Chapitre XC (2/2)

3 minutes de lecture

(Milos) - Lumi ? A quoi penses-tu tout à coup ?

(Lumi) - A mon bébé.

- Tu te demandes s’il aimera le poisson comme son père ?

- Exactement ! Enfin, je me demande d’où il viendra. Il va naître ici. Son père est à moitié champarfaitois et à moitié héliopoli. Et moi, je suis un mélange d’Asclépios et de Champarfait.

- Par le sang, c’est donc Champarfait qui prédomine…

- Oui.

- Veux-tu donner à ton petit un prénom champarfaitois ?

- Ah non ! Jamais. Je ne veux pas que mon enfant soit un numéro.

- Bon… Un prénom d’ici, alors ? Après tout, il va venir au monde aux portes du désert… Sa grand-mère régnait sur ce pays. Orcinus est né ici. Et la princesse Sanaâ apprécierait certainement.

- Oui… Mais non.

- Non ?

- Non. Mon enfant sera Lointain. Comme son père.

- Orcinus n’a pas une goutte de sang Lointain dans les veines…

- Je le sais bien ! Mais pour moi, il est Lointain. De la tête aux pieds… N’en déplaise aux vents de sable qui ont bercé l’enfance de sa mère, aux vergers verdoyants qui ont nourri son père et aux dunes infinies qui ont vu grandir Muraena.

- Et toi, tu ne comptes pas dans l’équation ?

- Moi aussi, je me sens Lointaine. Bon, sauf pour la cuisine… Mais cela fait des années que je navigue, que je vibre, que je vis avec les Lointains. Je n’ai plus vraiment d’autre pays. D’ailleurs, à Champarfait, j’étais déjà un peu une étrangère, puisque ma mère venait d’ailleurs… Et je le sentais, même si je ne le savais pas.

- Parfait. Va donc pour un prénom Lointain. Tu as quelques idées ?

- Pas vraiment.

- …

- En fait, j’hésite. Soit je donne à mon bébé le nom d’un cétacé, pour faire écho à son orque de papa… Mais je voudrais quelque chose de moins belliqueux, de moins intouchable que l’épaulard. Plus humain, finalement.

- Je comprends. Et quelle est ton autre option ?

- J’ai pensé, aussi, à l’appeler tout simplement Tempetus ou Tempeta.

(Milos me regarda de ses grands yeux gris comme un lac en hiver.)

- C’est drôle que tu aies pensé à cela…

- Tempetus était mon ami. Et je serais fière que mon bébé ait ne serait-ce que quelques-unes de ses qualités !

- Je le sais bien. Ce que je veux dire, c’est que tu ignores certainement que cette tradition existe, car fort heureusement il est rare de se trouver dans cette situation… Mais chez les Lointains, lorsqu’un officier perd la vie pendant son service, il est de bon ton de donner son nom au premier bébé qui voit le jour après sa mort.

- Oh ! Je l’ignorais, en effet.

- ...

- Alors la tradition voudrait que je mette au monde un petit Tempetus ?

- Peut-être, oui. En tout cas, je te souhaite un enfant aussi droit et aussi intelligent que lui !

- Moi aussi, Milos… Je vais y réfléchir ! Est-il possible de donner plusieurs prénoms à un bébé Lointain ?

- Je ne crois pas, non. Et puis, à quoi cela servirait-il ? Il n’y a même pas vraiment d’état-civil, à part le livre de bord. Le scribe enregistre les naissances, les décès, les réfugiés auxquels l’asile est accordé. Sur l’île-capitale, les mariages sont consignés à la sortie de la salle des fêtes. C’est tout… Un prénom, c’est utile pour pouvoir se reconnaître. Mais deux ou trois, ce serait trop.

- Bon… Je vais tâcher de choisir, alors ! »

Tout en discutant, nous avions englouti une dose impressionnante de victuailles, plus délicieuses les unes que les autres. Repue, reposée, apaisée, je commençai à me dire que je ne serais pas si mal à l’abri d’Héliopolis et de son palais, avec Milos pour veiller sur moi et la mer à portée de vue.

Je passai la journée assez tranquillement, prenant possession de mon appartement comme un enfant doté d’un nouveau jouet dont il ne maîtrise pas encore le fonctionnement. La chaleur de l’air, le bruit de la ville, les odeurs de la terre : tout était bien différent de la vie en mer ! Et si j’étais passablement déboussolée par tous ces changements, la présence de Milos agissait sur moi comme un repère.

Il me restait cinq à six semaines à attendre avant de faire la connaissance de mon bébé : j’avais du mal à croire que je pouvais devenir encore plus grosse que la baleine à bosse que j’étais déjà… Mais au moins, cela me laissait un peu de temps pour m’installer et trouver mes marques. Du moins, c’est ce que je croyais.

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