Chapitre CI (2/2)
(Rotu) - Tu te rappelles, après notre mariage… Tu étais tellement délicieuse… Et tellement innocente ! Je pouvais faire de toi ce que je voulais. Je me souviens de ton odeur… De ta peau… De ton souffle…
(Lumi) - …
- Tu as toujours envie de moi, Lumi. C’est pour cela que tu n’as pas suivi ce blanc-bec, n’est-ce pas ? Enfin, blanc, c’est une façon de parler ! Car il est brun comme un corbeau, ton cher Lointain. Moi aussi, Lumi, j’ai envie de toi…
- … »
Je sentais sa main gauche commencer à parcourir mon corps comme on conquiert une terre ennemie : vite et sans ménagement. Dans sa main droite, il tenait un petit couteau et il jouait à en poser la pointe sur ma chair, au point de faire perler le sang à certains endroits. Froide et intrusive, la lame trancha ma tenue de nuit. Et je me retrouvai nue et haletante, incapable de faire un geste ou d’émettre un son, alors que je sentais de plus en plus d’excitation dans sa voix. Je perçus les frôlements d’une étoffe, le bruit sourd d’un vêtement tombant à terre, puis je sentis Rotu s’allonger de tout son poids sur moi.
Il commença à me pétrir les seins sans aucune délicatesse, avec des grondements de bête en rut. Je tentai de le repousser avec mes jambes mais il affermit sa prise sur mon bassin tout en posant le tranchant de son couteau, affûté et menaçant, directement sur ma gorge. Puis il ricana avant de m’embrasser dans le cou, sur le ventre, sur la cuisse. Il écarta brusquement mes jambes, pesant toujours de tout son poids pour m’empêcher de me débattre, puis il me pénétra brutalement, avec un gémissement satisfait qui me fit frissonner des pieds à la tête. Je grimaçai de douleur.
Il murmura au creux de mon oreille : « Tu aimes cela, je le sais… Depuis le début, je sais que tu aimes ça. Que tu en redemandes. Même si tu joues les mijorées, les innoçentes… J’adore quand les femmes me résistent : leur abandon n’en est que meilleur… »
Rotu avait presque raison : je finis par abandonner la lutte et je retombai, inerte comme une miette ou une poussière, sur le moelleux presque incongru de ma bannette.
Il sembla s’en délecter… Tandis qu’il ahanait au-dessus de moi sans retenue ni pudeur, je restai totalement immobile, l’esprit et le corps vides, faisant de mon mieux pour ne penser à rien. C’était comme une petite mort, un évanouissement temporaire, tandis que mon anatomie subissait des choses que je ne voulais pas ressentir, tandis que mon cerveau emmagasinait des souvenirs que je ne voulais pas conserver.
Cela dura une seconde ou une heure.
Soudain, la porte de la cabine s’ouvrit en silence. Et dans la quasi-obscurité de la coursive, je devinai le visage de Suni, sans doute alarmée par les quelques bruits que faisait Rotu alors qu’elle s’apprêtait à me rejoindre pour la nuit. Elle tenait à la main un gigantesque couteau de cuisine. Et j’eus à peine le temps de comprendre ce qui se passait.
Elle fit deux pas rapides pour s’approcher de la couchette et là, sans aucune hésitation, elle attaqua mon agresseur à grands coups de lame, juste entre les omoplates.
Rotu poussa un cri et tenta de se relever, mais Suni frappa de nouveau. Puis elle fut rejointe par Rutila et Ventura qui étaient accourues à leur tour, alertées par le vacarme. Unissant leurs forces, elles réussirent à le faire rouler sur le côté jusqu’à le faire tomber du lit. Ma sœur lâcha alors son couteau et se précipita vers moi pour dénouer mes liens, tandis que les deux officières ne pouvaient que constater le décès de Rotu.
Suni m’enveloppa très doucement dans un drap et me serra fort dans ses bras, en me berçant comme si j’étais un nouveau-né, et en veillant à ce que je ne puisse pas regarder ce qui se passait à mes pieds. Etonnamment, il n’y avait que très peu de sang : elle avait visé directement les organes vitaux, sans fioritures excessives. Mais le roi de Champarfait avait été tué à notre bord, dans ma cabine. Même s’il m’avait agressée, même s’il était monté sur notre navire sans y avoir été invité, il allait falloir rendre des comptes.
En attendant, le corps fut transporté à l’infirmerie et Sikinos, le médecin du bord, m’administra un puissant sédatif pour me permettre de dormir. Suni m’aida à rejoindre la cabine de Rutila et m’allongea sur son lit avec une douceur infinie, puis elle entreprit de laver mon corps avec un linge humide. Enfin, elle s’allongea près de moi comme un phare dans la tempête.
Pendant ce temps-là, dans ma cabine, Ventura et Rutila savonnèrent le sol de toutes leurs forces, autant pour faire passer leur rage que pour nettoyer les lieux ! Puis un conciliabule improvisé réunit nos deux capitaines, Ventura, Aurata, Alexandrius et Sikinos. Mais à ce moment-là, je ne percevais déjà plus rien de ce qui se passait autour de moi : ni l’absence d’Orcinus, parti au loin avec ses loyalistes et ses habits de soie, ni la mort que j’avais affrontée, droit dans les yeux, sous les assauts haineux de Rotu, ni les risques qu’avait pris ma petite sœur qui venait de tuer un homme.
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