Chapitre CVI (1/2)

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La matinée était sereine et lumineuse, et lorsque je sortis sur le pont, je pris quelques secondes pour admirer la beauté alanguie de l’île-capitale dans son écrin de nature et de tranquillité.

A bâbord, les palmiers dansaient dans des alizés parfumés de bienveillance, comme des enfants s’ébrouant après un bain de mer. La plage semblait presque vivante sous les silhouettes rieuses et graciles de Lointains de tous les âges, et les échoppes frémissaient sous les assauts assoiffés d’amateurs de jus de fruits de toutes les couleurs.

A tribord, l’océan s’étendait à perte de vue, à peine troublé par quelques ombres de poissons, quelques vaguelettes chantonnantes, quelques silhouettes de trois-mâts qui se balançaient sur leur ancre. Le soleil était éblouissant, éclaboussant chaque point de toile, chaque perle d’eau, de reflets de diamant aux mille facettes.

Sur le pont, l’équipage vaquait à ses occupations dans un mélange d’activité quotidienne et de torpeur millénaire au milieu duquel je me sentais vraiment chez moi. Perkinsus vérifiait la solidité du mouillage avec l’aide de quelques matelots, deux ou trois gabiers s’agitaient dans les vergues comme des colibris, Rutila donnait des instructions dans tous les sens depuis le pont, majestueuse comme une raie manta, précise comme une murène, joyeuse comme un poisson-clown.

A ses côtés se dressait la stature solide et musculeuse de Galaô-té, le marchand sans dieu ni maître dont nous avions, à plusieurs reprises, croisé les voiles et le sourire au hasard des mers. Il discutait intensément avec notre capitaine, ne s'interrompant que lorsqu’elle criait ses ordres à tel ou tel membre d’équipage, se contentant alors de hocher la tête comme pour approuver, en silence, chacune de ses phrases.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, fier et droit, beau comme tous les siècles de son désert natal. Il avait des yeux noirs comme du charbon, la peau sombre comme le soleil, le front haut et sans concession et le corps ancré, musclé, bien plus trapu que n'importe quel Lointain ! Il émanait de lui quelque chose de rassurant comme un radeau de survie ou un tronc d’arbre… Et Rutila, comme d’habitude, semblait avoir en lui une confiance absolue, profonde, avec un petit quelque chose d’intime, même si elle conservait, encore et toujours, une certaine distance entre lui et elle.

Je les observai pendant quelques secondes, tentant de lire dans leur gestuelle… Mais Rutila me vit et me fit signe d’approcher, ce qui poussa Galaô-té, par discrétion, à me saluer d’une sorte de courbette pleine de charme avant de s’éloigner à grands pas décidés.

« - Bonjour, Lumi. Comment vas-tu ? As-tu réussi à dormir un peu, malgré le jugement de cette nuit ?

- Un peu, oui… Merci, capitaine, de prendre la peine de me poser cette question. J’ai bien discuté avec ma sœur, ce matin, elle semble sereine. Alors que je crois que la décision du Grand Conseil est aussi juste que possible.

- Bien ! Je suis heureuse que tu le prennes ainsi. Et puisque tu sembles en bonne forme, j’aimerais te parler de quelque chose. Ou disons que j’aimerais avoir ton avis sur quelque chose.

- Bien sûr. De quoi s’agit-il ?

- Eh bien… Tu sais peut-être déjà que Ventura a demandé à rester à terre, ici même ?

- Sunauplia me l’a dit tout à l’heure.

- Bon. Il faut donc que je trouve un nouveau second capitaine.

- Oui.

(Rutila me regarda droit dans les yeux, en rougissant un peu, mais avec beaucoup de décision et de force sur son visage.)

- Lumi, que dirais-tu si je proposais ce poste à Galaô-té ?

- Oh !

- Tu désapprouves ?

- Non… Je suis surprise, c’est tout. Mais je l’ai à peine croisé, je ne vois pas trop comment je pourrais te conseiller. Tu le connais depuis longtemps, toi !

- Oui. Il maîtrise la mer et les manœuvres, il sait manier un équipage ou un gouvernail. Il est déjà allé dans presque tous les ports que nous fréquentons et il a l’habitude de discuter avec des gens venus de tous les pays du monde…

- C’est sûrement un excellent marin. Mais… Galaô-té est son propre capitaine, et ne reçoit d’ordres de personne depuis des années. Crois-tu qu’il accepterait ?

- C’est lui qui me l’a proposé. A cause de la guerre, le commerce ne rapporte plus autant qu’avant. Et puis, il a envie de changer, apparemment.

- Tu connais ses qualités, Rutila. Alors pourquoi hésites-tu ?

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