ne reconnaît pas une telle conception chez les machines. Néanmoins, non seulement je pense, comme Adallia, qu’il existe une forme de culture cybernétique mais qu’en plus, la transrobotique, qui a conduit à la supratintelligence, a été permise grâce à l’élaboration d’une certaine idée de l’univers. BIDI-O a cela en lui, et c’est la raison pour laquelle vous devriez lui faire confiance.

 Adallia savait qu’il n’était pas facile pour Kaïlye d’appuyer l’Androïde en sachant pertinemment qu’elle risquait de le voir partir si elle pouvait convaincre Kendar Wo-Cysbi. L’homme avait, d’ailleurs, bien saisi la portée des paroles de Kaïlye, mais doutait toujours du rôle que pouvait jouer l’Androïde dans cette aventure.

Je suis quelqu’un d’ouvert et je rejoins votre propos, admit-il. Néanmoins, comment pouvez-vous être sûre qu’il comprenne aussi bien les Cyborgs que vous ne le prétendez ?

Je l’ai vu évoluer depuis le début et il va continuer dans cette direction. Je le sais, c’est moi qui l’ai créé.

 Cette dernière phrase ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. De toute évidence, au visage stupéfait de l’enquêteur, celui-ci n’était pas au courant que Kaïlye était à l’origine du petit robot. Il s’était probablement imaginé que l’Androïde avait été produit par la Confédération, mis au service de l’Académie et que Kaïlye était une simple collègue avec qui il travaillait en transrobotique. Personne n’ajouta quoi que ce fût, chacun piochant machinalement dans sa gamelle en faisant semblant d’avaler quelque chose.

 Il ne fallut toutefois pas longtemps pour que les convives ne retrouvassent un peu d’animation puisque BIDI-O déboula dans le réfectoire au milieu des clients, manquant d’en faire tomber un qui l’enjamba au dernier moment.

 Le petit robot ne passa pas inaperçu, il était plutôt insolite de voir un Androïde s’inviter dans un restaurant. Il aurait pu être confondu avec un cyber-robot, mais sa vivacité et ses réactions naturelles le rendaient distinguables entre tous.

 Adallia ressentit une forme de positivité émaner de lui. Son arrivée avec panache avait redonné de l’entrain à chacun, au moment même où les cyber-robots apportaient des desserts fruités enrobés d’une étrange texture gélatineuse.

Tu veux manger avec nous ? lui dit Adallia en plaisantant.

Oui, commande-moi des boulons s’il-te-plaît, renchérit BIDI-O avec humour et une voix énergétique.

Cela pourrait être moins risqué que ce que l’on vient de nous apporter, dit Kendar Wo-Cysbi en désignant l’aspect gluant des desserts.

 L’Androïde se tourna vers l’enquêteur et le salua comme l’aurait fait un enfant :

Bonjour Monsieur.

Tu peux m’appeler Kendar, tu sais, lui répondit l’homme avec sympathie.

 Même Adallia n’aurait pas osé être aussi familière. La jeune femme se dit que cela ne pouvait que rendre plus confus l’Androïde qui ne savait pas trop comment s’y prendre pour aborder son interlocuteur. Voyant aussi l’impasse se profilait, Kaïlye prit les choses en main et s’adressa à l’enquêteur :

En fait, je comprends vos réticences sur tout ce dont nous avons parlé juste avant. Peut-être que BIDI-O pourrait lui-même vous prouver ce dont il est capable. Je crois qu’il aimerait discuter de quelque chose avec vous.

 L’Androïde comprit qu’il avait le soutien de Kaïlye et que celle-ci avait tenté de convaincre « Kendar » de le laisser venir sur Koutcha avec Adallia. À l’inverse, l’enquêteur fut un peu perplexe dans un premier temps, puis crut deviner que c’était l’intention des deux jeunes femmes depuis le début de l’amener à cette situation.

