Chapitre 21

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Je n'arrive pas à croire ce que je vois, ou plutôt ce que je sens. Un véritable Thérianthrope se tient devant nous. C'est pourtant impossible !

- Killian tu es sûr de ça ? Tu m'as pourtant bien dit qu'ils étaient tous partis se réfugier dans un endroit secret et qu'ils y étaient restés cachés ! me rappelle Gabriel en me regardant.

- Oui je suis sûr qu'il est comme moi. Et cela me paraît aussi insensé qu'à toi.

Un silence s'installe dans la pièce et le jeune homme dans le lit a le regard braqué sur moi, comme s'il m'analysait. Je respire un grand coup et m'approche doucement. Je suis de la même espèce, il est plus logique que ce soit moi qui lui parle.

Je le vois se tendre comme une corde d'arc lorsque je suis trop près et je me fige un peu. Je lui adresse un sourire rassurant :

- N'ai pas peur, personne ne te fera de mal ici, comment tu t'appelles ? Comment es-tu arrivé ici ? Que t'est-il arrivé ?

Je tends doucement ma main vers lui. Il la renifle, apparemment son côté animal est plus présent que son côté humain. Puis ses yeux s'écarquillent et il se recule en me regardant comme si j'étais un fantôme :

- Tu es Killian Blackhawke ? demande-t-il avec les yeux ronds comme des soucoupes.

- Oui, pourquoi ?

Ses yeux s'agrandissent de plus belle et je n'arrive pas à comprendre pourquoi il réagit de la sorte. Et soudain sans que je comprenne pourquoi, il s'incline devant moi :

- Je suis tellement heureux de vous rencontrer, votre père est l'un des rois les plus appréciés de notre peuple.

Ce qu'il me dit me fige sur place. Mon père... Serait en vie ? Je suis tellement choqué que je me laisse tomber sur le lit. Je m'étais convaincu que mon père était mort, qu'il ne reviendrait plus jamais après nous avoir abandonnés. Savoir que finalement il est bel et bien vivant me perturbe.

Gabriel s'approche et passe ses bras autour de moi, je sens son souffle dans mon cou et il dépose un petit baiser sur ma peau sensible :

- Ça va chaton ? m'interroge-t-il avec inquiétude.

- Je sais pas. Pour moi mon père a toujours été comme mort et maintenant le sachant vivant, je ne sais pas trop quoi comment réagir.

- Je vois, je comprends mon amour, il te faut un peu de temps. Tu veux retourner dans la chambre ou bien rester ici et parler avec le Thérianthrope ? Peut-être que vous avez des choses à vous dire ? Il pourra aussi te dire où se trouve ton père.

Je serre les poings et je me lève furieusement :

- Je n'ai pas envie de savoir où est mon père ! Il nous a abandonnés pour partir se cacher comme un lâche ! Pour moi mon père est mort ! crié-je en sortant avant de claquer la porte.

Pourquoi est-ce que j'ai autant envie de pleurer quand je pense à lui ? Pourquoi ai-je autant envie qu'il me prenne dans ses bras ? Ce Thérianthrope a réveillé des souvenirs que j'ai enfouis au plus profond de mon être parce que je ne veux pas souffrir.

Je retourne dans notre chambre et me laisse tomber à plat ventre sur le lit. Je ferme les yeux et sans que je ne m'y attende, l'image de mon père s'impose à mon esprit. Je me rappelle sa peau bronzée, ses larges épaules et son odeur douce et rassurante. Je revois ses cheveux courts et ébouriffés, noirs comme la nuit et ses yeux de la même couleur, de son regard tendre et de sa chaleur apaisante. Je n'ai presque aucun souvenir de ma vie avec mon père, mais le peu qu'il me reste est agréable et heureux. Comme la première fois où il m'avait appris à me transformer en léopard.

Nous étions allés dans la forêt derrière la maison, dans une petite prairie où poussaient des fleurs multicolores. Un ruisseau la traversait. Mon père était rayonnant et moi j'étais fier de pouvoir enfin prendre mon apparence animale. Chez les Thérianthropes les enfants peuvent se transformer vers l'âge de quatre à cinq ans alors que chez les Lycanthropes ils ne peuvent le faire que vers dix ans.

Je me souviens avoir eu beaucoup de mal au début, c'était dur et surtout, il y avait la douleur des os qui se tordent et de la chair qui change de forme. J'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois avant d'y arriver complètement. Encore maintenant, c'est toujours un peu douloureux pour moi de prendre ma forme animale.

