Chapitre XCIII (2/2)

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Un jour, il s’avéra que l’univers, ou les capitaines, avait entendu mes prières et mon attente. Car lorsque j’ouvris les persiennes, alors que le soleil d’Héliopolis teintait d’or et de rubis les maisons colorées de sa capitale, je reconnus le trois-mâts bercé dans les vagues du petit matin. Je fus tellement soulagée que je manquai de fondre en larmes ! Mais je me ressaisis, fort heureusement, et après avoir nourri mes deux adorables gloutons, je les confiai à Milos et m’apprêtai à sortir pour rejoindre le port.

C’est au milieu du long couloir abandonné qui séparait mes appartements du reste du palais que je tombai nez-à-nez avec la servante personnelle de la princesse. Derrière elle marchaient Rutila, Salmus mais aussi Perkinsus, entre les bras duquel je tombai en moins d’une seconde ! Je le serrai de toutes mes forces contre mon cœur, émue comme une andouille, puis je saluai avec effusion les deux capitaines, remerciai la servante et fis demi-tour pour les conduire dans mon salon.

Milos lisait tranquillement, assis dans un fauteuil de velours rouge outrageusement confortable, tandis que les jumeaux semblaient absorbés par l’observation d’une mouche au plafond ou de leur propre nez. Les retrouvailles furent rieuses et chaleureuses, ne manquant pas de déclencher quelques pleurs bien sonores chez mes jeunes merveilles, évidemment ! Mais Perkinsus les attrapa pour les percher dans ses bras, Delphinus à gauche et Tempeta à droite, il s’extasia longuement sur leurs jolies bouilles, flattant au passage mon égo maternel, et le calme s’installa de nouveau.

Dix minutes plus tard, les bébés s’étaient endormis sur le torse de leur Tonton Perkinsus, Salmus et Milos devisaient à bâtons rompus d’une découverte scientifique que je ne compris même pas mais qui semblait les passionner, et je prenais un thé à la vanille et aux fleurs de cactus tout en bavardant à voix basse avec Rutila. Elle paraissait aussi fatiguée que ravie de me voir, avec son regard bleu, ses cheveux noirs et ses joues roses.

« - Eh bien, Lumi, deux bébés pour le prix d’un ! Je ne pensais même pas que c’était possible… Chez les Lointains, en tout cas, je n’avais jamais aucune femme faire deux enfants en une seule fois. T’es-tu bien remise de ton accouchement ?

- Plutôt, oui. Milos veille sur moi… Et sur les petits ! Je suis fatiguée, mais ma santé est bonne. Le plus difficile à vivre, c’est de rester enfermée ici…

- Tu en as marre ?

- Oh ! Oui. Tu n’as pas idée…

- Bon, cela tombe bien. Car nous sommes venus te chercher. Tu nous manques, Lumi. Tes affaires sont prêtes ?

- Eh bien…. Non, pas encore, mais cela peut s’arranger en quelques jours, le temps de préparer quelques vêtements pour les petits, et de prendre congé de la princesse Sanaâ.

- …

- Rutila, pourquoi me regardes-tu comme si tu n’osais pas me dire quelque chose ? Tu as des nouvelles d’Orcinus ? Il est mort ?

- Non ! Je n’ai aucune nouvelle, mais rien n’indique non plus que ses ravisseurs lui aient fait du mal.

- Ouf ! J’ai eu si peur…

- …

- Rutila, que se passe-t-il ?

- Rien, Lumi. C’est juste que tu ne peux pas embarquer avec tes enfants.

- Quoi ? Mais, que veux-tu dire ? Je ne vais pas les laisser seuls ici !

- Seuls, non. Mais il serait beaucoup trop dangereux de les prendre à notre bord.

- Mais, Rutila… Tu veux que j’abandonne mes enfants ?

- Je veux que tu les protèges. Héliopolis est le seul endroit du monde où le secret de leur naissance est en sécurité.

- Ils ne vont pas rester enfermés ici toute leur vie ! C’est affreux, et ils n’ont rien fait de mal.

- C’est injuste, oui. Mais nous ne pouvons pas faire autrement. La princesse Sanaâ les protègera. Et Milos veillera sur eux, si cela te convient, car Sikinos accepte de naviguer plus longtemps que prévu et de lui laisser sa place ici. Tu as confiance en Milos, n’est-ce pas ?

- Oui ! Mais ce n’est pas du tout la question, Rutila.

- Lumi, ta troupe a besoin de toi. Tu es lieutenant, maintenant, ton tiers compte sur toi. Tu as des responsabilités à assumer, un équipage à mener, des manœuvres à coordonner. Je sais que c’est difficile, mais je n’ai aucun moyen d’assurer la sécurité de tes enfants sur le bateau.

- …

- Un jour, Lumi, nous retrouverons Orcinus. Et quelqu’un vaincra Rotu, avec sa haine absurde et sa vengeance malsaine. Le bien finit toujours par gagner, dans les légendes. Tu le sais, n’est-ce pas ? Mais pour cela, nous devons affronter tout ce qu’Aquahé met sur notre route. Même si c’est difficile. Surtout si c’est difficile ! Dès que ce sera possible, nous récupérerons tes loupiots.

- …

- A toi de voir, maintenant. Ta place est sur le bateau, au rythme des quarts et des marées. Chez les Lointains, la troupe passe avant tout… Mais je ne te forcerai pas. Si tu préfères rester cachée ici, à veiller sur le sommeil sucré de ta progéniture, je comprendrai. Nous repartirons demain, au lever du soleil. Avec toi, ou sans toi. »

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