Chapitre LXXXVI (2/2)
(Suni / Sunauplia) « - Je t’ennuie, Lumi, avec toutes mes questions ?
(Lumi) - Mais non, ma chérie. Je suis très heureuse de t’avoir près de moi ! C’est juste que je n’ai pas ton énergie… Tu n’es jamais fatiguée ! Moi, j’ai en permanence l’impression de traîner deux boulets à mes pieds et d’avoir une enclume sur la poitrine. Alors que toi, tu as toujours envie de tout, tu es toujours à l’aise partout… Même avec les garçons ! À ton âge, j’étais renfermée comme une coquille Saint-Jacques. Et toi, tu discutes, tu leur dis en face que tu les trouves beaux… Cela m'épate.
- Cela t’épate, et cela te gêne aussi un peu, non ?
- C’est vrai. Surtout quand tu complimentes abondamment les charmes d’Orcinus.
- Je vais finir par croire que tu as commandité l’enlèvement de ton cher et tendre, juste pour que je ne puisse pas lui faire de compliments !
- …
- En vrai, Lumi, c’est grâce à toi si je suis comme ça.
- Comment cela ?
- Mais oui ! Toi, quand tu avais mon âge, tu n’avais pas une grande sœur libre et aventurière, qui parcourait les mers au bras d’un beau Lointain… Si j’ai le goût de la découverte, si je n’ai plus peur de l’inconnu, ce n’est pas un hasard… Et puis, tu n’as pas idée de tout ce que l’on voit passer à l’arrière d’une cuisine ou dans les quartiers des domestiques. Crois-moi, les histoires parlent toujours des princesses et des chevaliers, mais en fait, c’est ailleurs que les romans se vivent. Je connais bien des choses…
- Tu avais donc un amoureux, au palais ?
- Non… J’étais sage comme une image ! Mais j’ai des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, figure-toi. Alors je suis incollable sur les amourettes entre les palefreniers et les lingères, entre les femmes de chambre et les valets de pied…
- Je vois. Ici, Suni…
- Sunauplia.
- Si tu veux ! Ici, disais-je, tout le monde vit en vase clos. Alors comporte-toi correctement, s’il te plaît. Tu me fais un peu peur, à t’extasier ainsi à haute voix sur la beauté des Lointains.
- Ce n’est pas ma faute s’ils sont tous magnifiques ! Mais ce n’est pas pour autant que je vais sauter dans le lit de l’un d’eux, ne t’inquiète pas… D’ailleurs, franchement, je ne suis pas pressée du tout. Et même, je n’en ai pas très envie ! Je préfère l’aventure, et la liberté. J’ai beaucoup discuté avec Ruti, depuis son mariage, et apparemment, il n’y a pas que des bons côtés à partager la vie d’un homme. A mon avis, celui qui me passera la bague au doigt n’est pas encore né.
- Mouais… Nous en reparlerons quand tu tomberas vraiment amoureuse !
- Je ne suis pas aussi romanesque que toi, Lumi. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si c’est toi, et pas moi, qui es tombée sur l’héritier de tous ces trônes, comme par hasard ! Orcinus est charmant, d’accord, mais quel épouvantable fardeau que son lignage… Tu étais faite pour ça. Mais moi, je serais partie en courant.
- Je ne te crois pas une seconde. Tu n’es pas du genre à fuir les difficultés, Suni. Euh ! Je veux dire, Sunauplia.
- C’est vrai… Mais je suis loin d’avoir ton courage.
- Bien sûr que si ! Au contraire, tu es bien plus forte et énergique que moi. Tu as toujours tout fait à fond, de tout ton cœur, depuis ta plus tendre enfance. Je ne vois pas pourquoi tu serais différente en amour.
- C’est vrai, je suis enthousiaste pour beaucoup de choses de la vie. Peut-être parce que j’ai pris un peu moins de coups et de murs que toi, ma grande sœur chérie… Je n’aurais jamais survécu à tout ce qui t’est arrivé. A ce que Rotu t’a fait.
- Il t’a pourtant fait du mal, à toi aussi, en tuant Père et Ruti. Et tu t’es vengée ! Moi, j’en aurais été incapable.
- Ce n’est pas toi qui as poursuivi le même Rotu avec un épissoir la nuit où il s’en est pris à ton ami Perkinsus ?
- Si, c’est vrai… Mais désormais, je me sens trop lasse pour me battre.
- Je t’admire, Lumi, pour tout ce que tu as traversé jusqu’ici. Sans toi, jamais je n’aurais pu rejoindre cette troupe, ce peuple, ce bateau. Alors maintenant, c’est à mon tour de te montrer la voie.
- Que veux-tu dire ?
- Tu ne dois pas, tu ne peux pas te laisser aller. Pas maintenant ! Ton chéri n’est pas mort, alors il faut le retrouver. Et puis, tu es enceinte… Tu portes la vie, alors que nous n’avons croisé que de la mort, ces derniers mois. C’est une chance ! Et c’est un avenir. Tu dois tenir le coup, pour ton enfant. Et aussi pour ta petite sœur qui a besoin de toi ! Et si tu l’oublies, je serai là pour te le rappeler. Je t’aime trop fort pour te laisser baisser la garde. Que tu le veuilles ou non, tu vas retrouver la battante et la fonceuse qui vivent en toi. Ce n’est pas pour rien que nous sommes sœurs, Lumi ! »
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