Chapitre XCI (2/2)

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- Manaâ-té était une femme extraordinaire, murmura Sanaâ. Lorsque j’étais plus jeune, je l’admirais tellement ! J’avais l’impression que rien ne pouvait jamais l’abattre, qu’elle savait toujours quoi faire. Qu’elle connaissait tous les mystères de l’univers, ou presque. Elle nous a presque élevées, ma soeur et moi… D’ailleurs, entre nous, nous ne parlions que la langue du désert. Sa langue à elle. Notre mère, la reine Canaâ, tenait à ce que l’on puisse comprendre facilement nos sujets du grand Sud. Nous nous sommes prises au jeu, d’autant plus facilement que personne d’autre ne comprenait cette langue au palais, à part Manaâ-té, ma sœur et moi. C’était l’idéal, pour nos secrets de filles !

- Comment était-elle ? demandai-je. Votre sœur Hanaâ... La mère d’Orcinus.

- Elle était belle… Et elle était forte ! Têtue, aussi. Dans mes rêves, je la revois souvent, invincible comme la jeunesse, élégante comme un sortilège, avec ses yeux comme des éclairs noirs et ses sourires de gamine. Je rêvais tellement de lui ressembler ! J’ai bien du mal, aujourd’hui, à réaliser qu’elle serait sur le point de devenir grand-mère.

(Je rougis en silence.)

- Moi, dit Milos, j’ai surtout du mal à imaginer Orcinus devenir papa. Je me souviens comme si c’était hier de l’époque où il perdait ses dents de lait, où il avait peur du noir et où je devais l’enfermer à double tour pour être sûr qu’il ne grimpe pas sur les haubans sans surveillance.

- Tiens, compléta Sanaâ. Quand il était tout petit, Lomu était déjà un peu comme ça. Casse-cou, mais réfléchi. Il sautait dans les vagues les jours de tempête, il se cachait dans tous les recoins du château… Sa mère en était très fière. Mais son père en devenait fou !

- Lomu, fils de Lomu… murmurai-je par réflexe.

- Oui, acquiesça la princesse. Vous savez s’il se souvient au moins de ça ? De son nom ?

- Non. Il m’a dit que non.

- …

- D’ailleurs, ça ne lui va pas. Trop banal. Trop champarfaitois. Orcinus n’est ni l’un, ni l’autre.

(Sanaâ me regarda avec un immense sourire attendri.)

- Tu l’aimes, n’est-ce pas ?

- Oui.

- Je veux dire… Est-ce que tu l’aimes vraiment ?

- Et non parce qu’il est le fils d’un prince et d’une reine ? C’est bien cela, votre question ?

- Oui.

- Eh bien… Pour commencer, je l’aimais avant de savoir qui étaient ses parents. Même si je m’en suis rapidement doutée ! Mais je l’aimais avant… Et puis, honnêtement, sa filiation ne nous a apporté que des ennuis. Alors je dirais que c’est malgré tout cela que je l’aime.

- Je crois que ma sœur aurait adoré t’avoir comme belle-fille ! Et puis, Lomu et elle ont aussi dû se battre pour s’aimer, comme Orcinus et toi.

- Pourvu que nous n’ayons pas le même destin qu’eux ! Pour la fin, au moins…

- Je ne laisserai personne vous faire de mal, Lumi. Ni à toi, ni à ton enfant. Je te le jure. Sinon, le fantôme de Hanaâ viendrait me tirer les oreilles et me maudire dans la langue du grand Sud pour au moins quatre générations ! Car elle avait un fichu caractère, sous ses airs de jolie poupée. Nous avons été élevées pour défendre notre pays et notre peuple, pour guerroyer au-delà des dunes et de l’immensité… Rien à voir avec les manières polies et le cœur tendre des dames de Champarfait.

- Vous êtes peut-être mieux armées que mes compatriotes pour affronter la vie…

- Peut-être. Mieux armées, mais plus seules.

- Oh ! Pourtant, je suis champarfaitoise et je me défends bien, côté solitude ! Entre ma famille assassinée, mon amoureux enlevé, les Lointains repartis sur les mers…

- Tsss, objecta Milos. Je suis là, moi ! Et la princesse Sanaâ veillera sur toi. Maintenant, il faut manger, Lumi. Ton bébé doit avoir faim. »

Je souris et obtempérai sans attendre, heureuse de sentir autour de moi l’atmosphère sereine et parfumée d’un pays ami. Au fil du repas, je parlai de mon enfance, de mon père, de mon mariage, de ma fuite, de mon arrivée chez les Lointains, du sourire d’Orcinus comme une crique ensoleillée, de la magie du théâtre, des grands yeux de mes petits élèves… Puis de la mort de Tempetus, aiguë comme un poignard.

Et c’est là, à ce moment précis, que je ressentis la première contraction.

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