Chapitre CII (1/2)

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Assommée par le choc autant que par le sédatif de Sikinos, je dormis d’une seule traite jusqu’au lendemain matin. Lorsque j’entrepris d’ouvrir les yeux, j’eus l’impression que mes paupières étaient sourdes et lourdes comme la fin du monde. Je remuai doucement les bras, puis les jambes, mais j’étais tout ankylosée, comme si j’étais passée sous la coque d’un trois-mâts ou sous les rames d’une galère.

Nous avions manifestement quitté notre mouillage dans la baie des îles du Soleil, car je sentais le balancement des flots et j’entendais l’écoulement de l’eau. L’atmosphère était étrange, anormalement calme, comme si tout l’équipage prenait soin de chuchoter…

La cabine de Rutila, où j’avais passé la nuit, était plongée dans la pénombre car les volets étaient fermés. J’étais seule, Suni avait dû se lever pour prendre son service du matin et préparer le petit-déjeuner. J’avais mal partout, les entailles sur ma gorge me faisaient souffrir, tous mes gestes étaient durs, saccadés, et même sans lumière, je voyais sur la peau de mon ventre et de mes cuisses des traces plus sombres qui semblaient être des ecchymoses.

Je restai immobile un petit moment, les images de la veille repassant en boucle dans mon esprit, mêlant celles d’Orcinus à celles de Rotu, jusqu’à la délivrance apportée par ma courageuse petite sœur.

Ce fut elle, justement, qui me tira de ma rêverie en ouvrant la porte, tout doucement. Elle vit que je ne dormais plus et entra sur la pointe des pieds, armée d’un bol de soupe de crabe et d’un morceau de pain aux algues. Elle s’assit près de moi, me tendit ces victuailles sans un mot, et alluma une chandelle tout près de nous.

« - Comment te sens-tu, Lumi ? Tu as réussi à dormir ?

- Oui… J’ai fait des rêves affreux, mais j’ai dormi. Et toi ?

- Pas trop… Mais ce n’est pas grave.

- …

- Je suis tellement désolée… Si seulement j’étais rentrée dans la cabine un peu plus tôt ! Il n’aurait jamais osé…

- Tu n’en sais rien. Si tu avais été là, peut-être qu’il t’aurait tuée. Ou violée. Ou les deux…

- …

- Merci, Sunette. Sans toi, je ne sais pas comment tout cela se serait terminé.

- Au moins, il ne fera plus de mal à personne ! Père et Ruti sont vengés, eux aussi. C’est tout ce que méritait ce porc habillé en roi.

- Sais-tu comment il est venu à bord ?

- Oui. Perkinsus est parti en reconnaissance tôt ce matin pour comprendre par où il était passé. Rotu est venu sur une petite barque qu’il a amarrée à notre tribord. Il s’est hissé jusqu’au pont avec une échelle de corde que nous avons retrouvée… Et sa galère l’attendait un peu plus loin, à la sortie de la baie. Il a fait semblant de partir en même temps que les autres, mais en fait, il a dissimulé son navire derrière un promontoire et il est revenu tout seul à la rame.

- Il avait tout prévu…

- Il savait ce qu’il voulait ! Toi, Lumi.

- …

- …

- Qu’avez-vous fait de son corps ?

- Les capitaines ont refusé de le rendre à la mer : pour eux, Rotu ne mérite pas de rejoindre Aquahé, la déesse-sirène qui emporte les Lointains aux portes de l’Atlantide… Alors ils l’ont jeté dans la barque avec laquelle il était venu, et il va se dessécher ainsi. Perkinsus et Anguillus se sont portés volontaires pour pousser cet esquif jusqu’à la rive d’une petite île déserte qui se trouve à quelques centaines de mètres devant nous. Ils n’ont récupéré que sa bague, le sceau royal de Champarfait… Pour le reste, ce sont les animaux qui s’en chargeront.

- Que va-t-il se passer, maintenant ?

- Eh bien… Je vais être jugée.

- Quoi ? Mais tu n’as fait que me défendre !

- Justement. Salmus pense qu’il ne faut pas fuir, mais au contraire, que nous devons assumer et annoncer ce qui s’est passé. Avec l’aide du conteur…

- Alexandrius.

- Oui. Avec son aide, les capitaines ont préparé une missive qui sera envoyée à Champarfait mais aussi sur l’île-capitale, pour expliquer ce qui s’est passé. Rotu est monté à bord en pleine nuit sans y être invité. Il t’a agressée très violemment. Plusieurs personnes peuvent en témoigner, notamment Ventura et Rutila dont les paroles ne peuvent pas être mises en doute. Je l’ai tué pour te défendre, parce que son comportement était indigne d’un roi. Indigne d’un homme.

- …

- Une mouette voyageuse va informer Champarfait et restituer le sceau officiel du royaume. Et nous, nous avons mis le cap sur l’île-capitale. Nous y serons dans quelques semaines.

- Et tu seras jugée…

- Et je serai jugée.

- Par le Grand Conseil des Lointains ?

- Oui.

- …

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