 Piégé, il se résigna à demander d’un ton suspicieux :

Tu veux me parler de quoi au juste ?

De la « vie cybernétique ».

 L’homme fronça les sourcils, comprenant qu’en plus de l’Androïde, Kaïlye devait également être au courant de cette affaire.

Bon... comme apparemment je n’ai pas le choix, je t’en prie, raconte-moi ce que tu as à me dire sur le sujet, dit-il en jetant un regard inquisiteur vers Adallia et Kaïlye qui firent mine de s’attaquer à leurs desserts.

J’ai repensé à la peinture de Koutcha qu’Adallia a découverte, dit le petit robot avec flegme, et je crois avoir compris sa signification.

 BIDI-O avait évidemment attiré l’attention de son public avec une telle annonce. Adallia espérait toutefois que ce n’était pas simplement pour faire planer une sorte de mystère illusoire sur ce que l’Androïde avait à dire.

D’accord... fit Kendar Wo-Cysbi, l’air sévère. Tu peux m’en dire plus ?

Adallia a raison, le symbole chimérique est une allégorie religieuse de la conscience.

Dans ce cas, quel est le lien avec les machines ?

Le but de cette peinture est de montrer que les êtres cybernétiques des différentes assemblées possèdent la même conscience, précisa BIDI-O.

Pourtant, ce n’est techniquement pas possible... Je crois savoir que la démultiplication des corps ne fonctionne pas entre des machines déjà douées de conscience.

C’est exact, souscrit l’Androïde. C’est pour cela qu’il pourrait s’agir d’une autre forme de la démultiplication des corps. Une forme dans laquelle les Cyborgs sont capables de fusionner leur conscience.

 BIDI-O regarda à tour de rôle les trois protagonistes l’observer longuement. Kaïlye avait arrêté de toucher à son dessert, et Adallia remarqua que l’enquêteur s’était mis à se caresser la barbe, ce qui pouvait être bon signe. Mais la jeune femme aussi se posait des questions quant aux affirmations avancées par l’Androïde.

Qu’est-ce qui t’a amené exactement à cette conclusion ? demanda-t-elle.

Ce sont nos recherches en transrobotique qui m’ont orienté sur cette voie, expliqua BIDI-O.

C’est-à-dire ?

Lorsque nous faisons des expériences sur la démultiplication des corps, nous utilisons des réalités virtuelles qui augmentent les capacités de ma mémoire. Je suis donc capable de recevoir et de gérer plus d’informations. Toutefois, lorsque les informations deviennent trop nombreuses, il y a un effet de vide qui se créé dans lequel je perds le contrôle de ma conscience.

Et où veux-tu en venir exactement ? demanda Kendar Wo-Cysbi.

C’est une sorte de faille à l’origine du principe d’instabilité, c’est ce phénomène qui perturbe la conscience des Androïdes. Et je crois que c’est aussi le moment où il pourrait y avoir une interaction entre deux consciences cybernétiques, car c’est comme si ce phénomène transposait la conscience dans un autre espace.

 L’enquêteur regarda Kaïlye comme pour l’interroger sur la véracité des propos de l’Androïde.

Est-ce vraiment possible ?

Euh... c’est difficile à dire, bredouilla Kaïlye, confuse par rapport à tout ce qui venait d’être dit. Comme vous l’avez dit, la démultiplication des corps ne fonctionne pas entre des machines douées de conscience ; cela reviendrait à ce que la conscience d’une machine prenne le dessus sur celle d’une autre. Donc, en théorie, une démultiplication des corps entre êtres cybernétiques ne serait possible que si deux machines partagent une conscience commune.

Comment un tel processus interviendrait-il d’un point de vue technique ? continua de questionner Kendar Wo-Cysbi, à la fois troublé et toujours la mine stricte.

Je pense que les Cyborgs pourraient par exemple créer un espace commun de réalités virtuelles qui permettraient de gérer toutes les informations au sein d’une même conscience, développa BIDI-O.

