Chapitre LXXXIX (2/2)
(Milos) « - Allons, Lumi, il faut être courageuse… Pour ton enfant… Pour Orcinus, aussi.
(Lumi) - Orcinus est loin ! Mon père est mort, ma soeur est morte, mes neveux sont morts, Tempetus est mort… Rotu me hait. J’ai dû quitter les seules personnes qu’il me reste : Perkinsus, les Lointains, et puis Suni que je venais à peine de retrouver ! Je ne connais personne ici. Il n’y a jamais une goutte d’eau dans ce pays, la princesse m’intimide comme une météorite, mon enfant va naître dans une prison… Et je devrais être courageuse ?
- Allons, allons, ma belle… Tu seras bien, ici.
- Je n’en peux plus, de toutes ces histoires. De cette violence.
- Je sais.
- …
- Regarde-moi... Tout se passera bien. Sanaâ est accueillante, à sa manière certes royale, mais au moins, elle t’offre un abri et des murs solides derrière lesquels tu ne risques rien. Elle n’a peut-être pas retrouvé l’enfant de sa sœur chérie, mais au moins, elle pourra pouponner la génération suivante… Je suis sûr qu’avec le temps, vous deviendrez amies !
- …
- Essaye de ne pas voir tout en noir, Lumi. Il reste de l’espoir. Ta santé est bonne. Orcinus est vivant. Votre enfant se porte bien et naîtra en sécurité. Pour le reste, eh bien… Nous verrons.
- Comment, nous verrons ?
- Ce que je veux dire, c’est qu’il faut parfois se concentrer sur les petits pas qui sont à notre portée, plutôt que sur la montagne immense qui se dresse devant nous. La meilleure façon de traverser l’océan, c’est d’affronter une vague après l’autre. Dans la vie, c’est pareil. Ce qui compte, aujourd’hui, c’est que Rotu ignore que tu es enceinte. Tout le reste, c’est difficile, c’est douloureux, mais c’est moins urgent.
- Moins urgent ? Cela fait des mois que je n’ai pas vu Orcinus. Je ne le supporte plus !
- Je le sais très bien ! Il me manque, à moi aussi. Qu’est-ce que tu crois ? Je l’ai à moitié élevé, je l’ai vu tous les jours pendant des années et des années… Je pense à lui cent fois par jour ! Mais je ne peux pas cesser de vivre pour autant.
- …
- …
- Tu as raison, Milos. C’est juste que… Si tu savais comme je me sens seule !
- Je suis là, Lumi.
- Mais tu vas partir. Vous allez tous partir. Et moi…
(Je fondis en larmes de plus belle ; et Milos, timidement, se pencha vers moi pour me serrer dans ses bras.)
- Allons, essaie de te calmer… De respirer… Ce n’est pas bon pour le bébé, toutes ces émotions.
(Je reniflai piteusement et tentai de retrouver un peu de souffle.)
- Merci, Milos.
- Mais de rien…
- Si ! Merci de m’avoir accompagnée jusqu’ici.
- Oh, ça… Je te connais : si je n’étais pas venu jusqu’ici, tu aurais eu l’impression qu’on te chassait de nos vies. Qu’on ne voulait plus de toi…
(Je souris malgré moi.)
- C’est vrai, oui. Mais merci quand même… Merci d’avoir pris soin de moi pendant ma grossesse. Merci de rester calme quand je panique comme une gamine !
- Objectivement, tu as beaucoup de raisons de paniquer… Nous avons tous traversé pas mal de tempêtes, mais toi, c’est un ouragan qui t’est tombé dessus.
- Oui.
(Je restai un moment tout contre lui, profitant de son étreinte pour puiser de la force et de la ténacité, puis je m’allongeai de nouveau sur le lit, gardant sa main dans la mienne.)
- Est-ce que ça te ferait plaisir que je reste là, près de toi, jusqu’à ce que tu t’endormes comme une toute petite fille ?
- Oh, oui ! Mon père faisait cela lorsque j’étais enfant et que j’avais peur de l’orage. »
Milos prit une chaise et s’installa ainsi près de moi. La nuit était profonde et silencieuse, deux chandelles berçaient les ombres de quelques éclats de soleil, la ville à nos pieds dormait comme un prédateur alangui et une légère brise de mer, chaude et salée, jouait entre les persiennes.
A travers mes paupières mi-closes, je sentais le regard fatigué mais affectueux du médecin, assis dans le miel de cette ville exotique, avec son baluchon sur les genoux et son sourire adorable. Sa présence m’apaisait… Mais je savais très bien qu’à mon réveil, Milos serait reparti et que je resterais seule, toute seule, pour écrire les prochains chapitres de mon destin.
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