Chapitre XCII (2/2)

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Je poussai si fort que l’enfant sortit presque comme un boulet de canon : heureusement, Milos était placé de façon à le rattraper ! J’étais épuisée comme une île après un ouragan. Et je dus perdre conscience, car je n’ai plus aucun souvenir de ce qui s’est passé, entre le moment où l’enfant explosa presque en-dehors de moi et celui où je me trouvai allongée, à la lueur de deux chandelles, avec deux bébés serrés dans un tout petit lit à mes côtés, Milos penché sur eux avec un air profondément idiot et la princesse Sanaâ, silencieuse comme une majesté déchue, debout dans un coin de l’appartement.

Voyant que je reprenais vie, le médecin se tourna vers moi et parla très bas, dans la douceur brûlante de la nuit.

« - Tu as été très courageuse, Lumi. Je suis fier de toi ! Enfin, de vous. Tu as deux très beaux enfants qui se portent à merveille. Comment veux-tu appeler le frère de Tempeta ?

- Eh bien, je m’étais dit un jour que j’aimais bien Delphinus…

- Delphinus ! C’est parfait. Aussi joueur et prestigieux que son père, mais moins dangereux. Tempeta et Delphinus, donc.

- Tempeta et Delphinus… Est-ce qu’ils vont bien ?

- Oui.

- …

- Tu as besoin de repos, Lumi. Nous allons nous retirer pour te laisser dormir. Je reviendrai t’aider à les nourrir.

- Mais… Quand ça ?

- Dès qu’ils le réclameront ! Désormais, ce sont eux qui rythmeront tes journées. »

Et il ne croyait pas si bien dire ! Car du jour au lendemain, ma vie devint une étrange faille temporelle dans laquelle je n’avais plus le temps de rien. Pendant des semaines, je passai de langes en biberons, de tétées en renvois, d’insomnies en pleurs nocturnes. J’étais épuisée, rongée jusqu’à l’os par cette énergie que je n’avais plus, mais que je devais encore et toujours consacrer à mes deux adorables braillards.

Contrairement à ce qui se pratiquait dans bon nombre de familles aisées, à Héliopolis comme à Champarfait, je ne pouvais pas faire appel aux services d’une nourrice, puisque la naissance de mes enfants devait rester ignorée de tous. Nous vivions donc en vase clos, à l’abri sécurisant mais aussi oppressant du palais. J’avais l’impression de ne pas avoir dormi depuis mille ans : à peine l’un des jumeaux avait-il cédé à l’appel du sommeil que le second ouvrait l'œil et réclamait le sein.

Milos m’aidait comme il le pouvait, allant parfois jusqu’à donner le biberon à l’un ou à l’autre de mes petites terreurs. Il confectionnait un mélange étrange de lait de chamelle, d’eau et d’une poudre indéterminée qui pouvait, selon lui, se substituer sans problème à l’allaitement maternel. Au début, je refusai catégoriquement ! Mais je finis par céder, vaincue par la fatigue et le découragement à l’idée de devoir survivre ainsi pendant encore de longs mois. Et je ne le regrettai pas une seconde : Milos couvait les bébés d’un regard si doux, si tendre, si attentif, que je finis par accepter de me reposer sur lui de temps en temps.

La princesse Sanaâ, bien que très occupée par ses responsabilités de souveraine, trouvait parfois le temps de passer nous saluer, les enfants et moi. Enfin, surtout les enfants ! Elle en était férue, et ne craignait pas de perdre sa dignité quand Tempeta lui bavait sur l’épaule ou que Delphinus accrochait ses doigts sales sur sa tunique d’apparat. Elle nous rendait visite tous les deux ou trois jours, sans rester très longtemps, mais sa présence apportait toujours un vent de fraîcheur et d’élégance dans mon quotidien.

Un jour, elle entra dans l’appartement avec un petit sourire et un assez grand paquet qu’elle portait à bout de bras. C’était une drôle de vision que celle de Sanaâ, avec sa silhouette de naïade, son teint d’olive et sa tunique de nuit, avançant vers moi d’une démarche claudiquante, avec dans les yeux un mélange de ciel d’orage et de gentil mystère. Elle posa son fardeau à terre, contre le mur ; puis elle défit l’emballage de lin blanc qui le dissimulait et elle le retourna.

« Regarde donc, Lumi. Personne, en-dehors des habitants de ce palais, n’a jamais vu cette peinture… Ici, c’est ma sœur, Hanaâ, la grand-mère de tes enfants. Et là, c’est Lomu, son mari. Le père de ton Orcinus… Il y a un air de famille, tu ne trouves pas ? »

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