 Adallia était un peu perdue et souhaitait éclaircir un point :

Donc, d’après toi BIDI-O, la peinture sur la « vie cybernétique » représenterait cette capacité, c’est ce que tu es en train de dire ?

Oui, Adallia, confirma l’Androïde.

Cela reste très théorique, fit remarquer Kaïlye, la voix incertaine.

C’est vrai, consentit BIDI-O. Cependant, ce serait cohérent avec les images de la peinture de Koutcha, autant sur la forme que sur le fond.

 Adallia réfléchit à ce qui venait d’être dit.

Pourquoi pas... reconnut-elle. Si nous savions plus de choses sur ce symbole chimérique, nous pourrions sûrement vérifier ton hypothèse BIDI-O.

En effet, fit le petit robot.

Et vous, qu’en pensez-vous ? demanda Kaïlye en s’adressant à Kendar Wo-Cysbi.

 L’enquêteur n’exprimait absolument rien. Il continuait de fixer l’Androïde et d’analyser ses propos. Adallia vit qu’il avait placé sa main devant la bouche, poing fermé, et réfléchissait. La jeune femme se demandait ce que cela pouvait bien signifier et tenta de croiser son regard pour le faire réagir.

 Après un bref moment de silence, l’homme finit par dire :

Je ne sais pas si BIDI-O a raison, mais je suis d’accord sur un point : en fait, je ne crois pas non plus que la « vie cybernétique » fasse référence à une forme connue de la singularité technologique.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?! s’enquit Kaïlye.

Le Bureau des affaires cybernétiques a découvert que les Cyborgs sont à la recherche de la prochaine phase d’évolution de la singularité technologique.

Et comment le savez-vous ? interrogea Adallia, stupéfaite.

C’est que ce qu’ont révélé plusieurs enquêtes que nous avons menées sur des Assegaï.

Et vous pensez que cela peut avoir un lien avec la « vie cybernétique » ?

Oui, car celui qui a introduit le concept de « vie cybernétique » chez les Humains est l’un de ces Assegaï : S-arn.

 Adallia en voulait un peu à Kendar Wo-Cysbi de pas lui avoir révéla ça avant et prit une expression irritée.

À ce moment-là, nous n’avions pas encore connaissance de la peinture de Koutcha, se justifia l’enquêteur, nous ne savions donc pas à quoi ce concept faisait vraiment référence. Mais si l’on en croit BIDI-O, la prochaine phase d’évolution cybernétique pourrait être associée à un état de la singularité technologique représenté sur cette peinture.

Ceci voudrait dire que la « vie cybernétique » serait la prochaine phase d’évolution après la supratintelligence ? demanda Adallia.

C’est plausible. Et c’est la raison pour laquelle les Assegaï recherchent des images similaires à la peinture de Koutcha.

Si tel est le cas, j’imagine que les Humains qui collaborent avec l’École des Théoriciens doivent probablement être au courant...

Il n’y a que sur Koutcha que nous pourrons le savoir, se contenta de dire l’enquêteur.

 Par crainte de desservir BIDI-O, Kaïlye n’osait rien ajouter. Son visage montrait qu’elle ne saisissait pas tous les tenants et aboutissants de la conversation. En désespoir de cause et en toute simplicité, elle prit la parole :

Encore faut-il que cette « autre version » de la démultiplication des corps soit vraiment possible. Là, seule une machine capable d’expérimenter la transrobotique pourrait vous le dire, déclara-t-elle sans même essayer de cacher une quelconque subtilité.

J’ai parfaitement compris votre message, fit Kendar Wo-Cysbi d’une voix stoïque.

Donc... cela veut dire que je pourrais vous accompagner sur Koutcha ? demanda le petit robot qui avait aussi compris qu’on parlait de lui.

 L’enquêteur ne répondit rien.

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