Quand j'ai réussi à devenir léopard pour la première fois j'ai été tellement heureux que je me suis emmêlé les pattes et suis tombé le museau le premier dans l'eau. Mon père a éclaté de rire et s'est transformé à son tour avant de venir me rejoindre et m'apprendre à contrôler mon corps animal. Ensuite il m'a montré comment pister une proie et la chasser. Il n'est pas allé jusqu'à la tuer, mais il m'a quand même expliqué y procéder.

Ses souvenirs font remonter une profonde douleur en moi, ainsi qu'une colère et une rage incontrôlables. J'aime mon père et j'ai souffert d'avoir grandi sans lui. Mais je lui en veux terriblement de nous avoir laissés ma mère et moi.

Je ne me rends compte que j'ai commencé à sangloter que lorsque je vois mes larmes tomber sur le drap. Pourquoi je pleure ? Je ne devrais pas ! Il ne mérite pas que je verse la moindre larme pour lui ! Mais je n'arrive pas à m'arrêter.

J'entends la porte de la chambre qui s'ouvre et quelques instants plus tard, deux bras m'enlacent et me collent contre un corps chaud et rassurant :

- Chaton, ne pleure pas, je n'aime pas te voir dans cet état, me susurre mon amoureux avec douceur.

Il m'embrasse et je me laisse faire, j'ai besoin de sa présence, de son réconfort :

- C'est à cause de ton père ?

- Oui, il me manque mais en même temps je le déteste de tout mon être. S'il ne nous avait pas laissés derrière lui, ma mère serait encore en vivante, j'aurais eu une vie normale et peut-être que j'aurais eu une vraie famille. J'ai toujours pensé qu'il était mort, qu'il ne reviendrait jamais et maintenant que j'ai la possibilité de le retrouver, je suis déchiré entre l'envie de le revoir et celle de continuer d'ignorer son existence.

- Je comprends mon cœur. Peut-être que tu as besoin de te confronter à lui pour pouvoir passer à autre chose. Je ne connais pas ton père, mais si ça se trouve il meurt d'envie de te revoir lui aussi. Peut-être qu'il s'en veut de vous avoir abandonnés mais qu'il ne sait pas comment reprendre contact car il a peur de ta réaction ? Je pense que tu devrais aller le voir et régler tout ça une bonne fois pour toutes. Quand tu l'auras affronté, alors tu pourras tourner la page.

Je ne réponds pas et le laisse me caresser la tête et le dos. Il a sans doute raison en disant tout cela. Mais je n'arrive pas à me convaincre que je devrais le faire. Et si mon père ne voulait plus de moi ? Et s'il ne voulait rien entendre à mon sujet ? Je ne crois pas que je pourrais le supporter.

Je ferme les yeux et me laisse totalement aller dans les bras de mon amoureux. Je m'y sens tellement bien que je pourrais y rester toute ma vie, seulement ce n'est pas possible :

- Écoute chaton, je ne te forcerais pas à aller trouver ton père si tu ne te sens pas prêt, mais tu devrais aller au moins discuter avec le Thérianthrope qui se trouve dans la chambre d'ami. Ce sera un bon moyen de connaître ton père à travers ce qu'il t'en dira. Sa vision sera bien sûr déformée par les sentiments qu'il lui porte, mais au moins cela te permettra de te faire une idée sur lui.

Il n'a pas tort. Je peux sans doute commencer par discuter avec ce gars. Puis si ce que me dit le jeune homme ne me donne pas envie de revoir mon père, alors rien ne m'oblige à le retrouver.

Je me sens tout à coup plus léger, comme si un poids très lourd dont je n'avais pas conscience jusqu'ici venait de disparaître de mes épaules.

Je ferme les yeux, j'ai besoin de dormir, apprendre que mon père est encore en vie m'a fait un gros choc et je crois qu'une sieste me ferait le plus grand bien.

***

À mon réveil, je suis seul dans la chambre. Je regarde par la fenêtre, la nuit est tombée. Gabriel est sans doute en réunion, il en organise toujours tard le soir.

Je me lève pour me rendre dans le petit salon de la suite. Un plateau garni est posé sur la table basse en verre. Gabriel m'a fait apporter à manger, il a sans doute donné des ordres afin que personne ne vienne troubler mon repos. Cette pensée me fait sourire et je sens une chaleur familière se propager dans mon corps.

