Chapitre C (2/2)

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Orcinus avait parlé avec sincérité et avec conviction : ses mots ne trichaient pas et je le savais parfaitement.

A l’inverse, Rotu s’était échauffé au fil de ce discours, comme s’il ne pouvait que tisonner encore et encore le feu de sa colère et de sa haine. Il était tendu comme une arbalète et semblait prêt à jaillir de la pierre sur laquelle il était assis. Il me lança un regard possessif, presque lubrique, puis il tourna ostensiblement le dos à Orcinus et s’adressa au Grand Administrateur et à l’ensemble des délégués.

« Voilà enfin la triste vérité ! Cet imposteur veut simplement m’enlever mon épouse. Allons, messieurs, mesdames, vous n’allez pas le laisser faire ! La place de Lumi est à mes côtés, sur le trône de Champarfait. Elle est ma reine, ma femme légitime. Nul ne peut me la prendre… Surtout pas ce faux prince ! Lumi, si tu reviens à moi, je promets de donner plus de liberté au peuple comme à la noblesse de notre pays. Je le jure, s’il le faut. »

Lorsqu’il se tut, ce fut comme si la foudre m’avait traversé le corps des pieds à la tête. D’abord parce que sa voix et ses mouvements incontrôlés me rappelaient de bien mauvais souvenirs. Ensuite parce qu’au fur et à mesure de son intervention, tous les regards s’étaient tournés vers moi. Et si toute cette histoire de guerre des trônes, d’héritier perdu puis retrouvé, de souverains légitimes ou non, n’était en fait qu’un banal triangle amoureux ? Orcinus n’apparaissait plus comme le héros, bien malgré lui, d’une légende chevaleresque, mais comme un jeune homme bêtement amoureux de la femme d’un autre. Quant à moi, au lieu d’être celle qui avait eu le courage de quitter un époux violent pour se réfugier chez les Lointains, je devenais une femme facile qui avait trahi son époux avec un autre homme.

Face à mon désarroi bien visible, mais aussi au chaos qui s’était emparé de toute l’assemblée, certains délégués exprimant à voix de plus en plus haute qu’ils ne s’étaient pas déplacés pour régler les problèmes domestiques de Rotu, le Grand Administrateur me fit signe d’approcher. Il m’interrogea alors très doucement, comme s’il avait affaire à une enfant terrorisée, tandis que les yeux d’Orcinus et de Rotu semblaient prêts à me consumer sur place, même si ce n’était pas de la même manière.

« - Parlez sans crainte, madame. Nous vous écoutons.

- …

- Êtes-vous vraiment l’épouse du roi Rotu ?

- Oui… Enfin, je l’ai été. Puis je suis partie.

- Où êtes-vous partie ?

- J’ai couru droit devant moi. Et par hasard, j’ai été embarquée sur un bateau Lointain. Ils m’ont accordé l’asile… Depuis, je vis avec eux. Et mon mariage avec Rotu n’est plus valide, selon les lois Lointaines.

- Je vois… Et ce jeune homme, là… Lomu, ou Orcinus, comme vous préférez. Vous le connaissez ?

- Oui.

- Vous le connaissiez avant de quitter Champarfait ?

- Non.

- Ce n’est donc pas pour lui que vous avez quitté votre pays et votre époux ?

- Non.

- Il vous demande de partir avec lui et de ne jamais revenir. Est-ce ce que vous voulez ?

- …

- M’avez-vous entendu, madame ?

- Oui.

- Bien. Quelle est votre réponse ? Voulez-vous partir avec Orcinus ?

- Je ne peux pas.

- Parlez plus fort, s’il vous plaît. Vous ne souhaitez pas partir avec lui, c’est bien cela ?

- … Je… Non, je ne pars pas. »

Orcinus était pâle et raide comme un mort. Il me regardait sans un mot, comme tétanisé, tandis que dans ma tête se bousculaient des images de mes enfants à une vitesse folle, au point de m’en donner le tournis.

Partir au bout du monde pour ne jamais revenir, pour ne jamais les revoir ? Je ne pouvais pas faire cela… Même si j’aimais leur père de toute mon âme ! Mais je ne pouvais pas non plus le dire à voix haute, apprendre leur existence à Rotu… J’avais envie de hurler à Orcinus que je tenais à lui, que je rêvais de lui, que mes entrailles se scindaient en deux à l’idée de le laisser partir, lui, pour pouvoir les revoir, eux… Mais je me tus.

Quelques secondes plus tard, Orcinus repartait avec les loyalistes, tête basse, avec dans les yeux un gouffre d’incompréhension et sur les épaules une résignation absolue. Je tentai de croiser son regard, pour qu’il comprenne que je l’aimais toujours, qu’il y avait autre chose… Mais il ne me vit pas. Il s’arrêta quelques secondes devant Sanaâ, qui posa la main sur son bras et lui dit quelques mots dans la langue profonde et accrocheuse des peuples des sables.

Puis il hocha la tête à son intention et repartit sans un regard en arrière.

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