Chapitre 1 2/2
La petite forme errait, sans savoir où elle était ni où elle allait, poussée par la faim. Sa main s'appuyait sur la paroi, fil d'ariane à travers l'inconnu, à mesure qu'elle avançait.
Son désespoir croissait un peu plus à chaque pas. Lorsqu'il devenait insoutenable, elle pressait son visage contre le mur. Le froid la détournait alors quelques moments de la faim. Puis elle recommençait à marcher.
Régulièrement, elle se cognait contre la paroi du couloir qui avait brutalement changé de direction. Après la première fois, elle avait pensé à mettre la main devant elle pour éviter que cela ne se réitère. Mais, comme elle n'avançait pas vite, cela ne faisait pas mal. Et puis, elle était trop fatiguée pour rester le bras tendu. Et puis, cela la distrayait de son accablement, pendant quelques instants.
***
Au loin, un bruit de pas, lent et irrégulier, troublat la silencieuse compagnie des morts. Thrill s'empara de la bougie afin d'en éclairer la source. Le mouvement précipité fit flancher la flamme à l'intérieur de son socle, et elle chavira presque tandis que dansaient les vagues lumineuses et chaotiques sur les parois humides.
L'archiveur ne distinguait rien. Les pas étaient portés par l'écho et provenaient des entrailles de la nécropole, par delà le voile des ombres. Pendant un court instant, il envisagea de s'enfuir pour alerter les gardes qu'une créature rodait ici. Mais il se ressaisit, car seuls les fous et les couards criaient aux fantômes sans en avoir jamais vu.
Sans détourner le regard, il ralluma sa torche et avança.
Prudemment, le nain se rapprocha de la source des étranges bruits. Pas après pas, il passait en revue chaque possibilité qui justifierait la présence de quelqu'un. Pour ne pas céder à la peur, il avait tenté de se convaincre et de ne penser qu'aux plus rationnelles d'entre elles.
Mais même celles-ci n'étaient pas rassurantes. Seuls les archiveurs étaient autorisés à entrer dans la nécropole. Les gémnésites figuraient parmi les plus précieuses possessions des nains, et un intrus en ce lieu n'aurait qu'une seule motivation : les dérober.
Il n'avait pas d'arme. Et il ne s'était jamais vraiment battu.
Juste avant d'emprunter le dernier virage qui le séparait des réponses redoutées, il s'était arrêté, avait pris une grande inspiration, et tenté de ralentir les battements incontrôlés de son coeur.
Puis il s'était lancé... et avait eu l'impression d'avoir sauté à pieds joints dans l'inconnu. Il était tombé sur un gamin.
Il n'avait jamais eu d'enfants, n'en avait pas même côtoyé ponctuellement. Il ignorait comment réagir, il se sentait gauche... et un peu bête. Il ne savait pas quoi faire. Lui qui ne supportait que difficilement les pleurs des marmots, qui trouvait leurs jeux puérils stupides et leur curiosité juvénile agaçante, lui... éprouvait, à son grand désarroi, une incroyable compassion pour ce petit être triste et tremblotant. Et pour ces yeux paniqués, qui criaient, suppliaient dans l'espoir d'une quelconque aide.
Pendant un court instant, qui lui sembla durer de longues minutes, Thrill hésita. Ses pensées fusaient les unes après les autres. Devait-il s'approcher du gamin ? Et s'il prenait peur et s'enfuyait ? L'interpeller, alors, de sa voix intimidante et rocailleuse ? Les grands yeux tristes du petit homme continuaient de le fixer, mais commençaient visiblement à s'inquiéter de l'hésitation du nain.
Toujours sous l'emprise de la surprise, Thrill rompit le silence, avec la première phrase qui lui vint à l'esprit.
- Où est ta mère, p'tit bonhomme ?
"Ma parole, réfléchis un peu ! Tu passes pour un idiot !" se réprimanda Thrill immédiatement en grimaçant. "S'il savait où elle était, il serait certainement avec elle au lieu de grelotter ici, bougre de sot !"
Pourtant, et au contraire de ses attentes, l'enfant prit un air perplexe et curieux.
- Ma mère ? demanda l'enfant d'une voix hésitante. Qu'est-ce que c'est ?
***
- Et tu sais ce que j'ai trouvé ? demanda Thrill en grattant sa barbe.
Le garde s'impatientait de découvrir la fin du récit, tout en le redoutant. Il hocha la tête en soulevant les sourcils.
- Ah ! Cette histoire m'a donné soif. Va nous servir quelque chose à boire, tu veux ? continua-t-il.
Le veilleur s'exécuta et s'engouffra dans son baraquement. Aussitôt, Thrill fit un signe de la main en direction des portes toujours ouvertes de la nécropole. Une petite silhouette en émergea et se dirigea vers la cité, enveloppée d'un épais manteau de cuir.
Thrill avait redouté que le garde ne s'aperçoive qu'il ne l'avait plus.
Lorsque ce dernier revint, il n'y avait plus âme qui vive. Il cracha à terre, puis s'en retourna à son poste, deux chopines de bière aux champignons à la main.
- Gougnafier d'rustaud !
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