Je m'approche et m'assois sur le canapé, il y a un mot posé sur le bord du plateau « Ne m'attends pas pour aller te coucher, je suis en rendez-vous à l'extérieur ». Je fronce les sourcils, je sais qu'il n'a pas le choix mais je n'aime pas qu'il aille à des rendez-vous hors du QG. J'ai tout le temps peur que quelqu'un essaie de s'en prendre à lui et de ne pas pouvoir être là pour le protéger. Mais il est aussi chef et il a des responsabilités auprès de ses alliés d'autres gangs.

Je soupire et repose le papier avant de manger. Je meurs de faim et comme d'habitude j'engloutis l'énorme quantité de nourriture qu'il y a devant moi.

Prochaine étape : aller à la rencontre de mon semblable, discuter avec lui et en apprendre plus sur mon père.

Il n'a pas bougé, il est toujours dans le lit. Mais il ne porte plus les mêmes vêtements et il dégage une forte odeur de savon, il doit sans doute sortir de la douche.

Son regard s'illumine quand il me voit et un sourire sincère se dessine sur son visage. Je reste quelques instants sans rien dire, mal à l'aise et finalement je me décide enfin à prendre la parole :

- Comment tu t'appelles et comment tu es arrivé ici ? demandé-je pour lancer la conversation.

- Learco, je suis arrivé ici par hasard, j'ai pris le portail par accident et des hommes m'ont capturé et ensuite amené ici. Je suis tellement heureux de rencontrer le fils de notre roi.

- Comment se fait-il que mon père soit roi ? Et de quel portail parles-tu ?

- Et bien quand nous nous sommes cachés dans la toute première cité Thérianthrope connue uniquement par les gens de notre espèce, c'est lui que les dieux ont désigné pour être notre guide. Et je parle du portail qui est le moyen de relier les eux mondes : le nôtre et celui-ci.

J'écoute attentivement ce qu'il me raconte mais savoir que mon père est devenu le roi de tout un peuple me fait bizarre et par ricochet... je suis un prince ! C'est un autre choc que je me prends en pleine face en trop peu de temps. Si ça continue je vais être bon pour consulter un psy :

- Comment est mon père ? le questionné-je avec une curiosité qui me surprend.

- Le roi Damen est très gentil, il prend toujours l'avis des autres en considération. Il met tout en œuvre pour qu'on soit heureux et qu'on ne manque de rien. Il prend soin de nous même si cela peut parfois nuire à sa santé. Je ne voudrais pas d'un autre roi.

Mon père a l'air d'être gentil. Mais peut-être ne l'est-il qu'avec ses « sujets » Qu'en est-il de son attitude face à sa famille ?

- Est-ce qu'il a de la famille ?

- Non, ses parents sont morts quand il était plus jeune, tués par des vampires. Quant à toi, et bien tu n'es pas venu avec nous, comment ça se fait ?

Je me crispe à sa question. Comment lui dire que mon père ne m'a pas parlé de sa prévision de fuir ? Je ne peux pas, il semble tellement en adoration devant lui que je refuse de briser ses illusions, alors je me contente simplement de hausser les épaules :

- C'est compliqué. Comment s'appelle l'endroit où vous vivez toi et les autres ? lancé-je pour détourner son attention.

- Arda Kelvar, ça veut dire « Royaume des Animaux » dans notre langue. Il est dans une réalité parallèle à celle-ci, voilà pourquoi personne ne peut le trouver. C'est Freyr et Anima qui l'ont créé pour nous, afin que nous puissions vivre en paix et que les Lycanthropes ne puissent plus s'en prendre à nous. Si vous voulez, quand je partirais, je pourrais vous y emmener.

- Merci de tes explications. Il est tard, tu devrais te reposer.

Je ne lui laisse pas le temps de rajouter quoi que ce soit d'autre car je m'enfuis, plus que je ne sors de la chambre pour retourner dans la mienne. Je me laisse ensuite tomber sur le lit, à plat dos et je me mets à réfléchir sur ce que je viens d'apprendre.

Fatigué, éprouvé, je plonge rapidement dans le sommeil qui n'est troublé que par l'arrivée d'une boule de chaleur dans le lit :

- Mmmmmm, Gab ? marmonné-je.

- Pardon chaton, je ne voulais pas te réveiller.

J'ouvre les yeux et me retrouve nez à nez avec ses beaux yeux bleus et je me mets à sourire comme un idiot bienheureux :

- J'ai appris que tu étais allé voir notre invité, vous avez pu parler de ton père ?

Je hoche ma tête et lui raconte tout ce que Learco m'a révélé. Gabriel m'écoute sans rien dire car il a parfaitement compris que ce que je vais lui dire maintenant est important :

- Je vais partir avec lui, je veux rencontrer mon père.

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