Le lendemain matin, il me fallut quelques instants pour me souvenir du lieu où je me trouvais. La chaleur sèche, les odeurs de beurre et de cannelle, les sonorités chantantes qui montaient de la rue m’aidèrent cependant à retrouver la mémoire. J’étais à Héliopolis, cachée comme une voleuse tout au fond du palais princier, seule comme une oasis au milieu du désert.

Pourtant…

Lorsque j’ouvris l'œil, encore étourdie par mes émotions de la nuit, je vis la silhouette affectueuse de Milos, allongé de guingois sur une banquette de velours dans les lueurs de l’aube. Il avait des cernes mauves sous les yeux, un grimoire sous la nuque et un sourire enfantin sur les lèvres. Son regard était clair comme un nuage et il m’observait en silence, comme un gamin content de son dernier tour.

« - Mais… Que fais-tu ici ? Tu n’es pas encore parti ?

- Bonjour, belle demoiselle. Bien dormi ?

- Euh… Oui. Bonjour ! Merci, Milos, je vais bien.

- …

- Vas-tu m’expliquer ce qui se passe ?

- Eh bien… Disons que je n’avais pas très envie de te laisser seule, après notre discussion d’hier soir… Et puis, je t’ai suivie tout au long de ta grossesse… Et puis, tu es à moitié d’Asclépios, et l’entraide est chez nous un devoir. Et puis, j’ai peut-être un tout petit peu envie de mettre au monde l’enfant d’Orcinus…

- Oh…

- Et il se trouve que ce brave Sikinos, lui, en avait un peu marre de tourner en rond dans ce palais et de soigner les maladies du désert. La mer lui manque, il nous l’a dit hier… Alors nous avons échangé. Il est parti avec les Lointains. Et moi, je reste ici avec toi.

- Ah !

- Tu es contente ?

- Oui !

(J’avais répondu avec l’enthousiasme d’une gamine hystérique.)

- Bien ! Alors moi aussi, je suis content.

- Mais… Et Sanaâ, que dit-elle de cet arrangement ?

- Rien. Les Asclépios sont maîtres de leurs affectations depuis la nuit des temps. Les peuples qui nous accueillent n’ont pas voix au chapitre.

- Alors tu logeras ici, avec moi ?

- Non. Je dormirai dans l’appartement qui était mis à la disposition de Sikinos. C’est de l’autre côté du palais. Si tu voyais comme c’est beau, d’ailleurs ! J’ai un lit immense avec des rideaux de brocart, des tapis brodés d’or, une petite terrasse ombragée, un patio avec une fontaine et une salle d’examen vaste et lumineuse dont tous les instruments semblent flambant neufs.

- Quel luxe !

- …

- Je suis ravie, Milos. Comment pourrai-je te remercier un jour ?

- Tu peux me remercier maintenant, en prenant la peine de te lever et de partager avec moi ce magnifique petit-déjeuner que la princesse a fait apporter tout à l’heure. Ce soir, elle nous fera l’honneur de venir souper avec nous, ici même. Mais en attendant, toutes ces bonnes choses n’attendent plus que nous.

- Avec plaisir. J’ai une faim de loup ! Ou de requin.

- Tant mieux. Tu es un peu pâle, Lumi, tu as besoin de reprendre des forces. Qu’est-ce qui te fait envie ? Il y a des fruits frais, des crêpes au beurre et au miel, des céréales au lait de chamelle, du pain de maïs…

- Pas de viande ?

- Le matin, non. Mais on sert souvent du mouton, du poulet ou du porc épicé à Héliopolis.

- Ah ! Alors je ne serai jamais complètement malheureuse ici.

(Milos me sourit de tout son être.)

- Tu en as donc marre du poisson ?

- Du poisson, des algues, des crustacés… Pour moi, rien ne vaut une brochette de dinde grillée ou une pièce de bœuf délicatement marinée.

- Parce que tu n’es pas une vraie Lointaine…

- …