Chapitre C (1/2)

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Orcinus se tenait debout, au centre de la clairière, avec son costume bleu comme le soleil du matin sur l’océan. Il était très droit, il était très beau, et au milieu de ces pourparlers aux airs de foire d’empoigne, il était très digne, avec son regard de brique et ses mains silencieuses.

Il était sûrement un peu impressionné par les circonstances, un peu épuisé par ces longs mois d’incertitude… Mais il ne laissait rien paraître. Il brillait comme un astre, avec ses habits brodés d’argent, taillés sur-mesure pour suivre le moindre de ses mouvements.

De mon côté, j’étais nerveuse et terrorisée, et je n’aurais pas tremblé plus fort si c’était à moi, et non à lui, que l’on avait proposé ainsi trône et honneurs, exil et exécution. Mon cœur était prêt à jaillir de ma poitrine pour se réfugier entre ses bras, mes yeux me brûlaient à force de se visser aux siens, et mon esprit bourdonnait comme un essaim d’abeilles en pleine guerre du miel.

Orcinus leva la main pour demander au Grand Administrateur des Asclépios l’autorisation de s’exprimer. Ce dernier opina du chef, le silence tomba pour de bon sur toute l’assemblée, et la voix vibrante, vivante, enveloppante de mon cher et tendre retentit dans la clairière avec beaucoup de détermination mais aussi, par moments, une bonne dose de douceur.

« Mes amis, puisque plusieurs d’entre vous semblent se préoccuper de mon sort, et c’est un euphémisme ! Il me semble juste que vous puissiez entendre mon histoire de ma propre bouche. Cela fait plus d’un an que j’ai été enlevé, arraché au peuple que je considère comme le mien et aux bras de la femme que j’aime. Puisque nous sommes réunis ici pour parler de la guerre ou de la paix, mais aussi pour discuter de mes éventuels droits à tel ou tel trône, eh bien ! Je vous propose d’abord de faire connaissance, et ensuite, d’écouter ma seule et unique proposition pour la paix.

La première question qui se pose est celle de mon identité. Je m’appelle Orcinus. Je suis Lointain, j’ai grandi sur le navire des capitaines Salmus et Rutila et au fil des ans, je suis devenu à la fois apprenti conteur et maître-voilier au sein de leur troupe.

Je suis Lointain, pourtant la femme qui m’a élevé et que je prenais pour ma grand-mère venait du grand Sud, comme vous (il fit un geste vers les représentants des nomades), et l’homme qui m’a aidé à faire mes devoirs venait d’Asclépios, comme notre honorable hôte et sa délégation. Je suis Lointain, disais-je, mais la mère qui m‘a mis au monde était l’illustre Hanaâ, princesse souveraine d’Héliopolis, dont je salue ici la sœur Sanaâ, tandis que mon père se nommait Lomu, fils de Lomu, héritier du trône de Champarfait, ce royaume déchiré qui compte aujourd’hui pas moins de trois délégations plus ou moins officielles.

Pendant longtemps, je n’ai rien su de mes origines. Même si quelques indices auraient pu, et auraient peut-être dû, me mettre sur la voie, je n’ai découvert la vérité que beaucoup plus tard. Je sais que je suis l’enfant de Lomu et de Hanaâ, parce que j’ai confiance en la personne qui me l’a révélé, mais aussi parce que tous les indices concordent. Pourtant, je n’ai aucun souvenir. Ni de l’un ou l’autre de mes parents, ni de mon enfance à Héliopolis, ni de ce naufrage sur les côtes de Champarfait. Rien. Mes origines, dans ma mémoire, ne sont qu’un trou noir.

A l’inverse, ma vie parmi les Lointains n’était que lumière et liberté. Je n’avais aucune autre aspiration que celle de vivre le vent dans les voiles, le soleil dans les vagues, les mots sur la scène. Aujourd’hui, nous sommes tous réunis pour parler de guerre ou de paix, des royaumes de mon père ou de ma mère…

En quoi ces histoires me concernent-elles ? Héliopolis a une princesse souveraine, forte et décidée, à laquelle je n’ai rien à apprendre. Champarfait se déchire entre un roi contesté, des rebelles exilés, des nobles ambitieux. Mais cela n’a rien à voir avec moi ! Créez une instance de discussion et de gouvernement, comme une chambre des représentants, réglez cela entre vous… Et je vous en prie, laissez-moi partir.

Je ne veux rien d’autre que ma vie passée. Si vous me permettez de la retrouver, je vous jure que je partirai loin, très loin, et que je ne reviendrai jamais pour faire valoir je-ne-sais-quels droits sur je-ne-sais-quel trône.

Tout ce que je vous demande aujourd’hui, c’est de me donner un bateau et de me laisser partir. Je naviguerai sans m’arrêter, sans me retourner, jusqu’au-delà des cartes. Je vous le jure. Je ne manque ni de droiture, ni de courage, alors je tiendrai parole.

A deux conditions, cependant : que Champarfait se dote d’une instance équitable, comme je le suggérais à l’instant, et que Lumi puisse partir avec moi. »

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