Chapitre XCI (1/2)

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Je me sentais un peu fatiguée, mais relativement sereine à l’idée d’accueillir la princesse Sanaâ pour le souper. J’avais demandé à Milos s’il savait comment nous étions censés recevoir une souveraine qui nous honorait ainsi de sa présence, il avait haussé les épaules pour exprimer son ignorance sur le sujet, et d’un commun accord, nous avions décidé d’improviser. D’ailleurs, nous n’avions rien à faire ! Car une bonne vingtaine de serviteurs à l’allure impeccable, vêtus de tenues fluides et blanches à la magnificence presque royale, s’étaient occupés de dresser la table au milieu de la pièce principale de mon appartement privé. Pour rester à l’abri des regards, je m’étais cachée derrière un paravent opaque, dont le luxe raffiné était presque éblouissant.


Lorsque tout fut prêt, les serviteurs se retirèrent en silence. C’est à peine si j’eus le temps de sortir de mon abri et de m’asseoir auprès de Milos : Sanaâ fit son entrée, suivie de sa plus fidèle servante. Elle avait eu la délicatesse de délaisser ses habits de reine et sa couronne de pierres précieuses au vestiaire, et elle s’avançait dans la relative simplicité d’un drapé bleu marine aux broderies argent et noires qui sublimait son teint de jais. Ses cheveux bouclaient librement autour de son visage, ses mains fines semblaient fières et félines et son regard noir comme le soleil était d’une droiture à toute épreuve. Même descendue de son trône ou de son piédestal, Sanaâ restait princesse jusqu’au bout des ongles.


J’étais un peu intimidée : la grâce qui émanait de chacun de ses gestes me renvoyait inévitablement à ma silhouette de cétacé et à mes chevilles enflées ! Mais elle sut très vite me mettre à l’aise, en abordant le sujet le plus intéressant du monde : Orcinus.


« - Dis donc, Lumi, il m’avait bien semblé que tu n’étais pas totalement objective dans ta façon de parler de mon neveu, la dernière fois que nous nous sommes vues… Mais je ne pensais pas avoir raison à ce point !

- Euh…

- Alors, comment est-il ?

- Eh bien ! Je ne sais pas trop quoi vous dire, princesse. Il pourrait vraiment passer pour un Lointain, même si sa peau est un peu plus mate, surtout quand nous naviguons dans les mers du Sud… Ses yeux ont une couleur étrange, vivante, vibrante comme de la lave. Il est d’une agilité presque surnaturelle lorsqu’il monte dans la mâture. Il a un art de prendre les choses comme elles viennent qui me désarçonne toujours et une facilité à poser le bon mot au bon endroit qui ne cessera jamais de m’étonner. Il dit les choses, il vit les choses comme si tout était simple et comme si tous étaient droits. Moi qui suis méfiante et chaotique, ce sont des points que je trouve toujours un peu exotiques chez lui ! A part ça… Il marche comme une plume, il chuchote comme le vent dans le noir et il me manque infiniment. Enfin… Bref.

- Comment a-t-il appris les origines de ses parents ?

- Muraena lui avait laissé une lettre. Je veux dire, Manaâ-té… Elle l’avait cachée dans un pendentif qu’elle lui avait légué. Il s’est cassé, il s’est ouvert. Voilà.

- Et il ne se souvenait de rien ?

- Non. Il dit que non.

- Ni de ses parents, ni du naufrage ?

- Rien.

- C’est étrange, non ?

- Oui et non, intervint Milos. D’abord, parce qu’il était tout petit ! Ensuite, parce que face à des souvenirs difficiles, douloureux, il peut arriver que l’esprit se bloque, que la mémoire s’efface, pour permettre au sujet de survivre et d’avancer. C’est sûrement ce qui s’est passé pour Orcinus.

- Orcinus… reprit la princesse. C’est un joli nom. Qui l’a choisi ?

- Muraena. Lorsqu’ils sont arrivés parmi les Lointains, tous les deux, elle a prétendu venir d’Héliopolis et être sa grand-mère. Elle s’est inventée une fille, à moitié Lointaine, qui aurait enfanté Orcinus avec un Lointain. D’où ce prénom… Lointain. Et qui lui va à la perfection, d’ailleurs ! L’animal a incontestablement un petit côté roi de la jungle, ou prédateur des mers, du moins pour le charisme.

(Sanaâ sourit de tout son cœur.)

- J’espère quand même qu’il ne dévore pas les jeunes filles ?

- Parfois… Regardez cette pauvre Lumi !

(Je rougis comme un feu de poupe.)

- Dites-moi, Milos, reprit la princesse. Vous, à quel moment l’avez-vous connu ?

- Dès son arrivée chez les Lointains… Quelques mois après le naufrage. Je les revois comme si c’était hier, Muraena et lui. Elle était sauvage comme une étoile et presque aussi belle que vous, princesse. Il se cachait derrière elle comme si le monde allait s’effondrer, avec son sourire timide et ses grands yeux comme une mer déchaînée. Et il était malade, atteint par une fièvre venue du fin fond du désert ; alors je l’ai soigné, évidemment. Muraena ne le lâchait pas d’une semelle, elle s’est installée dans mon infirmerie pour veiller sur lui. Je suis très vite tombé amoureux d’elle. Et ensemble, nous avons regardé grandir Orcinus.

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