Chapitre CV (1/2)

4 minutes de lecture

Le lendemain, je m’éveillai à l’aube, dans les lumières or et ocre des premiers rayons de soleil. Autour de moi, la cabine de la capitaine était d’une sérénité douce, apaisante, comme un bandage frais sur une blessure brûlante. Petit à petit, mes pensées reprirent leur cours, mes souvenirs jaillirent et les images défilèrent dans mon esprit : le regard d’Orcinus après mon refus de partir avec lui, le souffle de Rotu quand il s’activait sur mon pauvre corps, le couteau de Suni comme un phare dans la nuit, et le verdict du Grand Conseil, qui allait me priver de ma meilleure alliée pendant des mois et des mois…

C’est alors que je réalisai que je me trouvais seule dans la pièce. Où était donc passée mon insaisissable petite sœur ? En me remémorant le déroulement de la soirée de la veille, je souris : je l’avais laissée sur le point de discuter (enfin !) à cœur ouvert avec Anguillus, il ne pouvait donc pas lui être arrivé grand mal.

Le sourire de l’intéressée me le confirma quelques minutes plus tard, lorsqu’elle fit irruption dans la cabine avec la délicatesse d’un cachalot. Ses yeux brillaient comme deux émeraudes sous le soleil de midi, ses joues étaient rondes et roses comme des étoiles et son petit air mutin, mystérieux, était à lui tout seul une invitation à la questionner jusqu’à ce que rire s’ensuive.

« - Eh bien, Sunette, c’est à cette heure-ci que tu rentres ?

- Apparemment, oui. Mais tu n’es pas ma mère, ma chère, et je n’ai pas de comptes à te rendre.

- Je ne suis pas ta mère, certes, mais je suis ton officière et, vu la hauteur du soleil et les voix qui résonnent depuis le réfectoire, tu es largement en retard pour ton service du matin.

- Oui, bon… Peut-être ! Mais c’est pour la bonne cause.

- Vraiment ? Et quelle est cette cause qui te fait rougir comme un lumignon ?

- Tu le sais bien.

- Mais encore ?

- C’est Anguillus.

- Ah !

- …

- Allez, raconte-moi tout : il suffit de te regarder pour comprendre que tu en meures d’envie.

- Tu ne te moqueras pas de moi ?

- Promis.

- Bon.

- …

- Alors ?

- Eh bien, il est possible que… Enfin, tu avais raison.

- A quel sujet ?

- Anguillus.

- Tu l’as déjà dit. Peux-tu développer un peu ?

- Tu te souviens, quand tu me disais que je lui plaisais et que je te répondais que c’était tout le contraire ? Hier soir, après ton départ, nous avons discuté longtemps. Très longtemps…

- Tiens, tiens… Je croyais qu’Anguillus était mutique, antipathique et insupportable ?

- Tu as promis de ne pas te moquer !

- C’est vrai, excuse-moi. Mais c’est tellement tentant ! Bon, donc, vous avez discuté. Et ?

- Et il m’a dit, tout d’une traite, qu’il me trouvait forte et courageuse. Qu’il n’aimait pas la violence, mais qu’il était heureux que j’aie débarrassé le monde de Rotu. Qu’il admirait la façon dont j’avais osé te protéger sans penser au danger auquel je m’exposais moi-même ! Qu’il me trouvait belle et audacieuse. Qu’il aimait voir mon rire dans la chaleur du réfectoire, capter mes yeux sous les embruns et entendre mon pas dans la fraîcheur du soir.

- Tiens tiens… Anguillus parle mieux que je ne le pensais, finalement. Et tu as réussi à l’écouter sans lui rire au nez comme une imbécile insensible que tu n’es pas ?

- Au début, je ne l’ai pas cru. J’ai pensé qu’il voulait se moquer de moi, une fois de plus. Mais après… En fait, je me suis sentie heureuse de l’entendre me dire toutes ces choses positives.

- Vraiment ?

- Tu vois, Lumi, je sais depuis toujours que je ne rentre pas dans les cases. Que je suis trop vive, trop franche, trop expansive. Trop ronde, aussi… Quand j’étais petite, cela amusait tout le monde que je me comporte comme un garçon. Que je grimpe aux murs, que je traîne dans les cuisines et que je fasse la course avec les palefreniers dès que Père avait le dos tourné. Et puis j’ai grandi, et les sourires indulgents se sont changés en froncements de sourcils. Je n’étais jamais comme il faut, pas assez ceci ou trop cela, parce que j’ai toujours dit haut et fort ce que je pensais, parce que je n’ai jamais cru que mon destin était de me marier et d’obéir à un homme, quel qu’il soit ! Mes amies parlaient de leurs talents de broderie, de leurs nouvelles toilettes ou de leurs espoirs quant à tel ou tel beau parti. Et moi, je ne rêvais que de cuisine et de liberté.

- Cuisine et liberté : n’as-tu pas justement trouvé cela en venant vivre ici, parmi les Lointains ?

- Si… Et cela m’a fait beaucoup de bien. Mais aujourd’hui…

- Aujourd’hui ?

- Je me demande si je ne me suis pas trompée sur toute la ligne.

- Que veux-tu dire, Sunette ?

- Eh bien, tu le sais, j’ai toujours cru que je ne me marierais jamais. Que je ne laisserais jamais un homme partager ma vie, mes nuits, mes espoirs. Mais maintenant…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0