Chapitre CV (2/2)
(Lumi) - Aujourd’hui ?
(Sunauplia) - Je me demande si je ne me suis pas trompée sur toute la ligne.
- Que veux-tu dire, Sunette ?
- Eh bien, tu le sais, j’ai toujours cru que je ne me marierais jamais. Que je ne laisserais jamais un homme partager ma vie, mes nuits, mes espoirs. Mais maintenant…
- Ne me dis pas que tu vas te marier avec Anguillus ?
- Non ! Pas me marier. Mais l’aimer, peut-être.
- …
- Tu ne dis rien ? Tu apprécies Anguillus, pourtant ?
- De tout mon coeur, oui. C’est un garçon plein de qualités. Je lui confie déjà mon tiers et la bonne marche du navire, je pourrais donc envisager de lui confier ma sœur adorée… Mais c’est à peine si je te reconnais ! Il t’a ensorcelée ?
- Mais non… Il m’a parlé, d’abord. Et je dois dire que, pour une fois, je l’ai écouté. Peut-être parce que je savais que nous étions sur le point d’être séparés pour longtemps ! Alors je me suis dit que je n’avais pas de temps à perdre en taquineries… Et voilà.
- Et vous n’avez fait que parler, toute la nuit ?
(Suni rosit comme une tulipe dans la délicatesse d’un petit matin ou comme une crevette dans une poêle à frire.)
- Oui.
- …
- Enfin, pas tout à fait… Mais nous sommes tout de même restés sages. Je n’ai pas… Enfin, je n’ai pas ton expérience. Et même si j’aime bien plaisanter avec les garçons, et les accompagner dans leurs bêtises que je trouve infiniment plus drôles que les conversations des filles sur leur couture ou leur trousseau, il y a encore bien des choses que j’ignore.
- Ne te presse pas, Suni chérie. Mon expérience, comme tu dis, n’avait vraiment rien de positif jusqu’à ce que je rencontre Orcinus. C’est lui qui m’a montré. C’est lui qui m’a appris. Et crois-moi, il a dû être très, très patient.
- Justement… Moi qui ai toujours été fonceuse pour tout, j’ai envie de prendre mon temps. Anguillus et moi allons être séparés pendant de longs mois, mais bizarrement, cela ne me donne pas envie de me précipiter. Ce qui doit se faire se fera, non ?
- Eh bien, comme te voilà sage et réfléchie !
- N’est-ce pas ! J’espère que tu es fière de moi.
- Je suis toujours fière de toi, même quand tu es insupportable. Mais j’aimerais bien savoir avec quelle baguette magique ton soupirant a réussi une telle métamorphose !
- C’est tout simple.
- Vraiment ?
- Oui. Il m’a dit qu’il m’aimait. Que j’avais bien fait d’éliminer Rotu. Et qu’il m’attendrait.
- …
- Je dois préparer mes affaires, maintenant. Je vais rester à terre un moment, mais ensuite, je vous rejoindrai ! Je ne regrette rien, Lumi. Vraiment.
- Moi, je regrette beaucoup de choses. Mais cela ne change rien, alors… Va, Sunette. Vis ta vie. Tu me manqueras, mais nous nous reverrons bientôt.
- Oui. D’ailleurs, je ne serai pas toute seule ici ! Il y a toujours du passage, avec les bateaux qui se succèdent pour nettoyer leur carène ou caler-bas un mât… Et puis, sais-tu que notre seconde capitaine a décidé de débarquer, elle aussi ?
- Ventura quitte la troupe ?
- Oui. Rutila et Salmus ont donné leur accord. Ventura va enseigner la navigation aux étudiants, ici, sur l’île-capitale.
- Tant mieux, elle avait envie de raccrocher son uniforme depuis un bon moment, je suis contente qu’elle ait trouvé un autre moyen d’être utile à la communauté. Mais… Comment allons-nous repartir avec un officier de moins ?
- D’après la rumeur, Rutila a déjà trouvé quelqu’un pour la remplacer. Toi, peut-être ?
- Ce n’est pas possible ! Il était déjà très étonnant qu’elle me propose de devenir lieutenant, mais second capitaine, il ne faut pas pousser !
- Je suis sûre que tu en serais capable.
- Tu n’y connais rien, Sunette. La navigation, les manœuvres, les cartes, ça ne s’improvise pas.
- Il est fréquent que l’on devienne second capitaine après avoir été lieutenant, non ? D’ailleurs, c’est ainsi que les choses se sont passées pour Ventura. Alors pourquoi pas toi ?
- Parce que je ne suis pas prête. Et notre capitaine le sait parfaitement ! Enfin, je l’espère… Sur ce, je te laisse rassembler ton bazar et essayer de tout faire rentrer dans un seul baluchon, et je t’attends sur la passerelle pour te dire au revoir, d’accord ? A tout à l’heure.
- A plus tard, Lumi. Et tu verras que j’avais raison, pour ta promotion ! »
Je quittai la cabine franchement contrariée par ces plans de carrière qui ressemblaient surtout à des plans sur la comète ! Il me semblait vraiment impossible que Rutila ait une telle idée en tête, mais Suni, avec ses convictions comme toujours inébranlables, avait semé le doute dans mon esprit…
Aussi partis-je à grandes enjambées vers le banc de quart, où j’espérais bien retrouver la capitaine afin de la sonder un peu sur ses intentions. C’était aussi un excellent moyen de ne pas trop penser à ma petite sœur, si forte et si fragile, que j’allais quitter pour de longs mois sans la moindre possibilité d’avoir de ses nouvelles.
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