Fantaisie, de Gérard de Nerval

2 minutes de lecture

Je m'étais assoupi sur l'herbe douce d'un après-midi jeune. En contrebas, un château s'étendait au milieu d'un grand parc.


Les rayons d'un soleil rasant me réveillèrent. Le ciel attardé, jaunissait déjà la scène. Je reconnu les murs de briques que j'avais vu en rêve, avec leurs coins de pierre, le jardin rempli de fleurs et cette rivière qui s'écoulait paisiblement.


Ce soir le rêve se poursuivit. La Dame, blonde aux yeux noirs, s'était approchée d'une des fenêtres du château. Elle regardait la fin jour, d'un air triste et langoureux. Elle soupirait souvent, le soir venu. Le parc s'animait pour ses yeux seuls et lui rappelait, les fêtes de sa jeunesse, les joyeuses cavalcades en amazone, les rires des galants et la mine rosie de ses sœurs échauffées par l'effort, grisées par la vitesse. Le soir, les banquets aux flambeaux où l'on dansait, légèrement ivre, sous la musique pincée des Luths, la laissaient belle et immortelle. Et puis, le songe passant, elle se retrouvait seule. Les souvenirs déchiraient chaque soir son cœur et chaque soir elle s'adonnait au poison de la nostalgie. Les airs si gais et entraînants se muaient en une triste rengaine, la mélopée mélancolique d'une jeunesse trop vite envolée.


Ce soir, mon rêve me conduisit plus loin. Je descendis au jardin, parmi les fleurs assoupies et frappai à l'huis. Ce soir, le luth chanta à nouveau dans la maison tandis que je récitais des poèmes volés à travers les âges, pour apaiser son âme.


Il est un air pour qui je donnerais

Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,

Un air très vieux, languissant et funèbre,

Qui pour moi seul a des charmes secrets.


Or, chaque fois que je viens à l’entendre,

De quatre cents ans mon âme rajeunit :

C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre

Un coteau vert, que le couchant jaunit,


Puis un château de brique à coins de pierre,

Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

Ceint de grands parcs, avec une rivière

Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;


Puis une dame, à sa haute fenêtre,

Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,

Que, dans une autre existence peut-être,

J’ai déjà vue… – et dont je me souviens !


Gérard de Nerval




Annotations

Versions

Ce chapitre compte 16 versions.

Vous aimez lire Philippe Meyer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0