Chapitre LXXXIV (2/2)

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(Lumi) - Suni, tu es tout simplement insupportable.

(Suni) - Ce n’est pas toi qui disais à l’instant que tu étais heureuse de m’avoir retrouvée ?

- J’ai changé d’avis !

- Je ne te crois pas une seconde, ma grande sœur chérie.

- …

- Allez, je voulais juste te taquiner… Ne boude pas ! Le bateau n’est pas si grand… Quand j’étais petite, tu pouvais me fuir à l’autre bout du palais, mais ici, c’est plus compliqué.
- En vrai, Sunette, je n’ai pas du tout envie de bouder. Je suis trop contente ! Même si je répète que tu es insupportable. Viens un peu ici…

(Je la pris dans mes bras et la serrai contre moi de toutes mes forces.)

- Moi aussi, Lumi, je suis très heureuse. D’abord, parce que nous allons pouvoir nous serrer les coudes au milieu du champ de ruines qu’est devenue notre famille. Ensuite, parce que les Lointains sont libres et bienveillants : deux qualités bien rares à Champarfait… Enfin, parce que je vais pouvoir gâter mon neveu ou ma nièce autant que je le voudrai, lui apprendre à faire des grimaces, à se faufiler dans les placards et à mettre ses doigts dans son nez.

- Eh ! Je n’ai aucune envie que mon enfant te ressemble à ce point. Et puis, à mon grand regret, il est probable qu’il n'ait besoin d’aucune aide pour trouver le chemin de son nez.

- …

- …

- Plus sérieusement, Lumi, il faut que je te dise quelque chose. Ils m’ont donné l’asile, en effet, mais je ne leur ai pas tout dit. Je leur ai parlé de la haine de Rotu à ton égard, de sa vengeance contre Père et contre Suni, et de la menace que cela implique pour moi. Mais je ne leur ai pas dit que j’avais envoyé cet esquif plein d’explosifs contre la galère royale…

- Aïe… Je comprends parfaitement ta décision, car les Lointains peuvent difficilement accueillir officiellement une régicide ! C’est un coup à déclencher une guerre… Mais s’ils apprennent un jour que tu n’as pas tout dit au Conseil des Cinq, tu pourrais le payer cher, Suni.

- Ma foi, à chaque jour suffit sa peine ! On verra bien en temps voulu. D’ici là, je serai en sécurité et je pourrai veiller sur toi.

- Je n’ai pas besoin d’être maternée ! Surtout par ma bébé-soeur. Et je suis officière sur ce bateau, j’ai du travail, une capitaine et un équipage qui comptent sur moi.

- Il faut te ménager, Lumi. Et te remplumer un peu… Mais pour cela, tu pourras compter sur la nouvelle employée de cuisine.

- Ah, ils t’ont déjà donné ton affectation ? En mer ou à terre ?

- Les deux ! Pour l’instant, je suis à l’essai aux cuisines. Mais je ne sais rien faire d’autre, de toute façon…

- Il va falloir que tu apprennes à accommoder les algues, les poissons de mer et les crustacés, ma belle. Ce que l’on mange ici n’a rien à voir avec ce que tu as appris au château.

- Eh bien, j’apprendrai ! Cela ne me fait pas peur.

- Y a-t-il quelque chose qui te fasse peur, Suni ?

- Oui. La mort. Et le vide, aussi.

- Maintenant que tu vas vivre ici, tu vas devoir apprendre à contempler la vie. A regarder la mer pendant des heures. A rester assise pour écouter une pièce de théâtre. A passer tes soirées à jouer aux cartes. Le rythme est très différent, pour les Lointains : la vie glisse, sans heurts et sans heures, à part pour les quarts et les repas.

- Ils semblent tous si paisibles, si harmonieux, comme si l’océan coulait dans leurs veines autant que dans leurs yeux. Regarde Anguillus, par exemple. Je le connais à peine, mais chez nous, un garçon comme lui, jeune et beau, irait de joutes en tournois pour impressionner les damoiselles ! Alors que lui, il reste muet du matin au soir, ou presque.

- Anguillus est mon chef de tiers : même s’il te semble venir d’une autre planète que la tienne, ne t’avise pas de l’embêter !

- Mais non… Il m’agace un peu, avec son calme éternel, mais je n’aurai qu’à l’éviter et tout ira bien.

- Bon ! Je t’aurai à l'œil, de toute façon.

- Pffff…

- Et pour ton prénom, que vas-tu faire ? Le garder ou le changer ?

- Les deux, mon lieutenant ! J’y avais réfléchi avant même ma demande d’asile. J’ai pensé au nauplius, qui est le nom des crustacés quand ils ne sont encore que des larves… Comme moi, qui ne suis encore qu’un embryon de Lointaine ! Mais je vais le mélanger avec mon prénom d’origine. Ce qui donne : Sunauplia.

- Quoi ? Et les capitaines ont accepté cela ?

- Je leur ai posé la question. Et ils ont dit oui.

- Décidément, tu ne fais jamais rien comme tout le monde… Mais pourquoi pas ? J’essaierai de m’en souvenir, en tout cas. Bienvenue chez les Lointains, Sunauplia. Mais sois sage, hein ! »

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