Chapitre LXXXVII (2/2)
Puis j’entendis frapper très doucement à la porte. C’était Anguillus, qui venait me prier, à la demande de Rutila, de la rejoindre sans délai dans sa cabine. Je me levai immédiatement, glissai les mots d’Orcinus tout contre mon cœur, dans la poche de ma tunique, et sortis pour me mettre aux ordres de notre capitaine.
« - Merci d’être venue, Lumi. Tu as eu le temps d’apprendre par cœur le message d’Orcinus ?
- Presque, oui… Tu l’as lu ?
- Bien sûr. Il n’était même pas cacheté. J’ai bien compris que certains mots ne m’étaient pas destinés, mais c’est bien à moi que Galaô-té devait remettre ce pli.
- Tu connais donc ce capitaine marchand ?
(Je vis Rutila rosir très légèrement, pour la toute première fois depuis que je la connaissais.)
- Depuis des années, oui. Galaô-té a passé une partie de sa jeunesse sur notre île-capitale, pour apprendre la navigation. Un talent rare, pour un enfant du désert ! Il est né dans le grand Sud, comme Muraena. D’ailleurs, elle se cachait toujours quand il était dans les parages… Elle devait craindre qu’il ne la reconnaisse comme sa compatriote ! Enfin bref… Quand j’étais jeune fille, il me plaisait beaucoup… C’était il y a des siècles. Mais je le trouvais beau. Il avait de l’allure, de l’élégance, du mystère et puis cette force douce, posée, rassurante comme une tradition millénaire ou la musique de sa langue que personne ne comprend…
- Personne, sauf Orcinus.
- C’est vrai. Il va bien, apparemment. J’en suis heureuse.... D’ailleurs, après notre entretien, tu penseras à montrer son message à Milos, s’il te plaît ? Lui aussi sera heureux de le lire.
- Bien sûr.
- Bon… Maintenant, il faut que je te parle sérieusement.
- Je t’écoute, capitaine.
- Eh bien… J’ai longuement discuté avec Galaô-té. Avec son équipage, il parcourt les océans sans bruit ni vagues, comme un fantôme… Il commerce avec tous les bateaux, notamment les Lointains, lorsque nous manquons de planches, de lin, d’eau claire ou de poisson séché. Et il sait toujours tout, sur tout le monde, parce qu’il accueille à son bord des marins de tous les horizons, y compris quand ils ont des désaccords avec la Justice ou la police de leur pays.
- Et ?
- Je ne sais pas comment te dire cela sans être brutale, Lumi. Mais… Rotu est en vie.
- Quoi ?
- Il a survécu au naufrage de sa galère. Ne me demande pas comment… Mais après tout, puisque Muraena avait réussi quelques décennies plus tôt, c’est bien que c’est possible ! Il a donc survécu, et retrouvé son trône.
- Oh…
- Et son pouvoir.
- …
- Lumi… Rotu te tuera s’il en a l’occasion. Et il tuera ton enfant s’il apprend que tu es enceinte ! Comme il a assassiné les enfants de ta sœur : sans pitié ni ménagement.
- …
- Il faut absolument garder ta grossesse secrète.
- Tout le monde à bord est déjà au courant !
- Ce n’est pas l’équipage que je crains ! C’est le reste du monde. A partir de maintenant, tu resteras à couvert lorsque nous croiserons un autre bateau, quel qu’il soit.
- Mais.. Tu veux m’enfermer à fond de cale ?
- Non ! En haute mer, tu peux aller et venir comme bon te semble. Mais en escale, ou lorsqu’un navire est en vue, il faut te cacher.
- Et comment pourrai-je diriger mon quart ?
- Nous nous débrouillerons. Tu resteras hors de vue, et Anguillus fera le lien avec l’équipage.
- …
- Nous n’avons pas le choix, LumI. Mais ce n’est pas tout. Nous allons mettre le cap sur Héliopolis. C’est là que tu mettras ton enfant au monde. La princesse te protégera.
- En m’enfermant dans son palais ?
- En te cachant, ainsi que ton bébé !
- Mais… Tu me chasses, Rutila ?
- Non. Je te sauve, Lumi. Rotu te hait de l’avoir quitté. Et Orcinus, fils de son frère aîné, est une menace pour lui. S’il apprend que vous avez un enfant ensemble, que crois-tu qu’il fasse ?
- …
- Lumi ?
- Tu as raison… Si Rotu apprend que je suis enceinte, il tuera mon enfant sans merci.
- Tu es donc prête à débarquer à Héliopolis, et d’ici là, à rester à l’abri des regards ?
- Je suis prête, Rutila. Allons-y ! »
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