La vie de Jean-Marie le stylo
Jean-Marie le stylo n’était pas un stylo comme les autres. Ce n’est pas un beau stylo Mont Blanc, argenté, avec une belle plume qu’on n'a pas envie de casser. C’était un simple stylo 4 couleurs Bic, bleu et blanc. Bref, la couleur classique.
Il avait sa place dans la trousse d’un écolier, d’un collégien, ou d’un lycéen. Il ne se rappelait plus très bien, car cela faisait tellement d’années qu’il traînait dans cette trousse, à sortir à huit heures trente le matin pour écrire sur un cahier, voir les pages se tourner, pour être plaqué sur le papier, faire ces formes, puis pendant le cours de math à être retourné dans tous les sens, car Benjamin, son propriétaire, déteste les maths. « Putain, j’en peux plus de me faire taper la tête contre ce cahier ! » Se mit à gémir le pauvre stylo en se retrouvant dans la trousse pendant la pause de midi, accompagné d’un crayon à papier, d’un taille-crayon, de plusieurs Stabilo, d’une paire de ciseaux et d’un stylo à plume Waterman. « On voit très peu la lumière du jour, alors sois content d’avoir cette chance-là de pouvoir de temps en temps sortir ! » Rétorqua un peu au-dessus le Stabilo fluo.
A quatorze heures, commençait le cours d’Histoire-géographie. Aujourd’hui, ce sont les feutres qui sont de sortie pour colorier une carte du Brésil et de ses principales villes : Rio de Janeiro, la capitale Brasilia, São Paulo, Florianopolis…. Des noms exotiques pour un pays exotique que notre ami Jean-Marie le stylo n’aura jamais l’occasion de visiter. Benjamin est un adolescent. A cet âge-là, le stylo ne sert pas simplement à écrire. Clément, son meilleur ami, est bon public lorsque Benjamin doit faire des bêtises. C’est alors que Benjamin arrache un petit bout de son cahier, puis saisit Jean-Marie. La mine noire est sortie, Jean-Marie sent dessiner deux cercles rapprochés, ainsi qu’une sorte de long rectangle au bout arrondis, puis une barre rejoignant les deux bouts du demi-cercle ainsi qu’une barre au milieu. Les deux garçons se mettent soudainement à rigoler assez grassement. Jean-Marie se demande pourquoi cette forme particulière fait autant rire, alors que tout ceci n’est qu’un dessin géométrique.
Le dernier cours de la journée est le cours de français. Intéressant, mais pas particulièrement passionnant. Jean-Marie sort une nouvelle fois de la trousse pour se trouver cette fois entre les jambes de Benjamin, à faire des formes où cette fois, il comprend le sens des mots. Jean-Marie entend tout ce qui est dit, il arrive à comprendre certains sentiments et en étant mâchouillé, il comprend que c’est à destination de cette jeune fille, deux rangs à la gauche en arrière de Benjamin, qui est sans doute la plus jolie fille de la classe, Célia. Le message était « On fait un tour au centre tt à l’heure ?:) ». Célia lit rapidement le mot, puis fait un grand sourire à Benjamin.
Après ce cours-là, Jean-Marie ne saura pas si les deux ados auront fait leur premier baiser. De toute façon, jamais il ne verra de choses intimes, ce sera toujours entendre des choses par-ci par-là et cela lui suffit amplement. De toute façon, en dehors d’écrire des cours donnés par des professeurs, faire des petits dessins salaces, écrire des mots d’amour, un jour rédiger un chèque, les premières déclarations d’impôts, signer des documents importants, Jean-Marie avait pleinement conscience qu’un jour, il finirait fondu dans un incinérateur.
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